Annexe 2: Visite au service de métrologie nucléaire à Bruxelles

Mardi dernier, les portes du service de métrologie nucléaire  de l’Université Libre de bruxelles ont été vissées, ses murs tagués…

Mardi dernier, j’arrive sur le campus de l’Université Libre de Bruxelles et je suis acceuillie par une banderole sur laquelle on peut lire quelque chose du genre “le nucléaire nous pompe l’air. Arrêtons la recherche!”

Puis en  me rendant dans le batiment D je découvre que les portes principales du service de métrologie nucléaire ont été vissées. Sur les murs du couloirs il y a des tags du genre “nucléocrate bouffe ta cravate! Arrêtons la recherche (nucléaire). Mort au nucléaire et à son monde…”

Et un peu partout il y a cette affiche collée dont je vous retranscris le texte:

 

Au Service de Métrologie nucléaire

 

Salutation,

Nous vous offrons un peu de perturbation dans votre routine quotidienne. Vous en profiterez pour  étudier et prendre position sur quelques problématiques qui tendent à être occultées consciencieusement tant dans les milieux scientifiques qu’ à chaque fois qu’un individu, une institution ou un groupe d’intérêt s’exprime au nom de la science.

Tout est fait pour qu’aux yeux du ” public “, science rime avec neutralité et objectivité. Pourtant la science n’est rien moins qu’intéressée et traversée, comme n’importe quel autre corps social, par la recherche de puissance et de prestige.

La science est intéressée: quiconque a quelque peu fréquenté les milieux scientifiques sait qu’un scientifique, qu’il soit dans son labo ou lorsqu’il conseille le prince, n’est jamais seul. Il porte avec lui les intérêts de ceux pour qui il travaille et de ceux qu’il doit convaincre de l’intérêt de ses recherches, que ce soit un organisme public ou des entreprises privées en recherche de gains en terme de puissance, de prestige ou économique.

En l’occurence, le service de métrologie travaille, entre autres, main dans la main avec le lobby nucléaire français en collaborant avec tractebel suez; avec le lobby américain westinghouse; et aussi avec des agences promotrices à tout va et à tous risques du nucléaire tel le centre d’étude nucléaire ou l’irsn français. Pour ne citer qu’eux.

La science n’est ni objective ni neutre: elle doit être opérante, elle produit des techniques comme on produit du boudin. Il n’existe pas de cadre théorique objectif qui transcenderait toutes connaissances. La science, pour être reconnue objective, doit être avalisée par des communautés scientifiques, économiques et des etats.

Et en se constituant en tant que vérité, en tant que pratique indépendante et neutre, la science avalise à son tour les actions de ces mêmes communautés scientifiques, de ces mêmes puissances économiques, de ces mêmes etats. C’est donc par le double mouvement entre acteurs de la technoscience et le statut de la technoscience dans nos sociétés que se renforce chacune des parties dans une étroite interdépendance.

Ce double mouvement permet de dépolitiser les choix de sociétés qui nous sont imposés. Dans le domaine spécifique du nucléaire, cette collusion entre promoteur de l’atome à gogo, industrie et etat tente d’occulter que le développement du  programme nucléaire belge, (électronucléaire, militaire, mais aussi tout ce qui concerne le médical, la stérilisation par irradiation,..) A été et reste une décision politique et économique.

Par exemple, la création d’une agence fédérale de contrôle du nucléaire – avec laquelle collabore le service de métrologie nucléaire – qui prétend exercer un contrôle indépendant et fournir une information transparente, objective et fiable permet, sous couvert d’expertise scientifique, d’occulter le fait que le choix des normes de radioactivité acceptables pour les population est une décision économique et politique et non pas scientifique. En cas d’accident, les experts et les décideurs politiques se mettent rapidement d’accord pour augmenter le seuil qu’ils jugent acceptable.  Ainsi le 25 mars 2011, alors qu’avait débuté la catastrophe à fukushima, l’union européenne décide d’augmenter les normes de radioactivité des aliments importés pour des raisons économiques. La logique sous-jacente sous ce genre de décision est qu’il vaut mieux sacrifier des individus que d’affronter une remise en question, de quelque ordre qu’elle soit, des structures qui ont amené une telle situation.

