Archive for the ‘Salto #1 Français’ Category

Nous

Wednesday, December 19th, 2012

Selon le célèbre mot de Mark Twain, « les rédacteurs et les gens ayant les vers » sont les seules personnes pouvant utiliser le terme « Nous », mais à ce que nous en savons, personne n’a jamais fait d’analyse approfondie des rapports de pouvoir cachés dans cette monosyllabe.

« Nous » sonne égalitaire, commun et coopératif, même s’il désigne en fait plus souvent des rapports sociaux hiérarchiques et coercitifs. Le fascisme, ne l’oublions pas, est aussi une forme de collectivité.

Dans la première phase de notre enquête, nous avons découvert plusieurs variantes du terme « Nous ». La-voici, même s’il s’agit d’une liste qui est loin d’être exhaustive :

Le Nous du leader : « … et nous donnerons nos vies, s’il le faut, pour protéger notre patrie ! »

Le Nous du manager : « Nous avons réussi à augmenter la productivité de 25 % cette année, et cela se verra ensuite dans les profits. »

Le Nous du chef : « Nous devons urgemment nettoyer cette cuisine en moins d’une demi-heure. »

Le Nous du baby-sitter : « Nous sommes un peu vexé ce soir ? Peut-être est-il temps pour nous d’aller au lit ? »

Le Nous du supporter : « Nous allons à la coupe du monde cette année ! » Bien sûr que tu y vas!

Le Nous de l’activiste : « Whose streets? Our streets! » De qui précisement ? »

Le Nous du parti : « Maintenant que les usines sont entre les mains des ouvriers, nous pouvons initier la création du paradis sur terre pour l’Humanité ! » (Un instant avant l’aller simple vers Sibérie.)

Le Nous de Zamyatin : un roman sous-estimé dont Orwell s’est beaucoup inspiré pour écrire 1984.

 

Certaines formes de Nous font référence à des corps sociaux totalement mythiques: le Nous du citoyen par exemple, lequel désigne toutes les personnes regroupées au sein de la citoyenneté, elle-même donnée par l’Etat-nation, même si certains citoyens ont une position critique vis-à-vis de cet Etat. D’autres formes, comme le Nous de l’identité, veulent créer des corps sociaux conscients d’eux-mêmes (ou « ayant une conscience de soi ») en mettant en avant une communauté mythique sur base d’une argumentation indirecte.

Nombreuses sont les formes de processus collectifs qui se cachent dans le « Nous ». Dans le monde de la politique, il s’agit du Nous démocratique – « Nous avons voté pour l’expulsion de 40 % de nos membres » – et le Nous du consensus – « Nous avons eu besoin de quatre semaines pour écrire un paragraphe que j’aurais pu écrire seul en trois minutes. »

Un exposé anarchiste du mot « Nous » ne pourrait être complet sans une enquête concernant le « Nous » du propagandiste. Celui-ci est un proche parent du Nous « royal »[1], car c’en est tout sauf un.

Le Nous du propagandiste est populaire surtout  parmi les radicaux voulant se faire passer pour des personnes comprenant en elles seules tout un mouvement social cohérent. Dans le meilleur des cas, il s’agit d’une imagination pleine d’espoir ; mais dans le pire, il s’agit par contre de celle d’un futur despote fantasmant la formation d’une armée de mécanisations, car il ne peut pas s’imaginer d’autres formes de rapports.

Ayant ces ambiguïtés en tête, quelle utilisation du mot « Nous » est-elle encore possible ?

Nous (le voilà, le « nous » !) voudrions appeler l’attention du lecteur sur la blague bien connue dans laquelle Tonto et Lone Ranger sont poursuivis par une horde sanguinaire de soi-disant Indiens :

« Il semble que nous soyons dans la merde, mon pote, » constate Lone Ranger.

Auquel Tonto répond : « Que veux-tu dire par ‘nous’, homme blanc ? »


[1]    L’idée derrière le Nous royal – pluralis majestatis –, c’est que le monarque parle toujours pour son peuple. De là même manière, on réfère à des décisions du conseil municipal comme celles de « la » ville, plutôt que le gouvernement de cette ville. Par exemple, « Pendant des années, la commune de Anderlecht a tenté infructueusement d’empêcher ses habitants à se réunir au bord du canal lors du week-end. »

 

Nucléocratie à la belge

Wednesday, December 19th, 2012

Ce texte a deux objectifs. Le premier est de faire un état des lieux non exhaustif du programme nucléaire belge en sortant du cadre restreint du nucléaire envisagé sous l’angle de l’électrique (les centrales) et du militaire (les bombes). Le deuxième est de tenter de nous donner quelques outils, sans entrer dans une analyse théorique trop complexe, pour comprendre sa place en Belgique et en particulier comment il s’insère et entretient les logiques du pouvoir (politique, économique et militaire).

 

Science et pouvoir

La technologie nucléaire et ses promoteurs sont les rejetons dégénérés de la vieille relation incestueuse entre une certaine vision de la science et ce pouvoir. Le nucléaire, par sa démesure, a poussé à leur paroxysme les logiques qui sous-entendent cette vision de la science.  Bien que, en terme de paroxysme et de folie des grandeurs, les scientifiques béats n’aient pas de limites. Qui sait quelles nouvelles horreurs ils nous concoctent…

Contrairement à une idée assez répandue qui prétend qu’il existerait d’un côté une recherche neutre et désintéressée et, de l’autre, les applications plus ou moins bonnes ou mauvaises qu’en feraient les industriels, les militaires ou les politiques, il n’est jamais inutile de rappeler que la science « pure » « neutre » n’existe pas et n’a jamais existé. L’histoire de la science, celles de l’essor industriel et de l’apparition et de la consolidation des États modernes avancent conjointement. Pour mener ses recherches, pour faire accepter de la validité de ses hypothèses, le scientifique a toujours du convaincre ses mécènes, ses bailleurs de fonds (États, industriels, militaires), du gain qu’ils pourraient en tirer. La vision de la science qui s’est imposée est celle qui a pu fournir des applications concrètes pour l’industrie ; celle qui a élaboré le perfectionnement des engins de guerre et des dispositifs de surveillance et de contrôle des États ; celle qui leur a fournit le prestige nécessaire à leur rayonnement  culturel. En fournissant au pouvoir les outils nécessaires à son maintien et son extension, le scientifique est devenu une pièce indispensable du pouvoir.

La période contemporaine est une période de changements aux issues encore incertaines. Les systèmes politique et économique mondiaux subissent des mutations qui se traversent aussi les milieux scientifiques.  Ce qui est certain c’est que dans ces mutations, les technologies ont un rôle de première importance. En premier lieu parce que, pour les États et les entreprises, réussir leur insertion dans le flux des échanges mondiaux passent de plus en plus par la course à la technologie et en particulier la technologie de pointe. Les États puissants sont ceux qui réussissent le saut technologique qui leur donnent l’avantage militaire et commercial, sans parler des outils que ces nouvelles technologies offrent pour le contrôle des populations.

Le haut degré de complexification, et donc de spécialisation de la recherche contemporaine pousse les programmes scientifiques à s’insérer dans des projets transnationaux. Au plus la recherche se spécialise, au moins les chercheurs ont une vue d’ensemble du cadre dans lequel s’inscrivent leurs expériences, et au plus ils se déresponsabilisent des applications et conséquences possibles de leurs recherches.

A cela s’ajoute, ces dernières années,  l’entrée en masse des industriels  dans les unités de recherche et une privatisation de la recherche. Ce qui implique, sans vouloir entretenir l’idée d’un age d’or de la recherche publique ou fondamentale,  l’accentuation de l’obligation pour les scientifiques de trouver pour leurs expériences des débouchées concrètes susceptibles de satisfaire leurs bailleurs de fond.

Ces deux tendances ont pour conséquence générale la disparition des espaces de critique, même s’ ils ont souvent été ambigus, contre cette vision de la science  et de la recherche au sein et en dehors des milieux scientifiques.

Dans le domaine nucléaire, l’exemple typique de cette nouvelle tendance c’est le projet ITER[1]  Projet transnational par excellence, on pourrait se demander pourquoi tant d’États y participent par le biais des institutions qu’ils financent, alors qu’il s’apparente à un gouffre à thune et qu’à première vue, la possibilité d’en tirer  d’applications  concrètes semble éloignée. Pour les États et le monde industriel, et c’est la vitrine par laquelle le projet est vendu, l’ITER offre à (très) long terme la possibilité d’une ressource énergétique infinie pour faire tourner une économie énergivore. Dans quelle mesure gouvernants et scientifiques sont conscients du leurre d’une telle promesse, cela reste à déterminer. Par contre ce qu’offre dès maintenant l’ITER, c’est du savoir technologique, du retour d’expérience. C’est pourquoi à travers le monde les Universités et les centres de recherches , les industries ET le secteur militaire sont mobilisés pour travailler sur ce projet de fusion. En Belgique y participent donc non seulement les diverses universités[2], des entreprises (coordonnées par la plate-forme Iter Belgium), le Centre d’Étude Nucléaire (CEN) ET l’Académie Royale Militaire.

Le nucléaire à la belge

La Belgique est un petit pays qui ne peut pas prétendre au statut de puissance. Elle a tout intérêt, d’une part, à investir dans des domaines hautement spécialisés à haute valeur ajoutée,donc les technologies de pointe, d’autre part à participer à des projets transnationaux qui lui donneront directement accès au savoir technologique. Le programme nucléaire belge est à comprendre dans ce cadre.

Le petit bout de la lunette du programme nucléaire belge ce sont les centrales de Doel et Tihange, construites principalement pour atteindre une certaine autonomie énergétique. Une autonomie en partie illusoire puisque l’uranium qui sert de combustible ne se trouve pas en Europe. Illusoire aussi parce que le lobby français[3] a toujours eu une place de poids dans le projet d’abord sous la forme d’EDF (Électricité de France) et désormais GDF-SUEZ puisque l’exploitant,  Electrabel, est une filiale du groupe français. Outre GDF-Suez on retrouve dans la gestion des centrales, l’autre pan du lobby nucléaire français, Areva et le lobby nucléaire américain Westing House. La question de l’énergie nucléaire est bien sûr centrale pour l’économie des États non pas tant en terme de gains directs mais parce qu’elle fait tourner le reste de l’industrie. C’est la raison pour laquelle il y a de fortes chances pour que l’énergie nucléaire, à moins d’une réelle opposition, produite ici ou importée du voisin français, soit promue à un bel avenir.

Ça c’est l’aspect très visible du nucléaire belge. Mais si la Belgique est l’un des pays les plus nucléarisé au monde ce n’est pas dû qu’à ses centrales locales et avoisinantes (Borsele, Gravelines, Chooz) mais aussi parce qu’elle est parsemée d’installations nucléaires. Au Nord, en Campine, les régions autour de Mol et Dessel emportent la palme en regroupant sur leurs territoires, le Centre d’Étude Nucléaire avec ses 3 réacteurs expérimentaux existants et un quatrième en construction[4]; Belgoprocess qui retraite et conditionne une partie des déchets radioactifs ; et les sites d’enfouissements de déchets radioactifs. Un peu plus à l’est, à Kleine Brogel, la base de l’OTAN héberge une vingtaine de têtes nucléaires américaines, sympathique héritage de la guerre froide. Au sud à Fleurus, à côté de Charleroi, les habitants ont le plaisir de subir les fuites de l’Institut National des Radio-Eléments (IRE), l’un des six grands laboratoires au monde producteurs de radio-isotopes à l’usage du monde médical. Sans compter tous les labos, hôpitaux, centres de recherche qui ont leurs propres installations nucléaire à petite échelle ou qui manipulent des matières nucléaires.

Dans le cadre évoqué plus haut, le nucléaire médical c’est un peu la spécialité belge. Il y a non seulement l’IRE mais aussi Ion Beam Applications (IBA), à Louvain-la-Neuve, leader mondial de la production d’accélérateurs de particules à usages médicaux et industriels. L’IBA est exemplaire des  interconnexions qui existent entre les différentes filières nucléaires. IBA est aussi bien sur le marché de la stérilisation (par exemple des produits médicaux) et de l’ionisation, que celui de la radiothérapie, de la production de radio-isotopes, que sur le marché de la pasteurisation alimentaire.

 

Acceptation et  habituation

 Au delà des logiques que produit le nucléaire, quelles sont les outils que se donnent les nucléocrates pour faire accepter leur programme ? Après Tchernobyl, les États nucléarisés ont investi dans la création d’institutions censées légitimer l’existence et la poursuite du programme nucléaire. Ces institutions naissent à la fois du peu d’efficience des politiques du silence ou de mensonges grossiers adoptées par les nucléocrates jusqu’à Tchernobyl compris ; et d’une tendance plus générale des politiques à utiliser l’image d’une pseudo-transparence comme légitimation. L’idée est simple : donner l’impression aux populations qu’elles disposent de l’information et qu’elles sont associées au débat pour museler la critique. Il s’agit bien d’une pseudo transparence puisque bien évidemment les termes du débats sont donnés par les nucléocrates eux-mêmes. Mais au delà de l’acceptation du programme nucléaire, ce que servent ces institutions c’est l’habituation des populations à la vie en milieu contaminé.

C’est donc dans cette optique qu’est créé l’Agence Fédérale de Contrôle du Nucléaire. L’Agence, présidée par un ancien directeur de centrale, se cape d’une prétendue scientificité pour  gérer les craintes des population en prétendant publiciser et mesurer le degré de gravité des « incidents » dans les installations nucléaires. L’AFCN est très typique de ce changement de politique, ce n’est plus vraiment « tout va bien » mais plutôt « le risque est gérable ». La scientificité dont se pare l’Agence pour noter ce qu’elle nomme les incidents, vient noyer sous un flux d’informations le fait que les normes dites « acceptables » sont le fruit de négociations politiques[5]. Il n’existe pas de normes acceptables. Seulement des politiques de gestion des populations.

Dans la même optique, l’ONDRAF (Organisme National des Déchets Radioactifs et des Matières Fissiles Enrichies) organise le débat citoyen sur le type d’enfouissement de déchets radioactifs. Son slogan : les déchets sont une responsabilité collective. Après avoir  engrangé des profits massifs en détruisant  durablement l’environnement et ses êtres, après avoir engagé les sociétés dans une dépendance irréversible au savoir scientifique si pas aux scientifiques eux-mêmes, les nucléocrates ont le cynisme de vouloir en partager la responsabilité avec les populations. C’est cela le visage de la démocratie citoyenne participative : gérer en toute bonne volonté les conséquences catastrophiques des politiques des puissants.

Dans le même ordre d’idées, depuis quelques années, les simulations, d’accidents nucléaires[6], de catastrophes naturelles, sont devenues un élément de l’arsenal des États pour habituer à la vie en état de crise et contrôler les populations. C’est d’autant plus criant en Belgique où, vu la taille et la densité du pays, aucun plan d’urgence nucléaire quel qu’il soit ne serait en mesure d’évacuer les populations. A moins d’envisager l’évacuation complète de la Belgique. On a vu à Tchernobyl, comme à Fukushima, comme lors des essais nucléaires soviétiques au Kazakhstan[7], certaines populations forcées (parce qu’elles n’ont pas les moyens de partir et/ou parce que les autorités les désinforment[8]) de vivre sur des territoires contaminés, de faire de l’environnement mortifère leur nouvelle normalité. Pour  l’État et les forces de l’ordre, les simulations offrent aussi un gain direct en terme de savoirs faire  pour la  gestion et le contrôle de population[9].

Enfin, il vaudrait le coup de s’arrêter un instant sur le rôle que joue le nucléaire médical dans la généralisation, d’où l’acceptation, de la nucléarisation de la société. L’usage du nucléaire dans les institutions médicales est profondément ancré. Son utilisation, entre autre, au stade du diagnostic et en radiothérapie, est rarement questionné, mais n’est-ce pas là  une logique propre à l’hôpital qui cadenasse tout espace pour questionner ses pratiques? Comme les OGM à usage médical, le nucléaire médical, se base sur un chantage sous-jacent qui touche au plus profond des corps des individus : le nucléaire ou la mort.  Des instituts comme le CEN mettent en avant ce domaine de recherche pour se donner une façade bienveillante voir désintéressée.  Derrière la façade, leurs expériences servent aussi à la recherche sur le combustible pour les centrales existantes et futures, la radioprotection, la fusion, la décontamination et les recherches  sur les modalités d’enfouissement des déchets radioactifs,… et last but not least l’aspect sociétal de la question nucléaire, sous-entendu: fournir  aux gouvernants le cadre des débats sur le nucléaire.

Sujet hautement émotionnel et difficile à aborder, il manque à la critique antinucléaire une véritable recherche sur la généalogie de l’imposition du nucléaire dans le monde médical et son utilisation comme légitimation du programme nucléaire dans son ensemble. Cette généalogie ne pourrait se faire qu’en lien avec celle de l’essor d’un certain type de médecine basée sur la domination des corps et la la rentabilité, et celle de l’hôpital usine. C’est une critique qu’il est grand temps de construire, car à moins de faire l’autruche, personne ne peut plus nier l’inflation des cancers et autres maladies radio-induites autour de nous. Si nous ne prenons pas le temps de réfléchir à nous armer en idées en en pratiques, nous nous mettons à court ou à long terme, à la merci du monde médical et du lobby nucléaire.

Comme souvent quand on aborde le sujet du nucléaire, le tableau paraît bien sombre. Il est certain que les nucléocrates pensent nous avoir assénés là un coup imparable, ils pensent s’être assurés un avenir infini. Pour nous il s’agit maintenant de se donner les outils pour mettre à mal cette arrogance. Pour commencer, sortir de la peur que la menace continuelle d’une apocalypse nucléaire fait peser sur nos esprits. La peur est un mauvais moteur. Elle pousse généralement les individus à se mettre sous l’emprise de ceux qui leur promette la sécurité ce que les nouveaux gestionnaires d’État appuyés par leurs experts ont bien appris à exploiter.

Ensuite, élaborer des pistes pour rouvrir l’horizon des possibles. Cette horizon s’ouvrira si nous sommes capables à la fois de nous outiller contre les stratégies d’acceptation des nucléocrates, d’ouvrir les espaces où élaborer le bouleversement des rapports sociaux et d’attaquer leurs points faibles. Ils sont nombreux : transports de déchets, lignes haute tension, entreprises, les divers lieux et événements où se produisent et diffusent leurs évidences… Enfin, élargir la question. Il faut ‘repolitiser’ le rôle des scientifiques, attaquer leur pseudo neutralité, pointer leurs responsabilités dans le maintien et l’extension de la domination.  Démonter les divers chantage sur lesquels se construit le nucléaire : chantage à la consommation, chantage médical, …

Sur notre chemin nous trouverons de plus en plus l’idéologie citoyenne avec son illusion d’une cogestion du merdier ; avec sa critique partielle, avec son capitalisme vert (ses énergies renouvelables), avec ses débats citoyens….  C’est pourquoi, une réelle lutte antinucléaire, en Belgique, ne peut se passer d’une critique conséquente des  logiques de la démocratie.

Le nucléaire, comme ses petits copains OGM, nanotechnologies et compagnie,  est  le point d’orgue d’une certaine histoire de la science au service du pouvoir. Mais par son aspect total, il fournit aussi un angle d’attaque de choix pour remettre en question l’ensemble des rapports sociaux qui l’ont créé et qu’il entretient en retour.


[1]          La fusion est un vieux projet de recherche complètement mégalomane. Depuis 2005, plusieurs puissances  (Union Européenne, Russie, USA, Japon, Chine, Corée du Sud et Inde) construisent à Cadarache, en France, l’ITER ou le Réacteur Expérimental International de fusion Thermonucléaire où les scientifiques tenteront de récréer pendant quelques minutes les réactions qui ont lieu au cœur du soleil sous prétexte de pouvoir produire de l’énergie en quantité infinie. Ce qui, dans les meilleurs pronostics des scientifiques les plus béats n’aurait pas lieu avant cinquante ou cent ans.Mais peu importe parce qu’entre temps il aura produit des tonnes de déchets radioactifs, et encore, s’ils parviennent à maitriser le processus et que tout ne part pas en vrille ce qui n’est pas gagbné vu qu’ils n’ont pas encore trouvé les moyens techniques de contrôler la réaction.

[2]          Université Libre de Bruxelles, Université de Gand, Université Catholique de Louvain, UMH Mons,…

[3]          Le terme de lobby peut s’entendre de deux manières. Dans sa définition réductrice, il sert à désigner les gros groupes industriels privés qui font pression sur les politiques, mais cette définition pourrait amener à croire qu’il existe une séparation nette entre ces groupes et les politiques. Ce qui n’est évidemment pas le cas, on trouve de fervents nucléocrates au sein des politiques et de l’appareil d’État. L’État a toujours été le principal promoteur investisseur dans les programme nucléaire. En Belgique, la politique énergétique, donc la décision d’investir massivement dans le nucléaire, a toujours été le fait de pactes opaques entre politiques, Electrabel, grands employeurs et certains leaders syndicaux.

[4]             Les expériences menés avec ce nouveau réacteur servira entre autre à la réalisation de réacteurs de quatrième génération.

[5]             Voir Roger et Bella Belbeoch, Tchernobyl une catastrophe.

[6]             Fin 2012, la Belgique prévoit une simulation grandeur nature autour de Tihange.

[7]             Voir le documentaire Les secrets des essais nucléaire français.

[8]             Voir Le bulletin de la coordination contre le nucléaire, n°2.

[9]          Voir le documentaire Ceci n’est pas une simulation.

La java atomique

Wednesday, December 19th, 2012

Quelques pistes de réflexion autour du démantèlement et de la relance du nucléaire

Démantèlement des centrales de Brennilis, de Chooz A, de Superphénix, du réacteur UNGG de Bugey, du Laboratoire pour l’utilisation du rayonnement électromagnétique (Lure) d’Orsay, de l’usine de retraitement de Marcoule, d’unités de recherche, de stations de traitement et d’entrepôts de déchets nucléaires du CEA[1] à Fontenay-aux-Roses, de l’accélérateur de particules Saturne de Saclay et de l’unité de conditionnement de déchets nucléaires du site… Cela s’annonçait comme une bonne nouvelle. Comme si, enfin, l’Etat et les industriels prenaient le chemin de l’arrêt du nucléaire. Quelques chercheurs pleuraient la perte de leur joujou et appelaient à « sauver la recherche ». Leur cas était difficile à défendre car il existait bien peu de personnes pour regretter leur boulot mortifère. Les écolos se réjouissaient de cette possibilité de sortie progressive – la seule question étant celle du « bon » ou du « mauvais » démantèlement –, et se frottaient les mains de pouvoir occuper un rôle de contre-experts en matière de technologie. Le démantèlement induisait quelques gros détails de déchets nucléaires à régler, tout le monde s’accordait sur ce point mais, dans l’ensemble, tout était pour le mieux dans le moins pire des mondes.

Pourtant, il y a quelque chose qui cloche là-dedans… Le terme démantèlement est d’abord un terme fourre-tout qui cache des réalités disparates. S’il y a des cas où il signifie « fermeture » d’installations nucléaires civiles ou militaires, dans bien d’autres, il n’est en fait qu’une « rénovation » pour faire durer plus longtemps un parc nucléaire vieillissant, ou encore une « adaptation » à une nouvelle donne économique et politique.

Ainsi, certaines installations étaient tout bonnement obsolètes et n’étaient déjà plus utilisées depuis longtemps. Dans cette douce France où il fait bon vivre, la recherche dans le domaine nucléaire est une priorité depuis les années 50 et, de ce fait, de nombreux laboratoires demandaient un sérieux dépoussiérage. Les accélérateurs de particules Saturne 1 et Saturne 2 construits dans les années 50 et 60, destinés à la physique des hautes énergies sur le site du CEA de Saclay, ne fonctionnaient plus, respectivement depuis 1977 et 1997. Ils ont été démontés au début des années 2000. Et comme l’entreposage des déchets sur place commençait également à sérieusement vieillir, les fûts ont été reconditionnés, la station de tri et les installations de la salle de commande rénovées. Et si quelques-uns de ces fûts se sont rompus lors de leur extraction du puits d’entreposage en 2002 et qu’un début d’incendie s’est déclaré en 2003, cela n’a pas provoqué de « contamination extérieure, ni eu d’impacts sur les travailleurs », selon les dires du gendarme du nucléaire (ASN[2]). Et, rassurons-nous, le site de Saclay n’est pas prêt d’arrêter ses activités nucléaires puisqu’une usine de production de capsules contenant des matières radioactives à usage médical (CisBio), rachetée par l’industriel allemand Schering, s’inscrit à la pointe de la recherche en médecine nucléaire. Comme ça, quand on sera en train de crever d’un cancer lié aux saloperies diverses et variées de ce monde, ces charmants scientifiques pourront nous bombarder de rayons qui créeront peut-être d’autres cancers, mais qui constitueront un « moindre mal » pour les cobayes que nous sommes.

Mais ne soyons pas mauvaise langue. C’est exact, il existe des cas où le démantèlement correspond bien à des « arrêts ». Le réacteur de Chooz A (c’est-à-dire la partie la plus ancienne) a bien été stoppé, puis vidé du combustible nucléaire et, enfin, des installations annexes démontées. Cela ne veut cependant pas dire qu’il y a arrêt des activités nucléaires : les autres réacteurs (Chooz B) continuent à fonctionner et, en plus, le site a été candidat pour accueillir l’EPR, de nouvelle génération. Cela ne veut pas dire non plus que les habitants de la région et les travailleurs du secteur arrêtent de bouffer du nucléaire et d’en mourir. Bien au contraire. Le démantèlement impliquerait, selon EDF (Electricité de France), la production de dizaines de milliers de tonnes de déchets toxiques et radiotoxiques, dont dix mille sous forme liquide seraient, après quelques mois d’entreposage de « contrôle » et de « neutralisation » sur place, déversées dans la Meuse. Ce n’est certainement que la énième couche de pollution qui vient s’ajouter à celles drainées par deux siècles de développement industriel. Néanmoins, les ordures radiotoxiques, soi-disant « limitées » et « inévitables », en provenance du démantèlement de Chooz A causent des dégâts autrement plus durables. Et, comble du comble, cette zone dévastée va obtenir le label de « Parc naturel régional » ! Le démantèlement n’est alors qu’un cache-misère pour nous faire croire qu’il est possible de « réhabiliter » des territoires contaminés.

Le nucléaire a cet avantage considérable : la radioactivité n’est pas visible et ses conséquences se font souvent sentir bien des années après, quand il est déjà trop tard. Ces chers nucléocrates ont donc pu vérifier une nouvelle fois le proverbe : « Pas vu, pas pris ! »

C’est pourquoi notre esprit décidément tortueux a eu envie de se pencher sur les rapports pondus par les différentes autorités nucléaires en matière de démantèlement. Ces dernières expliquent ouvertement que les experts et les industriels ne bénéficient pas encore de savoir-faire, étant donné les « nouveaux » problèmes posés. Mais, grâce à leurs compétences et à leur sens des responsabilités, il ne faudrait pas se faire de souci. Aucun démantèlement ne s’est mal passé, à leurs dires, et chaque « retour d’expérience » se présente comme un « succès ». Et de nombreux rapports sont là pour « l’attester ». Alors qu’habituellement la discrétion est de mise sur les activités relatives au nucléaire, le sujet du démantèlement est loin de subir le même genre d’omerta. Si les nucléocrates sont aussi prolixes, c’est que l’un des enjeux est de produire des bilans qui seront utilisés pour établir les normes autorisées et les certifications au niveau international. De cette manière, ils auront les mains encore plus libres puisque le système de réglementation aura été taillé sur mesure.

En attendant, ils en conviennent, il reste encore le problème des déchets inhérents aux démantèlements à régler, mais des solutions technologiques seraient en cours d’élaboration. A Bure, dans la Marne, les scientifiques font preuve d’un fantastique esprit d’invention pour nous faire avaler qu’ils sont capables de prévoir et de contrôler l’évolution des terrains et des déchets nucléaires sur des centaines de milliers d’années : on enterre toujours plus profond, on parie sur l’étanchéité de la roche et le tour est joué !

Tous ces rapports donnent l’impression que l’important est surtout que le nucléaire ne soit pas une source d’inquiétude. En somme, en faire un processus socialement acceptable. Pour ici et pour ailleurs. Comme l’Etat et les industriels espèrent bien vendre des installations nucléaires à l’étranger pour répondre aux besoins en tous genres du capitalisme, il y a grand intérêt à faire mine de pouvoir passer le balai en profondeur, à mettre en scène une apparence de propreté. Et si la relance du nucléaire ne s’est pas exactement traduite par la vente de nombreuses centrales, la mise en avant de savoir-faire en matière de démantèlement permet de faire croire que toute la chaîne du nucléaire est « maîtrisée » : d’un bout à l’autre, il faut donner l’illusion que cette technologie ne pose aucun problème insurmontable à long terme. Or, la fin du processus et la question insoluble : « Que faire des installations en fin de vie ? » faisaient figure de talon d’Achille. Dans ces conditions, le démantèlement ne prépare en rien la sortie du nucléaire, mais garantit son acceptation sociale au niveau national et international.

Certes, direz-vous, il y a des voix qui s’élèvent contre cet état de fait. Il y a bien quelques écologistes citoyens qui condamnent telle technique pour en prôner telle autre. Dans l’ensemble, il faut se rassurer, experts et contre-experts veillent pour nous. Il y a malencontreusement encore quelque chose qui cloche là-dedans. Que le réacteur d’une centrale soit coupé en petits bouts pour être emmené ailleurs (La Hague, Sibérie, Somalie, Maroc, Adriatique…), qu’il soit coulé dans du béton à la mode du sarcophage de Tchernobyl, etc., ces « solutions » ressemblent à des chimères : elles ne solutionnent rien du tout. Les dirigeants d’Areva[3] ou du CEA ont en plus le toupet d’affirmer que la majeure partie des déchets nucléaires est recyclable. Mais l’arnaque consiste à dire que ce qui est envoyé à l’étranger est réutilisé alors qu’ils savent pertinemment qu’il n’en est rien ; à dire aussi que ce qui est balancé dans la flotte n’existe plus et que ce qui finit par faire des remblais de route ne présente aucun risque notable ! Il est socialement délicat de laisser des pics énormes de radioactivité sur les lieux même qui la génèrent, alors on dissémine aux quatre coins de la planète ce dont on ne peut, de toute façon, pas se débarrasser. La ficelle est un peu grosse, mais tant que cela passe, ces chers cerveaux radioactifs n’ont pas de raison de s’arrêter. Ils se disent en plus « concernés par l’avenir ». Preuve en est, ils seront présents au sommet de Copenhague sur le climat en décembre 2009, car ils se sentent investis d’une « mission » : faire passer l’une des plus grandes saloperies de l’histoire humaine pour une énergie « propre ».

On appréciera au passage le relatif changement de façade. Ce n’est plus tabou d’évoquer le problème des déchets dans les médias. Il faut dire aussi qu’en quelques décennies, le choix nucléaire a généré de telles nuisances et de telles menaces pour la vie planétaire qu’il est devenu impossible pour le pouvoir de continuer à le gérer comme autrefois : ce bon vieux temps où il lui suffisait de pratiquer la négation pure et simple des problèmes qu’il pose. Alors l’Etat continue en partie à pratiquer cette politique du secret, mais ajoute également une deuxième couche de « transparence » et une troisième de « démocratie », faisant mine d’associer les « citoyens » à la gestion du désastre en cours. L’administration des montagnes d’immondices radioactifs en est l’un des meilleurs exemples, avec une recette qui s’est un peu affinée : continuez à nier le gros des problèmes, avouez-en une partie médiatiquement, surtout faites semblant d’attraper le taureau par les cornes, prenez l’avis de vos opposants d’hier qui seront ravis d’avoir enfin le rôle de conseiller du prince qu’on leur a refusé pendant si longtemps, mélangez le tout : tout le monde en conviendra, vous aurez limité, déplacé, différé les risques…, à défaut de les supprimer. En somme, face aux dangers du nucléaire que vous ne pouvez plus cacher, avouez vos difficultés, consultez quelques experts et même des contre-experts, vous pourrez alors demander aux populations en sursis de faire confiance à la technoscience de demain pour résoudre les problèmes créés par celle d’aujourd’hui.

Il y a toujours quelque chose qui cloche là-dedans… Les gourous de l’atome ont beau rivaliser d’imagination, la question ne peut se réduire au choix d’une solution technologique qui présuppose que la sûreté de la chaîne nucléaire pourrait être « bien faite ». Le problème est plus fondamental : il est d’avoir mis en place et de participer à un processus qui, quel que soit le bout par lequel on le prend, est monstrueux. Monstrueux par les millions d’années de durée de vie des radioéléments, monstrueux par les bombes dont la capacité de destruction n’est plus à démontrer, monstrueux par le caractère « insidieux » du nucléaire dont quelques microparticules respirées ou ingérées suffisent à provoquer cancers et leucémies bien des années plus tard, monstrueux par le contrôle et la militarisation qu’il implique, monstrueux par la colonisation de la liberté qu’il induit. Dès lors, l’Etat joue le rôle du pompier pyromane : il se présente comme celui qui assure la sécurité présente et à venir des populations, comme celui dont on ne peut se passer. Mais il oublie de préciser que c’est lui qui met en place ce merdier. Tout se passe comme s’il n’y avait plus de pilote à bord de l’avion : on continue ce qui a été démarré, on essaye tant bien que mal d’éviter le pire, on améliore ce qui peut l’être, on essaye même d’être pionnier en la matière, on fait quelques profits au passage, mais sans jamais plus interroger ce qui a été et ce qui reste encore un choix.

Le démantèlement n’est alors qu’un épisode supplémentaire de la transformation de la planète en laboratoire grandeur nature. Et ce processus a commencé depuis longtemps, en particulier dans le domaine militaire où il peut parfois prendre le nom de « désarmement ». Contrairement aux assertions des médias qui voudraient nous faire croire qu’il vient de débuter, le démantèlement n’est pas une « nouveauté ». Les missiles stratégiques avec des têtes au plutonium ont été, par exemple, mis au clou depuis des lustres.

Mais alors, répondrez-vous, il reste un domaine où le démantèlement constitue une véritable avancée ! Vous pourrez même ajouter que si ce monde n’est pas parfait, il ne faut pas être aussi pessimiste car les Etats ne sont plus engagés dans les mêmes folies qu’hier. Vous appuierez votre raisonnement par quelques exemples savamment choisis, comme le fait que les grandes puissances ont signé de nouveaux traités de non-prolifération nucléaire en 1995-1996, que les essais à Mururoa ont bien pris fin, ou encore la récente décision de fermer prochainement le vieux centre d’essais nucléaires de Moronvilliers, en Champagne… Et vous conclurez : « C’est un progrès, tout de même ! »

Il y a malheureusement encore quelque chose qui cloche là-dedans… Des voix mal intentionnées susurreraient à votre oreille une évidence bien gardée : les Etats ont fait de nécessité vertu. Les gigantesques missiles datant de la Guerre froide étaient bons pour la ferraille et La Hague, entre autres lieux, sert de cimetière aux matières nucléaires qu’ils portaient. Quant aux essais de bombes nucléaires, puis thermonucléaires, de très forte puissance, après cinquante années de recherche, il n’y avait plus aucune amélioration majeure à en attendre. Ce sont donc des raisons techniques, mais également stratégiques, qui permettent de comprendre ces changements d’orientation cachés sous les doux noms de désarmement et de démantèlement.

Avec Iter[4] à Cadarache ou avec le Laser mégajoule[5] établi sur le site du Barp, à côté de Bordeaux, lequel doit prochainement produire des micro-explosions thermonucléaires, ce sont, entre autres choses, de nouvelles armes qui se préparent, grâce à l’étude plus fine de la physique des explosions. Et le terme anodin de « simulation » qui recouvre ces gigantesques installations vise à faire croire aux populations qu’elles sont sans danger.

En réalité, les Etats, même les derniers arrivés dans le club de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) épaulée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ne veulent pas faire machine arrière en matière d’armement nucléaire. Les grandes puissances, elles, mettent simplement au rebut ce qui ne fonctionnait plus, ou ce qu’il était impossible d’utiliser pour des raisons politiques. Il n’est en effet pas envisageable de provoquer des Hiroshima tous les quatre matins. Avec ces nouveaux laboratoires, elles veulent développer des armes nucléaires ayant des puissances bien moindres qui soient socialement acceptables et donc utilisables. L’ONU, l’AIEA et l’OMS refusent d’ores et déjà de ranger l’uranium appauvri – massivement employé par les armées de la Coalition depuis la guerre du Golfe – dans la catégorie des munitions nucléaires. Car, désormais, les fins stratèges militaires craignent moins les oppositions entre grandes puissances à la sauce Guerre froide que des conflits entre mafias et Etats locaux, ainsi que des révoltes incontrôlables – des « guérillas urbaines » aux « guerres de bidonvilles » – pour reprendre leurs termes. En dépit de ces nouvelles saloperies de bombes qui brouillent la distinction théorique entre armes nucléaires (propres à la dissuasion) et armes conventionnelles (destinées au combat), il faut néanmoins souligner un point : cela ne sera jamais autre chose que des « scénarios », des plans imaginés. A l’épreuve de la réalité, il en va souvent autrement que ce que souhaiteraient ces têtes pensantes du Pentagone et d’ailleurs, comme les bourbiers irakiens et afghans l’attestent.

Décidément, il y a quelque chose qui cloche là-dedans. Le « démantèlement » cache en fait le renouvellement et la modernisation du parc nucléaire civil, militaire et, particulièrement, expérimental. La « relance » est donc bien plus vaste que ce que les lobbies écologistes et nucléaristes entendent par là quand ils se focalisent sur le problème énergétique. Il n’est pas seulement question de la construction de nouvelles centrales, que l’on soit « contre » la filière électronucléaire comme tel ou tel groupe antinucléaire, ou « pour », comme EDF. Les uns et les autres sont suffisamment fous pour vouloir cogérer le saccage actuel et ont en plus le toupet de se présenter comme « réalistes ». D’un côté, face au « manque » et à la « pénurie » qui guette, il faudrait substituer aux centrales des champs de buildings en forme d’éolienne et accepter un écologisme de caserne, avec toujours plus de règles et d’obligations volontaires dans un monde toujours moins vivable ; et, de l’autre, face aux besoins de plus en plus importants de la société, les Etats n’auraient pas le choix et devraient nécessairement faire appel au nucléaire avec tous les problèmes qu’il induit. Les uns comme les autres passent sous silence l’ensemble des enjeux que recouvre la relance du nucléaire : celle-ci se comprend mal sans prendre en compte la question de la puissance des Etats.

En tout état de cause, cela suit l’évolution du capitalisme moderne : la production reste encore un élément central, mais sa maîtrise dépend de plus en plus des innovations scientifiques et technologiques. Sans ces dernières, des parts notables des activités et des institutions du capitalisme – de l’industrie à l’armée – sont désarmées. Le nucléaire n’échappe pas à cette nouvelle règle : en plus de vendre des centrales à l’étranger, les Etats comme la France et les Etats-Unis cherchent à être à la pointe de la recherche et cela constitue pour eux un véritable « atout ». La Ligne d’intégration laser (LIL[6]) est ainsi à peine terminée sur le site du Barp qu’elle est déjà prise d’assaut par les chercheurs du monde entier, quémandant des réservations pour avoir l’incroyable bénéfice de profiter de quelques minutes de « simulation ».

La tendance est au regroupement international des principaux opérateurs, en particulier électriciens, et au modèle intégré d’activités, avec tout ce que cela comporte de « partenariats » et de constitution de « pôles de compétitivité ». On comprend par conséquent que la filière nucléaire porte beaucoup d’attention à ce qui fera la technologie de demain : la Recherche et Développement (R & D), mais aussi les questions de réglementation au niveau mondial avec une application spécifique pour produire des dossiers de certifications et de normes autorisées qui seront donc réalisées sur mesure ; le développement de l’amont du cycle – gisement, recherche de nouvelles techniques de conversion et d’enrichissement – et de l’aval – filière d’élimination et de déplacement des déchets – ; la formation, avec l’essor de nombreux masters, séminaires et conférences ; et, enfin, la mise en place d’un panel d’industriels capables de répondre aux besoins de toute la chaîne du nucléaire. C’est à qui aura le pôle d’activités le plus compétitif et le plus attractif. C’est à qui, d’EDF et d’Areva, deviendra le spécialiste mondial en démantèlement avec la caution de l’ASN. C’est à qui, de Bouygues, de Cegelec Energie, de Vinci, et même de l’ONG Wise Paris Investigation Plutonium, se positionnera en première ligne, aux côtés d’autres firmes spécialisées dans le nettoyage et la réhabilitation de zones contaminées, telles qu’Onet Industrie et Techman. Il ne faudrait pas oublier les derniers vampires, style Adecco ou Manpower, qui envoient chaque jour davantage d’intérimaires se faire irradier sur les sites nucléaires, ainsi que tous les autres prestataires de services, etc. « Business & Development », leur avenir est plein de promesses…

En fin de compte, tout ce remue-ménage autour de la relance du nucléaire et du soi-disant démantèlement vise à faire accepter aux populations l’inacceptable : survivre au milieu de la merde nucléaire, avec l’Etat dans le rôle du protecteur puisque c’est au nom de « notre » sécurité. Il est accompagné, dans la gestion de ces lendemains-qui-ne-manqueront-pas-dedéchanter- encore, par les cervelles bouillonnantes de la recherche nucléaire. En fin stratège, il a su associer les ONG et autres groupes écologistes qui, grâce à leurs critiques partielles et superficielles du nucléaire, permettent à ce manège de continuer à tourner avec, comme crédit supplémentaire, d’être démocratique. En témoigne les protestations platoniques de l’association Tchemoblaye, membre du réseau Sortir du nucléaire[7], envers le projet de Laser mégajoule… au motif que la Ligne d’intégration laser déjà existante suffit amplement ! A les écouter, ce prototype ne serait pas synonyme de course aux armements et n’aurait aucune incidence sur la recherche militaire. Est-il nécessaire de préciser qu’une partie de ces écologistes à la sauce Réseau sont des chercheurs qui, tout en faisant mine d’avoir quelques préoccupations d’avenir, tiennent à leur travail en préférant ne pas en voir les conséquences. Voilà notamment pourquoi il n’y a pas à « sauver la recherche ». Entendus ou non, leurs argumentaires ne font jamais qu’aménager un existant qui n’est pas plus vivable.

Le pouvoir et ses conseillers auront beau dire, il y aura toujours des problèmes gigantesques liés au nucléaire. Des problèmes qui n’ont pas de solutions dans ce monde car ils ne concernent pas exclusivement les retombées sanitaires présentes et futures crées par cette technologie, mais aussi la manière dont elle nous dépossède encore plus de notre vie. La puissance du nucléaire décuple celle de l’Etat ainsi que la peur qu’il inspire et grâce à laquelle il domine. Et cette dernière est bien plus large que la peur du gendarme : depuis la peur d’être atomisé façon Hiroshima à la peur de manquer d’énergie jusqu’à la peur de la moindre erreur. Or, depuis Tchernobyl, les nucléocrates eux-mêmes reconnaissent que « l’erreur est humaine », après l’avoir nié pendant des décennies, lorsqu’ils promettaient d’être capables de domestiquer le monstre, dans n’importe quelle circonstance. Mais le nucléaire est le monde de l’urgence, le monde des réactions en chaîne rapidement dévastatrices, et donc aussi celui de la paralysie : il exige des individus l’impossible, la connaissance préalable et totale de ce qui peut advenir. Par suite, il interdit de prendre du recul face à des situations inattendues et exige alors des prises de décision presque instantanées et lourdes de conséquences. Il verrouille encore plus notre présent et notre futur en nous rendant davantage dépendants de la société existante. A commencer par la dépendance envers les gourous de l’atome qui, aussi diplômés soient-ils, confient de plus en plus la « sûreté des installations » à des ordinateurs, en espérant qu’ils pourront réagir plus vite qu’eux. Mais là où les individus n’ont même plus la possibilité de faire des erreurs et, au moins d’en discuter ensemble pour les dépasser, la liberté est illusoire. Reste la liberté formelle d’accepter, au supermarché des technologies, celle déjà sélectionnée par l’Etat pour assurer la « satisfaction » de nos prétendus besoins énergétiques. Reste la liberté concédée d’acquérir des marchandises, de se vendre au plus offrant, d’échanger, d’entreprendre, de se concurrencer. Reste la liberté mesurée qui consiste à accepter sagement leurs prérogatives et à être des cobayes sous perfusion dans un monde de plus en plus mortifère, sous peine de crever encore plus vite. A cause de l’épée de Damoclès qu’il a installé au-dessus de nos têtes, le nucléaire est parvenu à instaurer un règne qu’aucun tyran n’avait pu concrétiser à ce point : la soumission durable.

Mais le nucléaire a beau ressembler à un monstre tentaculaire, il n’en demeure pas moins un colosse aux pieds d’argile. Comme la plupart des formes actuelles de domination, son socle est fragile vu qu’il repose aussi sur l’acceptation de ceux qui le subissent. Parce que le nucléaire, par la puissance technologique qu’il déchaîne et qu’il concentre dans les mains de l’Etat, ainsi que par l’hypothèque sur la liberté qu’il crée, fait partie des questions fondamentales à aborder, il ne tient qu’à nous de s’en prendre à lui et au monde qui le produit. Certes, personne de sensé n’a envie de faciliter, par des actes intempestifs, la venue de quelque accident aux conséquences tchernobylesques. Mais, comme nous l’avons vu au cours de ces quelques pages, l’univers du nucléaire n’est cependant pas réductible aux installations nucléaires existantes. Il est bien plus vaste qu’on l’imagine de prime abord : des universités aux entreprises en passant par les institutions écologistes, véritables supplétifs de l’AIEA, du CEA, etc., chacun de ces acteurs permet au nucléaire de perdurer et mérite donc notre opprobre.

Au fond, il s’agit d’opposer à leur liberté formelle, concédée, mesurée et réglementée par l’Etat et ses sbires, une liberté qui, loin de figer nos espaces et de reconduire un système de normes et de lois impératives pour tous et en toutes circonstances, accepte au contraire le tâtonnement, dans une perspective anti-autoritaire qui refuse toute logique institutionnelle. Un processus qui, sans en revenir aux conceptions, aux moyens et aux institutions propres au monde actuel, expérimente afin de se débarrasser de tout autoritarisme en rejetant toute médiation prompte à réinstaller des mécanismes de domination. Une liberté sans recette, une tension attentive et exigeante.

Et puis, comme disait l’autre, l’important, ce n’est pas la puissance de la bombe, mais ousqu’elle tombe…

Novembre 2009

 


[1]    Commissariat à l’Energie Atomique, une institution de recherche sur le nucléaire des autorités françaises.

[2]    Autorité de Sûreté Nucléaire, une institition qui, au nom de l’Etat français, contrôle toutes les activités nucléaires.

[3]             Une énorme corporation française, surtout connue pour la construction et la gestion d’infrastructures nucléaires.

[4]    International Thermonuclear Experimental Reactor, projet internationale de construction d’un réacteur pour réaliser et maîtriser la fusion nucléaire (dans le sud de la France).

[5]    Un expériment promu par le CEA; l’installation serait capable de fournir 1,8 mégajoule en énergie laser à travers une certaine irradiation.

[6]    Une partie de l’installation du Laser Mégajoule.

[7]    Organisation antinucléaire française, formée à la fin des années 90, dont font actuellement partie plus de 800 organisations. Le Réseau est une organisation réformiste dont l’opposition au nucléaire se fonde surtout sur des réfléxions écologiques et le danger que le nucléaire répresenterait pour la démocratie.

Blanqui ou l’insurrection de l’Etat

Wednesday, December 19th, 2012

Louis Auguste Blanqui (1805-1881) nous laisse au mieux un slogan et un livre. Le premier est ce Ni Dieu ni Maître qui fut le titre du journal qu’il fonda en novembre 1880, quelques mois avant sa disparition. Le second est le fascinant L’Eternité par les astres, une méditation sur l’existence de mondes parallèles et sur l’éternel retour. Un cri de bataille et un ouvrage philosophique d’astronomie : voilà tout ce qui mérite d’être retenu de Blanqui. Le reste, nous le laissons volontiers à la poubelle de l’histoire, qu’il s’agisse de ses autres journaux (comme La patrie en danger) ou de sa politique avant-gardiste et autoritaire.

Tous ne partagent pourtant pas cette conviction, à tel point que ces derniers temps, certains s’évertuent même de remettre à l’honneur ce nom qui semblait destiné à l’oubli. Sa redécouverte a été menée par les subversifs autoritaires les plus énergiques et les moins rigides, habiles dans l’art de flairer l’air du temps. Face à l’effondrement toujours plus impétueux de cette société, face à l’extension permanente du feu des émeutes, ils se sont rendus compte qu’il était plus probable (et aussi plus désirable) que se cache une insurrection qui vient au coin de la rue qu’une victoire électorale de l’extrême-gauche (qui se retrouverait par ailleurs à devoir gérer et résoudre une situation dont aucune issue ne serait indolore). Sans cela, ils auraient couru le risque de laisser le champ libre à ces rustres d’anarchistes, les seuls à n’avoir jamais abandonné les perspectives insurrectionnelles, même lors des années les plus grises de la pacification sociale. Ces autoritaires se sont aussi rendu compte que les sinistres ancêtres de la critique sociale, leurs soi-disant «classiques», ne pouvaient leur être d’aucune aide, vu qu’ils ont perdu leur éclat depuis longtemps déjà. Après leur avoir dressé des autels pendant plus d’un siècle, après avoir fait de leur pensée des phares lumineux au milieu d’une bourrasque révolutionnaire qui a terminé par le plus honteux des naufrages, leurs noms n’offrent désormais plus aucune garantie. Au contraire, ils provoquent de véritables phénomènes allergiques de rejet. Blanqui l’oublié, ce grand représentant de l’insurrectionalisme autoritaire, présente à l’inverse toutes les caractéristiques pour servir de référence historique alternative, originale, charismatique, à la hauteur de l’époque qui vient.

Marx, qui réchauffait les fauteuils du British Museum pour enseigner la plus-value ou la subsomption du capital, ou Lénine, travaillant dans un comité central pour préparer le triomphe de la bureaucratie de parti, disons la vérité, n’attisent plus grand chose. Mais Blanqui, grand Dieu, quel homme ! Il y a d’abord sa vie –auteur de nombreuses tentatives insurrectionnelles, surnommé l’Enfermé pour avoir passé 33 années derrière les murs des prisons impériales françaises–, qui suscite un respect inconditionnel à même de réduire toute critique éventuelle, sinon au silence, du moins à la prudence. Et puis il y a aussi son action militante explosive, son agitation incessante, son activisme fervent, liés à un langage simple et immédiat, qui exprime une pensée communiste réfractaire au froid économicisme marxiste. C’est d’ailleurs là que réside sa force d’attraction actuelle. Vu le manque de recul, en une époque où les yeux doivent être perçant ne serait-ce que pour trouver des alliances, Blanqui peut être apprécié par tout un chacun : par les autiautoritaires qui ont soif d’action, comme par les autoritaires en mal de discipline. S’il avait été à son époque un peu snobé par les érudits du socialisme scientifique (qui reconnaissaient ses bonnes intentions mais lui reprochaient au fond les mêmes défauts qu’à Bakounine), et combattu fermement par les ennemis de toute autorité, il dispose aujourd’hui –en pleine éclipse du sens– de toutes les cartes en main pour prendre sa revanche.

Blanqui n’était en effet pas seulement un agitateur permanent et fougueux (et là les libertaires s’évanouissent d’émotion), c’était également un dirigeant permanent et calculateur (et là les orphelins du communisme d’Etat se confondent en applaudissements). Il a joint le courage des barricades au martyr de l’enfermement, l’oeil perdu à scruter le firmament. Il n’a pas formulé de grands plans théoriques, d’élaborations sophistiquées indigestes pour les estomacs contemporains étriqués, il a aussi donné ses instructions pour une prise d’armes. Blanqui ne prétend pas élaborer des réflexions profondes, parce que les réflexes préparés d’avance lui suffisent. C’est l’icône révolutionnaire parfaite pour le marché d’aujourd’hui, à présent que les systèmes complexes sur lesquels se prendre la tête ne sont plus appréciés. Aujourd’hui, on veut des émotions intenses à consommer. Et Blanqui ne nous assomme pas avec des discours abstraits, c’est un type pratique, lui. Direct. Un de ceux à écouter, duquel on a tous à apprendre, et auquel on peut donc se fier. Voilà pourquoi il a été exhumé. Voilà pourquoi, parmi les nombreuses incarnations de la dictature révolutionnaire, c’est le seul qui puisse passer pour un aventurier fascinant plutôt que se révéler immédiatement comme un homme de pouvoir mesquin. Avec un siècle et demi de retard, Blanqui les attrape tous. S’il avait un compte Facebook, il ferait une hécatombe de «J’aime».

Une réévaluation rendue plus alléchante encore par sa tactique d’action. Récemment, vous avez vu la classe ouvrière terroriser la bourgeoisie, ou plutôt un sourire s’épanouir sur le visage de Marchionne [dirigeant de la Fiat depuis 2004] ? Vous vous êtes rendu compte à quel point le prolétariat se bat pour son émancipation plutôt que comment il balance aux flics les manifestants les plus chauds ? Vous avez entendu les rues gronder de masses d’insurgés se dirigeant vers le Palais présidentiel plutôt que de masses de supporters se rendant au stade ? Vous avez remarqué combien les exploités se passionnent pour la critique sociale radicale plutôt que pour la dernière émission de reality-show ? Dans ses mémoires, Bartolomeo Vanzetti se souvient de ses heures nocturnes passées à parcourir des livres, arrachées avec détermination au sommeil réparateur des fatigues du travail. C’était un ouvrier, mais il passait son temps libre à étudier : pour comprendre, pour savoir, pour ne pas rester de la matière première prise au piège par les engrenages du capital (ou par la dialectique de quelque intellectuel). Aujourd’hui, les cernes des travailleurs ont d’autres causes. Ceux qui veulent participer à la guerre sociale en cours doivent donc tenir compte de cette évidence : les masses se foutent de la révolution.

Mais ce n’est plus un problème, vraiment, et vous savez pourquoi ? Parce que Blanqui se foutait des masses. Il n’en avait pas besoin. Une élite lucide, capable, ardie, prête à déclencher un coup bien calibré au moment opportun lui suffisait. Les masses, comme d’habitude, se seraient adaptées au fait accompli. En somme, même au beau milieu de l’aliénation capitaliste actuelle, certains nous redonnent de l’espoir. Les léninistes sont dépassés, eux qui ne se rendent pas compte qu’il n’est plus utile de construire le grand parti à même de guider les exploités. Les anarchistes aussi sont dépassés, eux qui sont stupides au point de ne pas s’apercevoir qu’il n’y a plus de conscience à diffuser parmi les exploités, pour éviter qu’ils ne finissent aux mains des partis. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une poignée de conspirateurs subversifs capables d’élaborer et d’appliquer la stratégie correcte. Un coup de main, et la question sociale est résolue ! Il faut l’admettre – Blanqui est l’homme juste redécouvert au moment juste par des personnes qui ne peuvent qu’être justes.

Si justes d’ailleurs, qu’elles se gardent bien de prendre en considération la pensée de Blanqui dans son essence, détestable sous bien des aspects. Et ils le savent. Ses amis imaginaires en sont tellement conscients qu’ils se limitent à en vanter la puissance, le style, le sentiment, la détermination (qualités toutes admirables sans doute, mais qui ne nous disent pas grand chose sur celui qui les possède : Napoléon, Mussolini ou Ben Laden auraient aussi pu s’en vanter). Quant à ses amis réels, comme le communard Casimir Bouis, par ailleurs son éditeur, ils n’avaient pas de doutes sur le pourquoi du prestige de Blanqui : «c’est l’homme d’Etat le plus complet que possède la révolution». Oui, la puissance blanquiste, le style blanquiste, le sentiment blanquiste, la détermination blanquiste – toutes choses mises au service d’un projet politique bien précis : la conquête du pouvoir. Et cela, même son surprenant traité d’astronomie, même son slogan le plus juste, ne réussiront jamais à nous le faire oublier.

Qui sait pourquoi parmi tous les braves gens qui veulent dresser les louanges d’un conspirateur du passé, d’un barricadier, d’un persécuté influent sur le mouvement, le nom de Bakounine n’est venu à l’esprit d’aucun ? Parce que si on se souvient du nom de Bakounine comme de celui d’un démon de la révolte, comme un synonyme de liberté absolue, celui de Blanqui serait plutôt synonyme de dictature. Bakounine souhaitait l’«anarchie», Blanqui annonçait l’«anarchie régulière» (il n’est pas adorable cet adjectif ?). Bakounine invoquait le «déchaînement des mauvaises passions», Blanqui prescrivait qu’«aucun mouvement militaire ne devant avoir lieu que d’après l’ordre du commandant en chef, il ne sera élevé de barricades que sur les emplacements désignés par lui» (le commandant auto-désigné, cela va sans dire, c’était lui, évidemment). Bakounine recherchait chez les conspirateurs quelqu’un de «pleinement convaincu que l’avènement de la liberté est incompatible avec l’existence des Etats. Il doit vouloir pour cela la destruction de tous les Etats en même temps que celle de toutes les institutions religieuses, politiques et sociales, dont : les Eglises officielles, les armées permanentes, les ministères, les universités, les banques, les monopoles aristocratiques et bourgeois. Cela afin que sur leurs ruines puisse finalement surgir une société libre, qui s’organise non plus comme aujourd’hui de haut en bas et du centre à la périphérie à travers l’unité et la concentration forcée, mais plutôt en partant du libre individu, de la libre association et de la commune autonome, de bas en haut et de la périphérie au centre, à travers la libre fédération». Blanqui cherchait quelqu’un qui, à la question «juste après la révolution, est-ce que le peuple pourra se gouverner de lui-même ?», réponde : «l’état social étant gangrené, pour passer à un état sain, il faut des remèdes héroïques. Le peuple aura besoin, pendant quelque temps, d’un pouvoir révolutionnaire» ; et qui mettrait en acte ses dispositions immédiates comme la «substitution du monopole [d’Etat] à la place de tout patron expulsé… Réunion au domaine de l’Etat de tous les biens meubles et immobiliers des Eglises, des communautés et congrégations des deux sexes, comme de leur prête-nom… Réorganisation du personnel de la bureaucratie… Remplacement de toutes les contributions directes ou indirectes par un impôt direct, progressif sur les successions et sur les rentes… gouvernement : dictature parisienne».

Si au cours du XIXe siècle, Bakounine et Blanqui n’ont pas été que deux révolutionnaires comme beaucoup d’autres, si leur nom a acquis une telle réputation, c’est parce qu’ils ont été l’incarnation de deux idées différentes et opposées, parce qu’ils ont représenté pour le monde entier les deux visages possibles de l’insurrection : celui anarchiste contre l’Etat, et celui autoritaire en faveur d’un nouvel Etat (d’abord républicain, puis socialiste, et enfin communiste).

Se sentir proche de l’un ou de l’autre, constitue en soi encore aujourd’hui le choix d’un camp sans équivoque.

Pour Blanqui, l’Etat représentait l’instrument moteur de la transformation sociale, vu que «le peuple ne peut sortir du servage qu’avec l’impulsion de la grande société de l’Etat, et il faut un beau courage pour défendre le contraire. En effet, l’Etat n’a pas d’autre mission légitime». Critiquant les idées proudhoniennes, il arguait que toute théorie qui prétendait émanciper le prolétariat sans avoir recours à l’autorité de l’Etat lui semblait une chimère ; pire, il s’agissait «peut-être» d’une trahison. Il n’était pas si ingénu jusqu’à se créer des illusions. Il était simplement persuadé que «bien que tout pouvoir soit par nature oppresseur», tenter de s’en passer ou de s’y opposer reviendrait à «convaincre les prolétaires qu’il serait facile de marcher pieds et poings liés». Ceux qui tenteraient donc de faire passer la réévaluation de l’Enfermé au nom d’un intérêt pour la seule pratique de l’insurrection, d’une nécessité technique qui irait au-delà de toute perspective commune, ceux-là mentiraient délibérément (à l’exception naturellement des nigauds libertaires dont ce n’est même pas la peine de parler). Si Blanqui recherchait bien un accord «sur le point capital, je veux dire les moyens pratiques qui, en définitive, sont toute la révolution», il ne cachait pas par ailleurs le lien qui unit l’action à la pensée : «les moyens pratiques se déduisent des principes et dépendent aussi de l’appréciation des hommes et des choses». Un de ses textes les plus connus, ces Instructions pour une prise d’armes qui ont continué après les Situationnistes à fasciner tant de jeunes intellectuels aspirants généraux d’une nouvelle armée rouge, n’est pas qu’un manuel pour des insurgés. Ce n’est pas pour rien que la revue Critique sociale l’avait déjà publié en 1931, non pas attirée par son «côté strictement militaire et anachronique», mais pour souligner «la valeur de cette importante contribution à la critique des soulèvements anarchistes». En effet, ces Instructions sont une apologie permanente du besoin d’une autorité capable de mettre fin à une liberté considérée comme contre-productive. C’est le cri écoeuré d’un homme d’ordre à la vue de tant de désordres – « de petites bandes vont désarmer les corps de garde ou saisir la poudre et les armes chez les arquebusiers. Tout cela se fait, sans concert ni direction, au gré de la fantaisie individuelle.» Ce texte est un acte d’accusation contre «le vice de la tactique populaire, cause certaine des désastres. Point de direction ni de commandement général, pas même de concert entre les combattants…. les soldats n’en font qu’à leur tête».

En somme, si l’insurrection est défaite malgré le courage et l’enthousiasme de ceux qui y prennent part, c’est parce qu’il «manque l’organisation. Sans organisation, pas de possibilité de succès». Cela semble évident, mais comment obtient-on cette organisation, cette coordination, cet accord entre les insurgés ? A travers la diffusion horizontale, préventive et la plus étendue possible, d’une conscience, d’une attention, d’une intelligence sur les nécessités du moment (hypothèse libertaire), ou bien à travers l’instauration verticale d’un commandement unique qui exige l’obéissance de tous, ce tous tenus jusqu’alors dans l’ignorance (hypothèse autoritaire ?).  Blanqui a bien entendu ses instructions pratiques à donner en la matière : «une organisation militaire, surtout quand il faut l’improviser sur le champ de bataille, n’est pas une petite affaire pour notre parti. Elle suppose un commandement en chef et, jusqu’à un certain point, la série habituelle des officiers de tous grades». Afin d’en finir avec «ces soulèvements tumultueux, à dix mille têtes isolées, agissant au hasard, en désordre, sans nulle pensée d’ensemble, chacun dans son coin et selon sa fantaisie», Blanqui ne cesse de fournir sa recette : «il faut encore le répéter : la condition sine qua non de la victoire, c’est l’organisation, l’ensemble, l’ordre et la discipline. Il est douteux que les troupes résistent longtemps à une insurrection organisée et agissant avec tout l’appareil d’une force gouvernementale». Voilà la pratique blanquiste de l’insurrection : une organisation sans pitié pour l’ennemi, mais qui sait imposer en son sein ordre et discipline, sur le modèle de l’appareil d’une force de gouvernement.

Pour nous, cette puanteur de caserne ne provoque qu’horreur et dégoût. Même s’il devait flotter dessus un  drapeau rouge ou rouge et noir, ce serait toujours un lieu d’écrasement et d’abrutissement. Une insurrection qui, plutôt que de se développer en liberté à bride abattue, se mettrait au garde-à-vous devant une autorité serait perdue d’avance, elle deviendrait le simple vestibule d’un coup d’Etat. Contre cette possibilité lugubre, on peut heureusement toujours faire confiance à l’enivrant plaisir de la révolte qui, une fois qu’elle explose, est capable d’envoyer valser tous les calculs de ces stratèges.

Maurice Dommanget, qui a dédié à Blanqui une vie entière de dévotion, rapporte le climat qui régnait à Paris lors de la tentative insurrectionnelle du 12 mai 1839 : «Blanqui cherchait à donner des ordres, à empêcher les désertions qui commençaient, à “vouloir organiser la foule”, tâche difficile, vu que presque personne ne le connaissait. Tous criaient. Tous voulaient commander. Et personne obéir. C’est alors que s’est produite une dispute plutôt vive et symptomatique entre Barbès et Blanqui, que personne n’avait jusqu’à présent signalée. Barbès accusa Blanqui de tous les avoir laissés tomber, Blanqui accusa Barbès d’avoir découragé tout le monde par sa lenteur, et provoqué le départ des pusillanimes et des traitres». Lorsque l’insurrection éclate, lorsque la normalité cesse à l’improviste de freiner les possibilités humaines, lorsque tous veulent commander parce qu’aucun ne veut plus obéir, les prétendus chefs perdent toute autorité, s’empressent inutilement de donner des ordres, en viennent à se disputer entre eux. Le désordre des passions a été et sera toujours le meilleur et le plus efficace antidote à l’ordre de la politique.

La meilleure façon de comprendre l’abysse qui sépare la conception autoritaire de l’action insurrectionnelle de celle qui se veut antiautoritaire, est peut-être de les mettre face à face dans la même période, au sein du même contexte historique. Rien n’est plus instructif à ce propos qu’une comparaison entre Blanqui et Joseph Déjacque, l’anarchiste français proscrit après avoir participé aux journées de 1848. Quel est le modèle organisationnel dont Blanqui se fait l’apôtre ? Une structure pyramidale, rigidement hiérarchisée, comme par exemple sa Société des Saisons qui a précédé la tentative insurrectionnelle de mai 1839 : son premier élément était la semaine, composée de six membres et soumise à un dimanche ; quatre semaines formaient un mois, aux ordres d’un juillet ; trois mois formaient une saison, dirigée par un printemps ; quatre saisons formaient une année, commandée par un agent révolutionnaire ; et ces agents révolutionnaires constituaient ensemble un comité exécutif secret, inconnu des autres affiliés, dont le généralissime ne pouvait être que Blanqui. Au moment crucial, lorsque fut enfin décrétée l’insurrection, le comité de la Société des Saisons diffusa un appel au peuple, où il lui communiquait que «le gouvernement provisoire a choisi des chefs militaires pour diriger le combat : ces chefs sortent de vos rangs ; suivez-les, ils vous mèneront à la victoire. Sont nommés : Auguste Blanqui, commandant en chef…». Les expériences qui ont suivi ne l’ont pas fait changer d’avis, comme le démontrent, en plus de la publication des Instructions pour une prise d’armes déjà citée et qui remonte à 1868, la société républicaine centrale de 1848 ou la Phalange et ses groupes clandestins de lutte en 1870. Toute sa vie, Blanqui n’a jamais cessé de comploter contre le gouvernement en place, mais toujours de manière militariste, hiérarchisée et centralisatrice, toujours dans le but d’instaurer un comité de salut public à la tête de l’Etat. A l’opposé, Déjacque évoquait dans ses notes à la Question révolutionnaire (1854) la possibilité et l’urgence de passer à l’attaque avec des sociétés secrètes, incitant à la création de petits groupes autonomes : «que tout révolutionnaire choisisse, parmi ceux sur lesquels il croit pouvoir le mieux compter, un ou deux autres prolétaires comme lui. Et que tous, — par groupes de trois ou quatre n’étant pas reliés entre eux et fonctionnant isolément, afin que la découverte de l’un des groupes n’amène pas l’arrestation des autres, — agissent dans un but commun de destruction de la vieille société». De la même manière, dans les pages de son journal Le Libertaire (1858), il rappelait comment grâce à la rencontre entre les subversifs et les classes dangereuses, «la guerre sociale prend des proportions quotidiennes et universelles… Nous nous complétons, nous, la plèbe des ateliers, d’un élément nouveau, la plèbe des bagnes… Chacun de nous pourra continuer à faire de la rébellion selon ses aptitudes». Là où Blanqui “invitait” le peuple à demeurer une masse de manoeuvre, encadrée, disciplinée et obéissante aux ordres de ses chefs autoproclamés, Déjacque s’adressait à chaque prolétaire pour le pousser à l’action libératrice, sur la base de ses propres capacités et aptitudes et avec ses complices les plus proches. Il n’est donc pas étonnant que le même Déjacque ait marqué au fer rouge les aspirations dictatoriales de Blanqui : «l’autorité gouvernementale, la dictature, qu’elle s’appelle empire ou république, trône ou fauteuil, sauveur de l’ordre ou comité de salut public ; qu’elle existe aujourd’hui sous le nom de Bonaparte ou demain sous le nom de Blanqui ; qu’elle sorte de Ham ou de Belle-Ile ; qu’elle ait dans ses insignes un aigle ou un lion empaillé… la dictature n’est que le viol de la liberté par la virilité corrompue, par les syphilitiques».

Là encore, se sentir proche de l’un ou de l’autre n’est pas indifférent, et constitue le choix d’un camp sans équivoque.

Il y a enfin un dernier aspect de Blanqui qui, pour un oeil attentif, a peut-être semblé méritoire d’être dépoussiéré – il s’agit de son opportunisme. Affichant un certain désintérêt pour les questions théoriques et un fort attachement aux seuls problèmes matériels de l’insurrection, Blanqui est le pionnier d’une tendance aujourd’hui plutôt à la mode dans les milieux subversifs : le tacticisme (recours sans scrupules à des manoeuvres ou des expédients pour obtenir des autres ce qu’on désire) au nom de la tactique (technique d’utilisation et de manoeuvre de moyens militaires). Les spécialistes de Blanqui emploient en général le terme éclectisme pour décrire ses changements habiles et intéressés de positions. Sa conception de l’insurrection comme résultat d’un mouvement stratégique et non comme un fait social, le portait en effet à conclure que la fin justifiait tous les moyens. Pour lui, ce n’est pas la manière qui comptait, mais le résultat, c’est-à-dire la conquête effective du pouvoir politique. Voilà pourquoi, malgré son goût pour les conspirations, il tenta en 1848 de diriger un mouvement démocratique favorable à la participation aux élections. Comme le rappela son camarade Edouard Vaillant, son porte-parole au congrès de la Première Internationale à Londres en septembre 1871 : «l’oeuvre de la révolution était la destruction des obstacles qui obstruaient la voie : son premier devoir était de “désarmer la bourgeoisie, d’armer le prolétariat”, armer le prolétariat de toutes les forces du pouvoir politique conquis, pris à l’ennemi. Dans ce but, les révolutionnaires ont du partir à l’assaut du pouvoir, marcher contre lui sur tous les chemins : agitation, action, parlement, etc. Ils ne se sont pas enfermés dans la “prison modèle” d’un dogmatisme quelconque. Ils n’ont pas de préjugés».

Cette absence de «préjugés» –qui à l’époque, au-delà de toute cohérence éthique, étaient au moins des intuitions dictées par un minimum d’intelligence– a mené Blanqui à des résultats parfois embarrassants. En 1879, quelques années après avoir tonné qu’«il faut en finir avec le désastreux prestige des assemblées délibérantes», il tenta sans y parvenir de se faire élire député de Lyon. Pour réaliser ce louable projet insurrectionnel, il demanda de l’aide à son ami Georges Clémenceau, alors député radical, auquel il écrivait : «devenez à la Chambre l’homme de l’avenir, le chef de la révolution. Elle n’a su ni pu en trouver depuis 1830. La chance lui en donne un, ne le lui enlevez pas.» Comme chacun le sait désormais, Clémenceau fera effectivement une grande carrière, devenant d’abord sénateur, puis ministre de l’Intérieur, et par deux foix Président du Conseil. C’est à force de sanglantes répressions de grèves et de révoltes qui culmineront par plusieurs massacres de prolétaires, à force de chasses sans pitié aux subversifs de tous bords, sans parler de son interventionisme lors de la Première guerre mondiale, qu’il gagnera le surnom de «premier flic de France». On ne peut pas dire que Blanqui ait été très clairvoyant lorsqu’il a justement demandé au futur chef de la réaction de devenir le chef de la révolution ! Mais au fond, ce n’est pas si étrange. Il avait vu en Clémenceau l’étoffe du leader politique, du condottiere. Il ne parvenait pas à comprendre que le pouvoir est la tombe de la révolution.

Voilà pourquoi nous n’avons aucune raison de rendre hommage au cadavre de cet aspirant dictateur. Au-delà peut-être d’un slogan et d’un livre, sa mémoire reste puante. Puante comme sa puissance d’Etat-major, son style militaire, son esprit de caserne, sa détermination en tenue camouflage («ses amis étaient convaincus que la personnalité dominante en lui était celle d’un général», écrivait le bon Dommanget). Que ses admirateurs, vieux ou nouveaux chefs de file du parti de l’insurrection d’Etat aillent donc fouiller dans sa tombe, pour en respirer les miasmes avec émotion. Avec les tremblement telluriques de ces derniers temps, qui sait s’ils ne finiront pas ensevelis aux côtés de leur Maître – l’éternité par la fange.

(traduit de Finimondo.org, décembre 2011)

En arrière tête

Louis Auguste Blanqui (1805 – 1881) a passé plus de 30 ans de sa vie en prison, ce qui lui vaut le surnom de « L’enfermé ». Moins parce qu’il voulait détruire le pouvoir, qu’en raison du fait qu’il lorgnait sur une prise de ce pouvoir, au nom de l’émancipation de la populace. Après des études de Droit et de Médecine, Blanqui adhère en 1824 à l’un des groupes de Carbonari ; des sociétés sécrètes révolutionnaires au programme libéral et patriotique, ayant fortement contribué à l’unification de l’Italie. Les groupes de Carbonari sont à la base du nationalisme moderne républicain italien. En 1830, Blanqui participe à la révolution de Juillet à Paris, après laquelle une monarchie constitutionnelle est fondée. En 1939, une insurrection blanquiste a lieu à Paris. La société sécrète Société des Saisons, fortement hiérarchisée sous les ordres de Blanqui, y joue un rôle de premier ordre. Ensuite, Blanqui est condamné à mort, condamnation qui sera plus tard commuée en perpétuité.

Lors de la révolution de 1848, où -lors de l’insurrection- l’on assiste à un affrontement entre la bourgeoisie républicaine et le prolétariat rebelle de Paris, Blanqui est libéré. Plus tard, dans ses fameuses « Instructions pour une prise d’armes », il passera au crible le caractère chaotique et décentralisé des insurrections prolétariennes à Paris : selon lui, seul un organe centralisé et discipliné serait à même de mener « à bien » l’insurrection. Blanqui participe d’ailleurs aux événements de 1848 comme leader de la société secrète « Société Républicaine Centrale ». Après le massacre du prolétariat parisien, il est enfermé par le nouveau pouvoir bourgeois.

Il s’évade en 1865 et retourne en France en 1869, suite à une amnistie générale. Entre-temps, le nombre de ses adeptes a grandi à un point tel que l’on pourrait parler d’un véritable parti blanquiste, divisé et structuré en plusieurs sections.

En 1870, Blanqui et ses camarades font encore deux tentatives infructueuses de soulèvement armé : l’un à l’occasion des funérailles d’un journaliste ayant été assassiné et l’autre, durant lequel une caserne est prise d’assaut et des armes dérobées. Alors que la tension sociale ne cesse de monter à Paris, Thiers, chef du gouvernement français, fait arrêter et enfermer Blanqui, le 17 mars 1871. Un jour plus tard, c’est le « début » de la Commune de Paris. Bien qu’incarcéré, Blanqui est néanmoins élu membre de la Commune. Une proposition d’échange de prisonniers est refusée par le gouvernement central. Marx prétendra plus tard que c’était un Blanqui qui faisait défaut à la Commune ; en d’autres mots, un chef autoritaire qui s’en tient aux strictes visions militaires et politiques de l’insurrection et l’organise de façon centraliste.

Comme tant d’autres, Blanqui est déporté après la défaite de la Commune. Ce n’est qu’en 1879 qu’il est libéré. Il mourra deux ans plus tard.

Blanqui, ou plutôt, l’idéologie du blanquisme, est souvent cité comme exemple classique d’une vision autoritaire de la révolution : celle-ci elle devant avoir lieu sous l’impulsion d’un petit groupe de jurés prenant le pouvoir. Une fois celui-ci conquis, les jurés instaureraient le socialisme via l’Etat. Il n’est pas difficile de voir la manière dont les conceptions bolcheviques de la révolution, élaborées entre-autres par Lénine, constituent une continuation de la tradition blanquiste.

Annexe 1: Lettre à la galaxie anarchiste

Wednesday, December 19th, 2012

Sans y être invité, nous pénétrons par cette lettre dans un débat qui n’est pas le nôtre. Et qui ne sera jamais le nôtre, parce qu’il est posé sur un terrain qui nous semble rester stérile pour la quête des perspectives insurrectionnelles et les idées et activités anarchistes qui mettent leur attention là-dessus. Pourquoi alors écrire une telle lettre, pourrait-on se demander ? Parce qu’il n’y a rien qui nous est aussi chaud au cœur que la révolte libératrice et destructrice, que la lutte pour la subversion de l’existant ; parce que nous continuerons toujours à nous reconnaître dans tous les compagnons qui, poussés par un désir de liberté, vont à l’assaut des structures et des hommes de la domination ; parce que nous valorisons infiniment la force de la volonté individuelle, la recherche de la cohérence et le courage de malgré tout, essayer de mettre le feu à la poudrière. Ne considérez pas ces prémisses comme une vaine tentative de passer de la pommade ; elles sont sincères, tout comme l’est notre préoccupation face à l’amputation volontaire du champ de bataille anarchiste.

Ne mâchons pas les mots : plus que jamais, il y a besoin de l’intervention destructive des anarchistes, plus que jamais, c’est le moment d’intensifier nos combats, d’aller à la recherche de possibilités et d’hypothèses pour étendre la révolte, rendre possible l’insurrection et accélérer ainsi le possible bouleversement de ce monde. Mais ce besoin et cette pulsion ne nous exempte pas de l’obligation de réfléchir sur le quoi, où, quand, comment et pourquoi.

Pour ne pas y aller par quatre chemins : quelles raisons poussent des anarchistes (sachant qu’on n’a pas de problèmes à comprendre les raisons des autoritaires) à revendiquer systématiquement leurs actes et à les signer avec des sigles entretemps devenus mondiaux ? Qu’est-ce qui leur porte à croire que la question difficile des perspectives peut être résolue en mettant une revendication sur internet ou en l’envoyant aux médias ? Qu’est-ce qui fait qu’aller sur un tel chemin semble aujourd’hui être associé à une profonde forme de cohérence entre penser et agir, entre idées et pratiques, alors qu’il s’agit plutôt d’une liquidation illusoire de la tension permanente entre la théorie et la pratique, celle qui devrait exister et qui est certes la force propulsive derrière la lutte anarchiste ?

Cette manie qui semble faire boule de neige, risque d’éclipser rapidement les autres actes de révolte. Non seulement les actes des anarchistes qui se passent joyeusement de la pilule amère et toujours décevante de la revendication, mais aussi et peut-être surtout plus généralement tout le panorama de rébellion et de conflictualité sociale. Voilà peut-être une des « raisons » qui nous a incités à écrire ce texte. En avoir marre d’éprouver et de constater que le champ de bataille anarchiste, le champ de bataille de l’attaque, du sabotage et de l’expropriation sont toujours plus assimilés avec un sigle et en tant que tel, avec une représentation politique ; en avoir marre de voir comment les horizons se réduisent faussement à deux choix contradictoires uniquement en apparence : soit on choisit pour l’anarchisme « gentil » et on se met à courir derrière des assemblées, des mouvements populaires et des syndicats de bases ; soit on choisit l’anarchisme « méchant », et alors on est gentiment prié de tamponner ses contributions à la guerre sociale avec un sigle – et sinon, d’autres le feront à ta place.

Car nous aussi, nous passons à l’attaque. Nous aussi, nous sortons pour saboter la machinerie du capital et de l’autorité. Nous aussi, nous choisissons au quotidien de ne pas accepter une position de mendiant et de ne pas ajourner l’expropriation nécessaire. Seulement, nous pensons que nos activités font simplement partie d’une conflictualité sociale plus large, une conflictualité qui n’a besoin ni de revendications ni de sigles. Seulement, nous pensons que ce n’est que quand les actes sont anonymes, qu’ils peuvent être appropriés par tout le monde. Seulement, nous pensons que tamponner des actions d’attaque les catapulte du champ social vers le champ politique, vers le champ de la représentation, de la délégation, de la séparation entre acteurs et spectateurs. Et comme ça a souvent été répété dans ce type de débats, il ne suffit pas de proclamer le refus de la politique pour qu’il soit effectif. Le refus de la politique se trouve entre-autres dans la cohérence entre les moyens et les fins, et il n’y a pas d’instrument plus politique que la revendication, tout comme le sont la carte-membre, le programme et la déclaration des principes de base.

De plus, on voit bien sévir une confusion qu’on veut, une fois de plus, souligner et combattre, car il nous est indigeste de continuer à observer des significations qu’on donne ces jours à certains concepts, comme par exemple l’informalité. Le choix pour un mouvement anarchiste informel et autonome, c’est un choix qui signifie le refus des structures fixes, des organisations de membres, des fédérations centralisatrices et unificatrices ; et donc aussi de signatures qui reviennent tout le temps, si ce n’est de toute signature. C’est le refus de dresser des programmes, c’est le bannissement de tous les moyens politiques ; et donc aussi des revendications programmatiques, peut importe s’ils s’auto-dénomment, digitalement, formels ou bien « informels ». En sens positif, l’informalité est pour nous un archipel sans bornes et non circonscrit de groupes autonomes et d’individus autonomes, qui entre eux forgent des liens basés sur l’affinité et la connaissance réciproque et qui, sur cette base là, décident de réaliser des projets communs. C’est le choix pour des cercles petits et affinitaires qui font de leur autonomie, leurs perspectives et leurs méthodes d’action la base pour construire des liens avec d’autres. L’organisation informelle n’a donc rien à voir avec des fédérations, des acronymes ou des sigles. Et que faisait parler certains compagnons non seulement d’informalité, mais aussi d’« insurrectionalisme » ? Au péril de ternir l’ample panorama d’idées, d’analyses, d’hypothèses et de propositions, on pourrait dire que « l’insurrectionalisme » est l’ensemble des méthodes et des perspectives qui, en partant d’un anarchisme sans compromis, cherchent à contribuer à des « situations insurrectionnelles ». L’arsenal des méthodes dont y disposent les anarchistes, est énorme. Il faut comprendre que l’utilisation de certaines méthodes (agitation, attaque, propositions organisatrices etc.) ne signifient en soi que très peu : ce n’est que dans une projectualité réfléchie et évoluant qu’elles acquièrent leur sens dans la lutte. Brûler un bâtiment de l’Etat est sans doute toujours bon, mais ne signifie pas en soi de s’inscrire dans une perspective insurrectionnelle. Et ceci vaut encore moins pour le choix de, par exemple, cibler les attaques plutôt contre des objectifs centraux et médiatiques avec la confession de foi qui en va de pair ensuite. Ce n’est pas un hasard si dans les différents moments de projectualités insurrectionnelles, l’emphase a surtout été mis sur des attaques modestes, reproductibles et anonymes contre les structures et les hommes toujours plus décentralisés de la domination, ou sur la nécessité de sabotages ciblés d’infrastructures, des sabotages qui n’ont besoin d’aucun écho médiatique pour atteindre leur but, c’est-à-dire la paralysie, par exemple, des flux de transports, de données et d’énergie du pouvoir.

Il nous semble que derrière l’actuelle manie de revendications ne se cachent pas trop de perspectives – ou au moins, nous avons du mal à les apercevoir. En effet, et par là nous ne voulons d’aucune manière enlever quoi ce soit à la rébellion sincère et courageuse de ces compagnons, il semble que c’est surtout la reconnaissance qui est recherchée. Une reconnaissance par l’ennemi, qui complètera rapidement ses listes d’organisations terroristes, signifie souvent le début de la fin : l’ennemi se met alors en route pour isoler une partie de la conflictualité plus large. Un isolement qui n’est pas seulement le présage de la répression (et en fait, ceci ne compte pas vraiment, car la répression est toujours là – loin de nous de commencer à pleurer sur le fait que le pouvoir suive les activités anarchistes avec défiance, et donc les poursuit), mais surtout, et voilà le plus important, que c’est la meilleure manière pour contrer une éventuelle contamination. Dans l’état actuel du corps social, qui est malade et en train de pourrir, le pouvoir ne peut se souhaiter rien de mieux qu’un couteau bien reconnaissable et circonscrit qui essaye d’entailler un peu ici et là, et il n’y a rien qu’il craint plus qu’un virus qui risque de contaminer de façon insaisissable et donc incontrôlable tout le corps. Ou est-ce qu’on se trompe et s’agit-il peut-être d’une reconnaissance par les exploités et les exclus ? Mais est-ce que ne sommes-nous, les anarchistes, justement pas les ennemis de toute forme de délégation, d’exemples illuminés qui souvent ne font que légitimer la propre résignation ? Certes, nos pratiques peuvent être contagieuses, nos idées d’ailleurs encore plus, mais uniquement quand elles remettent la responsabilité d’agir à chaque individu particulier, distinct ; que quand elles démasquent la résignation comme étant un choix individuel. Faire enflammer les cœurs, certainement, mais quand elles ne disposent pas de l’oxygène d’une propre conviction, elles s’éteindront rapidement et s’en suit, dans le « meilleur » des cas, qu’un peu d’applaudissements pour les martyres en devenir. Et encore, car maintenant que la médiation politique (partis, syndicats, réformisme) s’épuise petit-à-petit et devient de fait dépassée ; maintenant que la rage peut librement tendre les mains vers tout ce qui détruit la vie, il serait vraiment trop ironique si les insoumis de la politique par excellence, les anarchistes, reprennent le flambeau de la représentation et, en suivant l’exemple des prédécesseurs autoritaires, séparent la conflictualité sociale de la subversion immédiate de tous les rôles sociaux. Et peu importe s’ils voudraient faire ça en se mettant à la tête des mouvements sociaux, en entraînant par la rhétorique des assemblées populaires ou en tant que groupe armé spécifique.

Ou s’agit-il d’une aspiration vers la « cohérence » ? Malheureusement, il y en a toujours eu de ces anarchistes qui échangent la recherche de la cohérence pour des accords tactiques, des alliances écœurantes et des séparations stratégiques entre les moyens et les fins. Une cohérence anarchiste se trouve entre-autres certes dans la négation de tout ça. Mais par ça, ce n’est pas dit que par exemple une certaine condition de « clandestinité » serait plus cohérente. Quand la clandestinité n’est plus vue comme une nécessité, que ce soit à cause de la chasse répressive ou parce que sinon, il devient impossible de réaliser certaines actions, mais plutôt comme une espèce de summum d’activité révolutionnaire, il y a peu qui reste encore debout du fameux a-légalisme. Au lieu de rechercher la cohérence au-delà des lois et des commandements et donc d’accepter l’affrontement, le légalisme est simplement renversé en « illégalisme » où, tout comme dans le légalisme, le caractère subversif d’activités est quantifié et mesuré par la possible peine de prison correspondant. Le refus du légalisme n’est certainement pas la même chose que le choix absolu pour « l’illégalisme ». Il suffirait peut-être de faire un parallèle facile avec la situation sociale en Europe pour s’en faire une image : ce n’est pas parce que des milliers de gens se retrouvent de fait dans une situation de « clandestinité » (les sans-papiers), qu’ils deviennent alors automatiquement et objectivement une menace pour le légalisme et pourraient ainsi être perçus comme des « sujets révolutionnaires ». Pourquoi serait-il autrement pour des anarchistes qui se retrouvent dans une condition de clandestinité ?

Ou s’agit-il de faire peur à l’ennemi ? Comme on le rencontre assez souvent dans les revendications, il existe apparemment des anarchistes qui croient pouvoir faire peur au pouvoir en faisant des menaces, en publiant des photos d’armes ou en faisant exploser quelques bombes (et parlons même pas de la pratique abjecte d’envoyer pêle-mêle des colis-piégés). Face aux massacres quotidiens organisés par le pouvoir, ceci témoigne d’une particulière naïveté, surtout pour des ennemis du pouvoir qui ne se font pas d’illusions par rapport à des puissants plus compréhensifs, un capitalisme à visage humain, des rapports plus justes à l’intérieur du système. Si, malgré toute son arrogance, le pouvoir craint quelque chose, ce serait certes la diffusion de la révolte, la dissémination de la désobéissance, les cœurs qui s’enflamment hors de tout contrôle. Et c’est clair que les éclairs de la répression n’épargneront aucunement les anarchistes qui veulent y contribuer, mais ceci ne prouve d’aucune manière combien « dangereux » nous sommes. La seule chose que ceci voudrait peut-être dire, c’est combien dangereux serait-il si nos idées et pratiques se diffusaient parmi les exclus et les exploités.

Ça continue alors de nous étonner combien l’idée d’une sorte d’ombre ne séduit plus les anarchistes d’aujourd’hui, au moins, ces anarchistes qui ne veulent pas se résigner, attendre ou construire à l’infini des organisations de masses etc. Autrefois on en était fier : faire tout notre possible pour faire étendre le marécage de la conflictualité sociale et le rendre ainsi impénétrable pour les forces de la répression et de la récupération. On n’était pas à la recherche de la lumière des spots, ni à la gloire des guerriers ; dans l’ombre, dans la partie obscure de la société, on faisait notre contribution à la perturbation de la normalité, à la destruction anonyme des structures du contrôle et de la répression, à la « libération » par le sabotage de l’espace et le temps pour que les révoltes sociales puissent poursuivre leurs cours. Et fièrement, on diffusait ces idées, de manière autonome, sans avoir recours à des échos médiatiques, loin du spectacle politique, même « oppositionnel ». Une agitation qui ne recherchait pas à être filmée, à être reconnue, mais qui voulait partout encourager la rébellion et forger des liens, dans cette révolte partagée, avec d’autres rebelles.

Aujourd’hui nombre de compagnons semblent préférer la solution facile d’une identité à la diffusion des idées et de la révolte, réduisant ainsi par exemple les relations affinitaires à l’adhérer à quelque chose. Evidemment, il est plus facile de prendre et de consommer des opinions prêtes-à-porter des rayons du supermarché militant, plutôt que d’élaborer un propre parcours de lutte qui en rompt avec. Evidemment, il est plus facile de se donner l’illusion de force par un sigle partagé que de comprendre que la « force » de la subversion se cache dans la mesure et la manière où elle réussit à contaminer le corps social avec des idées et des pratiques libératrices. L’identité et « la formation d’un front » offrent peut-être la douce illusion de signifier quelque chose, surtout dans le spectacle des technologies de communication, mais ne détruit pas le moindre obstacle. Pire encore, ceci manifeste tous les symptômes d’une vision peu anarchiste sur la lutte et la révolution, une vision qui croit pouvoir mettre en place, face au mastodonte du pouvoir, de manière symétrique, un illusoire mastodonte anarchiste. La conséquence inévitable, c’est l’horizon qui rétrécit et qui finit par du nombrilisme peu intéressant, quelques coups sur les épaules ici et là et la construction d’un exclusif cadre autoréférentiel.

Il ne nous étonnerait pas que cette manie paralyserait d’avantage le mouvement anarchiste autonome quand il s’agit de notre contribution aux révoltes toujours plus fréquentes, spontanées et destructives. Enfermés dans l’autopromotion et l’autoréférentiel, avec une communication qui se réduit à la publication de revendications sur internet, il ne semble pas que les anarchistes puissent faire grand-chose quand le bordel éclatera près de chez eux (à part les quelques explosions et incendies habituels, souvent contre des cibles que les révoltés eux-mêmes étaient déjà très bien en train de détruire). Au plus que nous semblons approcher la possibilité d’insurrections, au plus palpable ces possibilités deviennent, au plus les anarchistes semblent apparemment ne plus vouloir s’intéresser à l’insurrection. Et ceci vaut aussi bien pour ceux qui se noient dans le repris du rôle de la gauche mourante que ceux qui sont en train de s’enfermer dans une quelconque idéologie de la lutte armée. Mais clarifions un instant ce dont il s’agit quand on parle de perspectives insurrectionnelles et d’insurrection. Il ne s’agit là certainement pas d’une simple multiplication du nombre d’attaques, et encore moins quand celles-ci semblent (vouloir) devenir le terrain exclusif des anarchistes avec leurs fronts. Beaucoup plus qu’un duel armé au singulier avec l’Etat, l’insurrection est la rupture multiple avec le temps, l’espace et les rôles de la domination, une rupture forcément violente, qui pourrait devenir le début d’une subversion des rapports sociaux. Dans ce sens, l’insurrection est plutôt un déchainement social qui dépasse le simple fait de la généralisation de la révolte ou des émeutes, et qui porte dans sa négation déjà le début d’un nouveau monde, ou au moins, devrait le porter en soi. C’est surtout la présence d’une telle tension utopique qui offre quelque point d’appui contre le retour à la normalité et la restauration des rôles sociaux après la grande fête de la destruction. Qu’il soit donc clair que l’insurrection n’est pas une affaire uniquement des anarchistes, même si notre contribution, notre préparation, nos perspectives insurrectionnelles sont sans le moindre doute importantes et deviendront, dans l’avenir, peut-être même décisives pour pousser le déchainement de la négation dans une direction libératrice. Dans un monde qui devient chaque jour plus instable, ces questions difficiles devraient justement retourner sur l’avant-plan, y renoncer à priori en s’enfermant dans un quelconque ghetto identitaire et en entretenant l’illusion de développer « de la force » à travers des sigles collectifs et « l’unification » des anarchistes prêts à attaquer, devient alors irrémédiablement la négation de toute perspective insurrectionnelle.

En retournant vers le monde des fronts et des sigles, on pourrait par exemple comprendre comme signe précurseur du proche enfermement dans un cadre autoréférentiel, les références obligées aux compagnons incarcérés. Il semble qu’une fois des compagnons incarcérés par l’Etat, ils ne sont plus des compagnons comme nous tous, mais surtout des compagnons « incarcérés ». Les positions dans ce débat déjà difficile et pénible sont tellement fixées qu’il ne reste que deux options : soit l’exaltation absolue de nos compagnons incarcérés, soit le dégoût absolu qui s’enraye vite dans un renoncement à encore donner corps et âme à la solidarité. Y-a-t-il encore du sens à répéter que nos compagnons qui se trouvent dans les geôles ne se trouvent pas au-dessus ou en-dessous des autres compagnons, mais simplement parmi eux ? Est-ce qu’il n’est pas effrayant de voir que malgré les nombreuses luttes contre la prison, l’actuel tournant revient de nouveau avec les discours sur les « prisonniers politiques », désertant une perspective plus large de lutte contre la prison, la justice etc. ? En fin de compte, nous risquons d’achever ce que l’Etat cherchait à obtenir en enfermant nos compagnons : en en faisant des points de références centrales, abstraits et à exalter, on les isole de l’ensemble de la guerre sociale. Au lieu de chercher des manières pour entretenir au-delà des murs des liens de solidarité, d’affinité et de complicité en plaçant le tout radicalement au sein de la guerre sociale, la solidarité se borne à citer les noms à la fin d’une revendication. Ceci génère en plus un mouvement en cercle assez vicieux sans trop de perspectives, une surenchère en attaques « dédiées » à d’autres, plutôt que de trouver la force dans soi-même et dans le choix du quand, comment et pourquoi intervenir dans les conditions données.

Mais la logique du luttarmatisme est implacable. Une fois mise en route, il semble que peut reste encore à en faire. Tous ceux qui n’adhérent pas ou n’en prennent pas la défense, sont assimilés à des compagnons qui ne veulent pas agir ni attaquer, qui soumettent la révolte à des calculs et des masses, qui ne veulent qu’attendre et rejettent l’impulsion de mettre ici et maintenant le feu à la poudrière. Dans le miroir déformant, le refus de l’idéologie de la lutte armée devient le refus de la lutte armée tout court. Evidemment, il n’y a rien de moins vrai, mais il n’y a plus d’oreilles qui veuillent entendre ça, l’espace de discussion est asséché. Tout est réduit à penser dans des blocs, pour ou contre, et la voie, selon nous la plus intéressante, du développement des projectualités insurrectionnelles, est définitivement mise de côté. A la grande joie des libertaires formels et des pseudo-radicaux que comme des forces répressives, qui ne veulent rien de plus que l’assèchement de ce marécage.

Car qui veut aujourd’hui encore discuter sur des projectualités quand le seul rythme qu’on donne à la lutte, est devenu la somme des attaques revendiquées sur internet ? Qui est encore à la recherche d’une perspective qui veut faire plus que juste rendre quelques coups ? Et, répétons-le, aucun doute là-dessus : donner des coups est nécessaire, ici et maintenant, et avec tous les moyens que nous croyons adéquats et opportuns. Mais le défi de développer une projectualité, qui vise à essayer de faire déchainer, faire étendre ou faire approfondir des situations insurrectionnelles, exige bien plus que juste la capacité de donner des coups. Ça exige le développement des idées propres et non pas répéter ce que d’autres disent ; la force de développer une réelle autonomie en termes de parcours de lutte et de capacités ; la quête lente et difficile d’affinités et d’approfondissement de la connaissance réciproque ; une certaine analyse des conditions sociales dans lesquelles nous agissons ; le courage de jeter des hypothèses pour la guerre sociale afin de ne plus courir derrière les faits, ou derrière nous-mêmes. Bref, ça n’exige pas uniquement la capacité de savoir utiliser certaines méthodes, mais surtout les idées sur comment, où, quand et pourquoi les utiliser, et là encore dans un mélange nécessaire avec tout un éventail d’autres méthodes. Sinon, il ne restera plus d’anarchistes, mais juste une série de rôles bien tristes et circonscrits : des propagandistes, des squatteurs, des combattants armés, des expropriateurs, des écrivains, des casseurs, des émeutiers et ainsi de suite. Rien ne serait plus pénible que de se retrouver, face à la possibilité de la tempête sociale à venir, tellement désarmés que chacun ne dispose d’une seule spécialité. Rien ne serait plus fâcheux de devoir constater dans des conditions sociales explosives, que les anarchistes s’occupent trop de leur petit jardin pour être capables de réellement contribuer à l’explosion. Rien n’aurait plus le goût amer d’occasions ratées quand, par le focus exclusif sur le ghetto identitaire, on renonce à découvrir nos complices dans la tempête sociale, à forger des liens d’idées et de pratiques partagées avec d’autres rebelles, à rompre avec toutes les formes de communication médiée et de représentation afin d’ouvrir de l’espace pour une vraie réciprocité qui se fait allergique à tout pouvoir et domination.

Mais comme toujours, nous refusons de désespérer. Nous savons qu’encore beaucoup de compagnons tâtent, dans l’espace et le temps où tout spectacle politique est conséquemment banni, les possibilités pour atteindre l’ennemi et pour forger, à travers la diffusion d’idées anarchistes et de propositions de lutte, des liens avec d’autres rebelles. C’est probablement le chemin le plus difficile, car jamais il n’y aura de reconnaissance pour ça. Ni de l’ennemi, ni des masses et en toute probabilité, ni d’autres compagnons et révolutionnaires. Mais nous portons en nous une histoire, une histoire qui nous relie avec tous les anarchistes qui ont ardemment continué à refuser de se laisser inclure, que ce soit dans le mouvement anarchiste « officiel » ou dans le reflet luttarmiste de celui-là. Qui ont toujours continué à refuser de détacher la diffusion de nos idées de la manière dont on les diffuse, et cherchaient donc à bannir ainsi toute médiation politique, la revendication incluse. Qui sont peu intéressés à savoir qui a fait ceci ou cela, mais qui le relient avec leur propre révolte, avec la propre projectualité qui se déploie dans la seule conspiration que nous voulons : celle des individualités rebelles pour la subversion de l’existant.

20 novembre 2011

 

Annexe 2: Visite au service de métrologie nucléaire à Bruxelles

Wednesday, December 19th, 2012

Mardi dernier, les portes du service de métrologie nucléaire  de l’Université Libre de bruxelles ont été vissées, ses murs tagués…

Mardi dernier, j’arrive sur le campus de l’Université Libre de Bruxelles et je suis acceuillie par une banderole sur laquelle on peut lire quelque chose du genre “le nucléaire nous pompe l’air. Arrêtons la recherche!”

Puis en  me rendant dans le batiment D je découvre que les portes principales du service de métrologie nucléaire ont été vissées. Sur les murs du couloirs il y a des tags du genre “nucléocrate bouffe ta cravate! Arrêtons la recherche (nucléaire). Mort au nucléaire et à son monde…”

Et un peu partout il y a cette affiche collée dont je vous retranscris le texte:

 

Au Service de Métrologie nucléaire

 

Salutation,

Nous vous offrons un peu de perturbation dans votre routine quotidienne. Vous en profiterez pour  étudier et prendre position sur quelques problématiques qui tendent à être occultées consciencieusement tant dans les milieux scientifiques qu’ à chaque fois qu’un individu, une institution ou un groupe d’intérêt s’exprime au nom de la science.

Tout est fait pour qu’aux yeux du ” public “, science rime avec neutralité et objectivité. Pourtant la science n’est rien moins qu’intéressée et traversée, comme n’importe quel autre corps social, par la recherche de puissance et de prestige.

La science est intéressée: quiconque a quelque peu fréquenté les milieux scientifiques sait qu’un scientifique, qu’il soit dans son labo ou lorsqu’il conseille le prince, n’est jamais seul. Il porte avec lui les intérêts de ceux pour qui il travaille et de ceux qu’il doit convaincre de l’intérêt de ses recherches, que ce soit un organisme public ou des entreprises privées en recherche de gains en terme de puissance, de prestige ou économique.

En l’occurence, le service de métrologie travaille, entre autres, main dans la main avec le lobby nucléaire français en collaborant avec tractebel suez; avec le lobby américain westinghouse; et aussi avec des agences promotrices à tout va et à tous risques du nucléaire tel le centre d’étude nucléaire ou l’irsn français. Pour ne citer qu’eux.

La science n’est ni objective ni neutre: elle doit être opérante, elle produit des techniques comme on produit du boudin. Il n’existe pas de cadre théorique objectif qui transcenderait toutes connaissances. La science, pour être reconnue objective, doit être avalisée par des communautés scientifiques, économiques et des etats.

Et en se constituant en tant que vérité, en tant que pratique indépendante et neutre, la science avalise à son tour les actions de ces mêmes communautés scientifiques, de ces mêmes puissances économiques, de ces mêmes etats. C’est donc par le double mouvement entre acteurs de la technoscience et le statut de la technoscience dans nos sociétés que se renforce chacune des parties dans une étroite interdépendance.

Ce double mouvement permet de dépolitiser les choix de sociétés qui nous sont imposés. Dans le domaine spécifique du nucléaire, cette collusion entre promoteur de l’atome à gogo, industrie et etat tente d’occulter que le développement du  programme nucléaire belge, (électronucléaire, militaire, mais aussi tout ce qui concerne le médical, la stérilisation par irradiation,..) A été et reste une décision politique et économique.

Par exemple, la création d’une agence fédérale de contrôle du nucléaire – avec laquelle collabore le service de métrologie nucléaire – qui prétend exercer un contrôle indépendant et fournir une information transparente, objective et fiable permet, sous couvert d’expertise scientifique, d’occulter le fait que le choix des normes de radioactivité acceptables pour les population est une décision économique et politique et non pas scientifique. En cas d’accident, les experts et les décideurs politiques se mettent rapidement d’accord pour augmenter le seuil qu’ils jugent acceptable.  Ainsi le 25 mars 2011, alors qu’avait débuté la catastrophe à fukushima, l’union européenne décide d’augmenter les normes de radioactivité des aliments importés pour des raisons économiques. La logique sous-jacente sous ce genre de décision est qu’il vaut mieux sacrifier des individus que d’affronter une remise en question, de quelque ordre qu’elle soit, des structures qui ont amené une telle situation.

Si nous nous invitons aujourd’hui ; ce n’est pas au nom d’une contre expertise rationnelle mais parce que nous voulons la vie et non pas la survie que nous organise les etats, les industriels et les scientifiques. Nous voulons l’espace pour choisir nos vies et ne plus subir les décisions de quelques uns, aussi éclairés qu’ils se croient.

Sur le chemin de l’émancipation, le nucléaire est un obstacle de taille. Il est à la croisée des logiques autoritaires qui dominent nos sociétés. Cheval de troie, une fois introduit par quelques décideurs, le nucléaire à des conséquences écologiques et sociales inimaginables. Ecologiquement inimaginables parce que la durée de nuisance de ses déchets dépasse les capacités humaines d’appréhension ; parce que nous ne connaissons pas encore l’étendue du désastre qu’il crée au quotidien. Socialement il révèle le rôle de  pompier pyromane que jouent l’etat et les scientifiques : après nous avoir mis bien dedans, ils se prétendent les seuls à pouvoir gérer le désastre.

Oui, mais, pourquoi cibler ce service ?

N’aurait-il pas fallu clouer les portes de Tihange, Doel ou Kleine Broegel ?

Non, il n’y a pas d’erreur, c’est bien ici, dans ce lieu à l’abri des contestations du nucléaire et du rôle des scientifiques dans notre soumission quotidienne que nous voulons chercher la petite bête.

Elle n’est pas longue à trouver, une fois passé les écrans de fumée agités par les experts. Rien ne fonctionne jamais comme sur le papier et c’est d’ailleurs pour ça que les promoteurs du nucléaire s’amusent à faire des expériences grandeur nature. Derrière leurs prévisions probabilistes qui minimisent toujours les risques, il y a un tas de  petites bêtes qui n’ont cesse d’infirmer telle ou telle partie de la théorie. Elles prennent la forme là d’une fuite radioactive ou d’une enceinte qui se désagrège; là d’une faute de frappe,là encore d’accident ou un d’emballement imprévu qui fait tout sauter…

En travaillant sur les risques industriels et nucléaires, le service de métrologie nucléaire ne fait pas que produire un outil de gestion concrèt de  ces risques, mais s’intègre dans une stratégie plus générale. Depuis Tchernobyl, les scientifiques et  l’Etat ne prétendent plus ni l’accident majeur impossible, ni contrôler tous le processus nucléaire (même s’ils continuent à minimiser les risques à grand renfort de mensonges). Désormais leur stratégie consiste à faire accepter autant la possibilité, et la réalité comme à Tchernobyl et Fukushima, de l’accident majeur que les contaminations quotidiennes.

Les accidents majeurs leurs servent d’opportunité pour empêcher toute remise en question de la société nucléaire et de leur propre pouvoir au sein de cette société en y expérimentant des techniques de communication, d’acceptation et de gestion du risque au quotidien.

Le quotidien créé par le nucléaire ; c’est l’exploitation, c’est la contamination à toutes les étapes du processus. Ce service n’est pas isolé des autres installations nucléaires. La spécialisation poussée en science empêche chacun de voir l’ensemble, de voir dans quoi s’insère son propre labo, son propre objet de recherche, son expérience.

Matériellement, le service de métrologie nucléaire n’existe pas sans les mines d’uranium  au Niger ou au Congo où s’expérimentent l’esclavage moderne et la liquidation par contamination des populations locales. Il n’existe pas non plus sans le transport des matériaux radioactifs avec tout ce que ça comporte comme diffusion de la contamination. Il n’existe pas sans les réacteurs expérimentaux comme ceux au nombre de quatre du Centre d’Etude nucléaire avec lequel il collabore. Enfin, parce qu’il existe,  il crée des déchets radioactifs pour lesquels il n’existe aucune solution acceptable pour nos vies et celles à venir.

Enfin, nous voulons soulever le problème du nucléaire médical auquel participe ce service en donnant des formations en radioprotection et à travers sa filière biomédicale nucléaire. La partie médicale que ce soit pour le nucléaire comme pour les OGM, sert toujours d’argument pour museler la contestation. La déclaration de l’ex-directeur de la Fondation Curie en France, le professeur Latarjet selon qui la probabilité de guérison de cancers par rayonnements est beaucoup plus élevée que celle de la production d’un nouveau cancer et que donc les avantages l’emporte sur les inconvénients, révèle le cynisme qui règne dans le milieux du médical nucléaire. Il y a en quelque sorte un calcul coûts/bénéfices, dans laquelle la santé et la vie d’une personne se résume à un chiffre dans des probabilités. A ne pas douter que les bénéfices se palpent aussi en billets.

Quand en 2008, à Fleurus, la fuite radioactive de l’IRE, l’un des six laboratoires au monde producteur de radio-isotope pour le secteur médical, provoque la colère des habitants, le sujet de préoccupation médiatique devient vite la pénurie de radio-isotopes pour les hôpitaux. Il  n’est jamais question de remmettre en question l’existence de l’IRE. Pourtant, n’y avait-il pas quelque chose de légitime dans la colère des habitants qui souffrent et meurent de maladies radio induites, dont des cancers, pour qu’on puisse diagnostiquer ces cancers ?

Tout cela n’a rien de nouveau pourtant l ‘espace pour contester la propagation d’un incendie allumé par les expériences grandeur nature de quelques scientifiques financés par des Etats et des intérêts industriels diminue de jour en jour et particulièrement au sein des milieux scientifiques. Mais nous avons la prétention qu’il soit encore possible de tout arrêter; que les bifurcations sont toujours possibles. Il n’y a pas d’inéluctabilité, ce monde peut être radicalement transformé dans une optique émancipatrice. Mais tout cela ne sera possible qu’en balayant ce qui permet à certains de prendre des décisions pour tous. Et cela à tous les niveaux. A commencer par ce service ici.

Aux chercheurs qui y travaillent, aux profs qui y enseignent, aux étudiants qui s’y forment: il est temps de se sortir le cerveau du bocal de chloroforme et de réaliser quelle part vous prenez dans la propagation de l’incendie. Vous avez toujours le choix d’accepter ou non d’ajouter du combustible. Vous avez toujours le choix de choisir la soumission ou l’émancipation pour vous comme pour tous. Nous avons tous ces choix.

Pour cela, la première étape serait d’arrêter d’alimenter le feu, alors pourquoi ne pas commencer la remise en question avec cet appel:

Arretons la recherche!

 

(Bruxelles, décembre 2011)

Annexe 3: Pour tout ce qu’ ils nous dérobent

Wednesday, December 19th, 2012

Quiconque veut encore le voir, ne peut que constater le durcissement et l’extension de la guerre totale que le capital mène contre la vie. Ceux qui bougent encore, sentent le souffle puant et brûlant du contrôle social techniquement dirigé dans leur cou. Avec un progrès qui s’auto-accélère, l’ennemi bat à plate couture les anciennes tranchées, pratiquement abandonnées, de la guerre sociale. Le moment est venu de dire adieu aux formes de lutte qui, dans le passé, renforçaient les conflits sociaux mais qui, aujourd’hui, se voient irrémédiablement dépassées par l’ennemi.

Le temps des manifestations formelles et des assemblées ouvertes est passé, le moment est venu de trouver de nouvelles expressions de lutte que le capital n’a pas encore annulées. En formalisant et en concentrant le jeu, nous en limitons l’agilité et la portée, dans un vain espoir de reconnaissance et de victoire. Aussi, la politisation et la moralisation de la guerre sociale ne contribuent-elles plus depuis longtemps à la diffusion des conflits, mais sont plutôt devenues les sources d’un isolement volontaire.

En ce qui nous concerne, nous estimons que toute approche de la lutte qui reste parallèle à la manière dont l’ennemi appréhende cette dernière est vouée à l’échec. Il faut que nous trouvions rapidement des possibilités de joie armée, avant que l’occupant puisse nous dérober notre force d’imagination et notre esprit combatif. Cessons de garder les yeux rivés sur les volontaires et les mercenaires du pouvoir, pour avoir plutôt en vue ce qu’ils veulent et doivent protéger pour assurer leur survie.

Bien que des habitudes, la facilité et l’ambition nous incitent à attaquer celui qui est entraîné, payé et motivé pour nous combattre, il peut en être autrement. Sans les pompiers ou les services de dépannage, le feu a libre cours et l’intervention vient s’échouer dans les embouteillages. Les citoyens fidèles au pouvoir et les entreprises qui font faire leur sale boulot par les flics et les fascistes, qui s’enrichissent en rendant des services à la répression, méritent plus d’attention de la révolte que celle qu’ils ont reçue jusqu’alors. Comme tout ce qu’ils possèdent peut servir d’arme contre nous et provient de notre exploitation, tout ce qui leur appartient constitue une cible légitime pour la rage de ceux qui n’ont pas besoin d’idéologie pour se venger.

Si nous parlons de la collaboration entre les mercenaires, les volontaires et les gardiens civils dans la toile de contrôle de l’Etat, on ne peut manquer d’observer les infrastructures qui rendent possible la répression.

Avec cette proposition subversive, nous voulons partager le désir d’attaquer un réseau spécifique de répression, au moins pour le mettre en discussion et si possible pour le rendre irrésistible à quiconque chérit vraiment la liberté. Il s’agit du système global de courant qui alimente le spectacle et, dans ce sens, en est aussi le centre matériel. Le capital nous intègre mentalement et physiquement à travers notre connexion au réseau électrique, synchronisant ainsi la totalité de l’exploitation individuelle au point qu’elle apparaît comme un ensemble imaginaire.

Que l’intelligence se répande rapidement et on constatera que les soi-disant aspects sociaux et humains du réseau électrique ne sont rien d’autre que des subterfuges pour transformer l’ancien espace public en une grande prison à ciel ouvert, où la survie n’est tolérée qu’en ce qu’elle sert l’économie et la répression.

Il est clair pour nous que les appels à l’assassinat et les messages de haine informels de la contre-révolte, conçus dans les chambres de contrôle, arrivent dans les salons du public par des câbles électriques. Cependant, l’autoroute émettrice qui sert à transmettre l’amour de l’esclavage est très étendue et passe par toute une chaîne de sous-stations, avant de pouvoir paralyser les esprits et les mouvements des récepteurs.

Pour alimenter ses sujets et leurs objets, le capital devenu courant doit en permanence traverser, sans escorte, des territoires non surveillés où nombreux sont ceux qui sont hostiles au pouvoir. La seule manière d’ empêcher la transformation du terrain social en prison à ciel ouvert, est de réaffecter ce terrain, par la révolte, en champs de bataille où se livre la guerre sociale. Il n’est pas trop tard pour interrompre les circuits de l’ennemi. Frapper et disparaître comme la foudre qui tombe de l’épaisse couche de nuages qui obscurcissent ce monde. Se battre ; ne pas fuir. La vie est notre lutte, d’Abord, Enfin et Toujours.

 

La décharge à l’horizon

Une sortie de secours

« Aujourd’hui, l’idéologie n’existe encore que comme subterfuge et couverture de ce qui est techniquement nécessaire à maintenir l’occupation. »

La folie fait boule de neige. Dans l’imaginaire régime mondial du capital, les moutons dupés se bousculent pour avoir l’honneur d’être sacrifiés en premier sur l’autel du progrès. Le camouflage idéologique formel de la dictature informelle de la technologie perd à vue d’œil sa crédibilité, sans que pour autant ceci affecte la volonté de sacrifice de ses sujets.

Par la socialisation des technologies militaires de contrôle, l’occupant est en train de transformer chaque citoyen fidèle au pouvoir en soldat de l’armée de réserve informelle de la légalité.

Maintenant que la guerre civile à l’échelle planétaire est convenablement enrobée en écologique, sociale, morale et en tant que prix à payer pour le progrès, les civilisés fêtent frénétiquement et sans pudeur ses innombrables massacres.

Partout, les forces insurgées semblent être poussées sur la défensive par les légions de la contre-révolte. Les mercenaires et volontaires de l’occupant font, de manière plus arrogante que jamais, la chasse aux barbares qui refusent de se soumettre au régime de la mort. Malgré la tromperie et la confusion organisées, certains continuent d’avoir une confiance inébranlable dans la possibilité vivante de libération par la lutte.

Voilà pourquoi nous cherchons sans trève des perspectives de lutte qui portent en elles la fin de la dictature des marchandises. Ces mots ne sont qu’une proposition pour réorienter les conflits sociaux, qui s’adresse à tous ceux qui ont à cœur de précipiter la destruction de la prison à ciel ouvert en construction. Selon nous, les temps sont mûrs pour rompre avec les règles du jeu existantes et pour reprendre l’initiative en ouvrant de nouveaux fronts dans la guerre sociale contre le progrès meurtrier du capital. Le moment est venu de partir à l’assaut de l’infrastructure technique qui éradique le désir de révolte et est indispensable à la défense du monde marchand. Redécouvrons la joie qui surgit quand la prise est débranchée ou quand l’alimentation en courant est brusquement interrompue.

 

A la source

La fin de la transmission du pouvoir ne tient qu’à un court-circuit

 Pourquoi les choses synthétiques et métalliques semblent-elles plus malignes et plus agiles que nous ? Qu’est-ce qui rend impossible d’attaquer nos ennemis de manière ouverte et frontale ? Quelle structure isole la vie et relie les objets, leur maître et ses serviteurs entre eux ? Pourquoi nous entêtons- nous à rendre le jeu plus compliqué que ce qu’il est en réalité ?

Nous marchons presque toujours et partout au-dessus, en dessous, au milieu ou le long des nerfs et artères artificiels du monde fantomatique dans lequel nous sommes obligés de vivre. Rares sont ceux qui se trouvent ici encore hors de portée de la toile de cuivre, de fibres optiques et synthétiques par laquelle sont transportés et diffusés aussi bien le courant que les données vers les objets connectés et leurs serviteurs. C’est le fil caché qui relie nos chambres à coucher directement à la chambre de contrôle la plus proche. Ce sont les tentacules sous tension mortelle par lesquels le pouvoir transporte son message vers l’inconscient de chacun, afin de manipuler nos sentiments et de contrôler nos rêves.

Au printemps 2011, le Pentagone a rendu public qu’il considérait désormais toute attaque contre le réseau électrique des Etats-Unis comme un acte de guerre. Le journal patronal qui fait autorité, le Wall Street Journal, a fait des gros titres impossibles à comprendre de travers : « Mess with our Grid : expect rockets down your chimney » [Perturbe notre réseau : compte sur des roquettes dans ton salon]

Tout le monde sait que ce n’est qu’une question de temps avant que les innombrables Etats satellites des Etats-Unis suivent l’exemple du Grand Frère. La déclaration de guerre préventive contre tous ceux qui voudraient saboter le réseau électrique trahit clairement qu’en l’an 2011, l’occupant est très conscient de sa propre vulnérabilité.

Dans les Etats de contrôle, le réseau électrique qui alimente les chaînes d’appareils doit en permanence s’agrandir et se perfectionner de sorte à ce que plus personne ne puisse vivre hors de portée des objets. A chaque coupure de courant locale et temporaire, on peut clairement observer à quel point on oublie vite le spectacle, quand la panne des objets nous oblige à sortir de notre cellule. Pour nous, il est clair que l’attaque contre le monde des camps est vaine ou suicidaire, si nous ne parvenons pas d’abord à perturber ou interrompre partiellement l’alimentation électrique. Voilà pourquoi nous nous déclarons en conflit permanent avec tout et tous ceux qui sont disposés à empêcher l’imminent « Père de tous les Court-circuits ».

 

Déguisements et aliénation

Oublie ta patrie et tue pour ton réseau

« C’est une chimère de penser que les serviteurs du pouvoir ne se battront pas pour chaque mètre, tant qu’ils se trouvent dans sa prison mentale et morale. »

Comme nous l’éprouvons à chaque instant, la principale protection du réseau électrique repose sur le contrôle social de ceux qui continuent à croire les subterfuges idéologiques sous lesquels le pouvoir déguise sa toile meurtrière. Quelque chose qui a été érigé par les Etats avec le sang d’ouvriers et a récemment été remis au capital pour rationaliser la répression, ne peut pour nous être social ou humain. Il est sûr et certain que les soldats-médias du pouvoir représenteront les saboteurs du réseau électrique comme des fous antisociaux, des monstres qui exigent un traitement spécial et une attention particulière des bourreaux en blouse blanche ou en uniforme de gardien.

En cas de besoin, il y aura, tant que le réseau électrique fonctionnera, sans doute suffisamment de volontaires et de mercenaires prêts à sacrifier leur santé et leur vie pour surveiller le système nerveux du pouvoir. Les jours où l’occupant ne sera pas seulement obligé de faire la guerre pour maintenir la possession des champs pétrolifères, mais aussi pour défendre et préserver le réseau électrique, ne sont plus très loins. Dans un avenir proche, des fleuves de sang seront versés par rapport au réseau électrique, comme dans le passé des gens se sont faits massacrer pour la patrie et pour des ressources matérielles. Tant que les civilisés resteront sous l’emprise du pouvoir, ils opteront pour la satisfaction de leur accoutumance au courant et n’en auront rien à foutre de l’air sain ou d’une atmosphère sans radiations.

En même temps, nous trouvons inutile et surtout dépourvu de joie de diffuser, dans les conditions actuelles, des critiques verbales ou écrites à une large échelle. Tant que le bombardement digital de données réclamera et contrôlera les sens du public, plus personne ne pourra ou ne voudra vraiment comprendre le sens de nos mots. Il est clair pour nous que l’isolement apparent où se trouve la lutte actuellement, ne peut être brisé que par l’attaque contre le réseau de distribution ennemi. Sans l’empoisonnement permanent de leurs esprits, les armées apparemment infinies de la légalité se désintégreront comme neige au soleil. Il n’est jamais trop tard pour reprendre le fil du jeu interrompu prématurément, il y a déjà trop longtemps.

 

Sur les traces d’une possibilité

« L’obscurité a quelque chose de magique. Elle fait immédiatement revivre l’imagination abrutie par la lumière artificielle. Dans l’obscurité, plus rien ne peut être distingué d’autre chose. En sa compagnie, nous errons immédiatement hors des frontières du temps et de l’espace fixées par l’occupant. Voilà pourquoi nous embrassons l’obscurité comme le seul intime dont nous n’avons jamais à douter du retour. »

 

Elément central dans la structure d’occupation capitaliste, le réseau électrique a toujours été une cible des ennemis du pouvoir. Nul besoin de revenir bien loin dans l’histoire de la guerre sociale pour en trouver des exemples.

Au printemps 1986, la catastrophe nucléaire de Tchernobyl a poussé le cycle du conflit social contre l’énergie nucléaire vers son dernier sommet. A ce moment-là, des insurgés sociaux ont décidé d’attaquer la mafia nucléaire par des attentats contre des pylônes du réseau à haute tension, au cœur de la bête. Jusqu’à la fin de la Guerre Froide, partout en Europe occidentale mais surtout en Allemagne de l’Ouest et en Italie, des milliers de pylônes ont été la cible des ennemis de la mafia nucléaire. Entre janvier et mi-novembre 1986, les sections de police d’Allemagne de l’Ouest ont enregistré au total 116 attentats contre des pylônes. Plus d’un tiers de ces pylônes ont été complètement détruits, avec des dégâts s’élevant à des dizaines de millions de marks. Les flics n’ont pu arrêter personne sur le moment.

La vague d’attaques a semblé implacable, jusqu’au moment où elle s’est heurtée à la contre-offensive de la contre-révolte et à d’autres limites pratiques qui ont empêché sa diffusion. Après l’électrocution presque mortelle d’une combattante italienne lors de l’abattage d’un pylône et le démantèlement complet, par infiltration, d’un « nœud de poissons-scies » autonome en Allemagne de l’Ouest, la critique de la méthode d’attaque a commencé à enfler. La vague d’attaques contre le réseau à haute tension avait déjà atteint son comble, quand la fin de la Guerre Froide a aussi sonné le glas de l’opposition sociale à la mafia nucléaire. Même si cette forme d’attaque a évidemment survécu à la Grande Réconciliation, il s’est avéré que vers 1990, les Etats de contrôle avaient conjuré sa diffusion incontrôlable.

Nous ne considérons nullement le sabotage des pylônes de la deuxième moitié des années 80 comme un combat perdu, mais bien comme un très joli conflit dont la beauté nous inspire jusqu’à aujourd’hui pour mener la lutte sans compromis contre le même ennemi qu’à une autre époque.

De la même manière, nous n’oublierons jamais que c’est la police française qui, fin octobre 2005, a poussé deux louveteaux des ghettos vers la mort, en les poursuivant jusqu’à ce qu’ils se cachent dans un transformateur électrique et y meurent par électrocution. Le double assassinat de ces enfants indésirables a donné le signe de départ pour une décharge historique de forces insurgées et a démontré aussi bien la vulnérabilité du réseau électrique que le danger mortel qu’il représente pour tout ce qui vit.

Pendant la révolte de 2005, les insurgés de nombreuses cités ont d’abord détruit l’alimentation de l’éclairage public, avant de commencer à brûler le reste. Après l’exécution par la police d’un jeune insurgé, à Athènes en décembre 2008, des émeutes ont également éclaté et chassé temporairement la police grecque des parties insurgées de la capitale. Quelques rebelles anonymes ont reconnu l’occasion et détruit l’alimentation des feux rouges, ce qui a permis à la révolte d’occuper temporairement l’espace normalement réservé à la circulation.

En sabotant l’alimentation de l’éclairage public et les signaux de circulation, nous sabotons le fonctionnement de l’usine antisociale en construction à ciel ouvert, et libérons en même temps l’espace où l’avancée des mondes du jeu ne peut plus être jugulée. En disloquant les transmissions du pouvoir, nous transformons l’espace occupé en terrain qui accueille les conflits sociaux à bras ouverts.

Les révoltes sociales récentes en France et en Grèce démontrent que les attaques contre le réseau électrique créent l’espace et les occasions pour faire durer l’insurrection, pour l’approfondir et la diffuser.

Reconnaissons les révoltes de Paris et d’Athènes comme des court-circuits qui frayent un chemin pour les décharges irrationnelles des forces insurgées dans un proche avenir. Pour qu’un ouragan de conflits incontrôlables rase les pouvoirs.

Du court-circuit à la décharge

De l’interruption de l’énergie du capital à la décharge des forces insurgées et incontrôlables

Personne ne peut plus nier aujourd’hui que le capital est en train de transformer à une allure effrénée les camps de concentration métropolitains en énormes prisons à ciel ouvert. L’ancien terrain social est occupé par un arsenal d’objets intelligents qui socialisent et intériorisent la répression chez les êtres qui doivent survivre dans ce cimetière social.

C’est justement cette colonisation de l’espace public par les objets intelligents qui permet l’instrumentalisation du contrôle social. L’implantation des caméras de surveillance, des lecteurs de cartes, des détecteurs, des capteurs etc. non seulement surveille nos mouvements physiques, mais modifie aussi la manière dont nous pensons et dont nous nous rapportons. Parfois la folie semble tellement avancée qu’il semble inutile, suicidaire ou contre-nature de s’insurger. Nous pensons par contre que la superstition de l’imaginaire omnipotence de l’occupant n’est rien d’autre que le message central de la guerre psychologique totale par lequel le spectacle veut contaminer nos esprits.

Pour nous, rien n’est encore perdu et tout ce que nous voulons vraiment reste possible. Il n’est jamais trop tard pour se révolter et aller à la rencontre de la joie armée qui porte en elle la fin de la folie.

Si les tentacules de l’ennemi se trouvent partout, alors les possibilités d’attaque sont plus grandes que jamais. Découvrons dans le quadrillage et l’étendue du réseau électrique les occasions de retourner encore la fortune des armes. Aussi négligeables puissent-elles paraître sur l’échelle spectaculaire d’espace et de temps, nous reconnaissons dans chaque interruption de l’alimentation des objets qui nous soumettent, la Grande Décharge qui porte en elle le monde dont nous rêvons depuis si longtemps.

Que les forces perturbatrices puissent fleurir, les forces qui barreront une fois pour toutes la route à la circulation du pouvoir et au courant qui l’alimente. Des forces perturbatrices qui rendront insurmontable la résistance naturelle contre le passage du pouvoir. Des êtres qui nourissent la volonté de mettre à sec le système d’irrigation dont le pouvoir inonde le tissu social.

En identifiant le réseau électrique comme une cible statique et indéfendable dans la dynamique incontrôlable d’une guerre sociale asymétrique, nous nous libérons de la nécessité supposée d’une attaque ouverte et frontale. Si nous réussissons à disloquer l’alimentation du champ électrique qui forme et protège ce monde, notre attaque joyeuse deviendra irrésistible. Sans courant, les objets intelligents omnipotents sont immédiatement réduits à ce qu’ils sont en réalité: des bouts de matière superflus, rouillés, inutilisables et donc inutiles, prêts pour la ferraille. Tout comme tout camp coupé de sa source d’alimentation centrale se transforme d’un coup de baguette en temple lugubre, sans vie et délabré qui attend résigné sa démolition inéluctable.

Le moment où les chasseurs deviendront les proies est dans l’air. La belle nuit où les radiations comme la tension se dissoudront dans le rien. La fin d’une mort lente que l’occupant veut nous imposer comme vie. Quand le feu aura consommé l’isolant, le court-circuit sera le signe d’attaque capable de nous catapulter d’un instant à l’autre dans un autre monde. C’est dans le silence assourdissant qui accompagnera l’arrêt des objets que ceux qui les manoeuvrent, confus et désemparés, deviendront à nouveau sensibles aux séductions et aux aventures de la révolte. Ne fixons pas notre attention sur les pylônes, mais ayons à l’œil tout ce qui se trouve entre les cabines de transformateurs et les prises.

Certains errent à dessein

« Les Forces Perturbatrices du nord portent dans leurs cœurs la Liberté qu’on leur a dérobée en apparence. »

Pour nous, l’attaque contre le réseau électrique est un élément inséparable de la guerre sociale dans laquelle nous nous libérons de l’esclavage, par la lutte. Non pas par nostalgie d’un retour vers ce qui ne peut plus être, mais par désir de briser le présent perpétuel pour courir vers quelque chose qui soit vraiment autre. Le fait que nous aussi soyons encore dépendants du réseau électrique ennemi pour survivre, n’est nullement en contradiction avec notre désir de l’attaquer. Nous reconnaissons notre dépendance et notre accoutumance au courant électrique comme une erreur que nous payons de notre liberté et notre santé. Dès maintenant, nous nous préparerons au mieux pour le moment de la Grande Coupure.

L’existence et l’utilisation de l’électricité comme source énergétique en soi nous laisse froids, c’est la façon dont l’occupant se sert de cette technique pour alimenter l’économie et la répression qui emplit nos cœurs de haine. Il ne s’agit pas pour nous d’un retour vers une nature imaginaire sans courant, mais bien d’une révolte contre la torture blanche de la dictature des marchandises. Il est à nos yeux évident que certaines parties du réseau électrique continueront à exister, même après un court-circuit du système, mais cela ne constitue en aucune sorte un argument pertinent contre les attaques d’aujourd’hui.

En représentant le chemin vers la liberté comme un calvaire plein d’horreurs et de privations, le spectacle incite ses serviteurs à se battre jusqu’à leur dernière goutte de sang pour leur luxe et leur esclavage. Néanmoins, notre désir passionné de liberté est trop vivant pour être encore tué avec du luxe empoisonné ou du racket émotionnel. Apprenons dans le conflit à laisser derrière nous les peurs faussement suscitées de l’obscurité, du froid et de l’inconnu, dans une intime accolade avec la liberté, dont nous avons été trop longtemps séparés. Nous sommes conscients du fait que la désaccoutumance du courant sera une expérience douloureuse pour de nombreuses personnes, mais nous ne pouvons plus nous vautrer dans la pitié pour les dépendants qui ont appris à craindre la vraie vie comme si elle fût la mort.

Nous ne voulons pas seulement pouvoir regarder les étoiles, mais aussi entendre siffler les oiseaux, en errant librement et donc incontrôlables dans la vie. Parce que la récolte produite par l’augmentation des radiations mortelles autour des champs électriques consiste en animaux et en enfants déformés, mutilés par l’anémie et par le cancer des os.

Nous pourrions nous rencontrer plus vite que prévu dans les sphères vivantes des conflits sociaux qui nous entourent. Si nous y allons ensemble, rien ni personne ne pourra nous empêcher de percer une brèche vers l’Autre Côté. Découvre le maillon manquant et keep it real.

(novembre 2011)