Si nous nous invitons aujourd’hui ; ce n’est pas au nom d’une contre expertise rationnelle mais parce que nous voulons la vie et non pas la survie que nous organise les etats, les industriels et les scientifiques. Nous voulons l’espace pour choisir nos vies et ne plus subir les décisions de quelques uns, aussi éclairés qu’ils se croient.

Sur le chemin de l’émancipation, le nucléaire est un obstacle de taille. Il est à la croisée des logiques autoritaires qui dominent nos sociétés. Cheval de troie, une fois introduit par quelques décideurs, le nucléaire à des conséquences écologiques et sociales inimaginables. Ecologiquement inimaginables parce que la durée de nuisance de ses déchets dépasse les capacités humaines d’appréhension ; parce que nous ne connaissons pas encore l’étendue du désastre qu’il crée au quotidien. Socialement il révèle le rôle de  pompier pyromane que jouent l’etat et les scientifiques : après nous avoir mis bien dedans, ils se prétendent les seuls à pouvoir gérer le désastre.

Oui, mais, pourquoi cibler ce service ?

N’aurait-il pas fallu clouer les portes de Tihange, Doel ou Kleine Broegel ?

Non, il n’y a pas d’erreur, c’est bien ici, dans ce lieu à l’abri des contestations du nucléaire et du rôle des scientifiques dans notre soumission quotidienne que nous voulons chercher la petite bête.

Elle n’est pas longue à trouver, une fois passé les écrans de fumée agités par les experts. Rien ne fonctionne jamais comme sur le papier et c’est d’ailleurs pour ça que les promoteurs du nucléaire s’amusent à faire des expériences grandeur nature. Derrière leurs prévisions probabilistes qui minimisent toujours les risques, il y a un tas de  petites bêtes qui n’ont cesse d’infirmer telle ou telle partie de la théorie. Elles prennent la forme là d’une fuite radioactive ou d’une enceinte qui se désagrège; là d’une faute de frappe,là encore d’accident ou un d’emballement imprévu qui fait tout sauter…

En travaillant sur les risques industriels et nucléaires, le service de métrologie nucléaire ne fait pas que produire un outil de gestion concrèt de  ces risques, mais s’intègre dans une stratégie plus générale. Depuis Tchernobyl, les scientifiques et  l’Etat ne prétendent plus ni l’accident majeur impossible, ni contrôler tous le processus nucléaire (même s’ils continuent à minimiser les risques à grand renfort de mensonges). Désormais leur stratégie consiste à faire accepter autant la possibilité, et la réalité comme à Tchernobyl et Fukushima, de l’accident majeur que les contaminations quotidiennes.

Les accidents majeurs leurs servent d’opportunité pour empêcher toute remise en question de la société nucléaire et de leur propre pouvoir au sein de cette société en y expérimentant des techniques de communication, d’acceptation et de gestion du risque au quotidien.

Le quotidien créé par le nucléaire ; c’est l’exploitation, c’est la contamination à toutes les étapes du processus. Ce service n’est pas isolé des autres installations nucléaires. La spécialisation poussée en science empêche chacun de voir l’ensemble, de voir dans quoi s’insère son propre labo, son propre objet de recherche, son expérience.

Matériellement, le service de métrologie nucléaire n’existe pas sans les mines d’uranium  au Niger ou au Congo où s’expérimentent l’esclavage moderne et la liquidation par contamination des populations locales. Il n’existe pas non plus sans le transport des matériaux radioactifs avec tout ce que ça comporte comme diffusion de la contamination. Il n’existe pas sans les réacteurs expérimentaux comme ceux au nombre de quatre du Centre d’Etude nucléaire avec lequel il collabore. Enfin, parce qu’il existe,  il crée des déchets radioactifs pour lesquels il n’existe aucune solution acceptable pour nos vies et celles à venir.

Enfin, nous voulons soulever le problème du nucléaire médical auquel participe ce service en donnant des formations en radioprotection et à travers sa filière biomédicale nucléaire. La partie médicale que ce soit pour le nucléaire comme pour les OGM, sert toujours d’argument pour museler la contestation. La déclaration de l’ex-directeur de la Fondation Curie en France, le professeur Latarjet selon qui la probabilité de guérison de cancers par rayonnements est beaucoup plus élevée que celle de la production d’un nouveau cancer et que donc les avantages l’emporte sur les inconvénients, révèle le cynisme qui règne dans le milieux du médical nucléaire. Il y a en quelque sorte un calcul coûts/bénéfices, dans laquelle la santé et la vie d’une personne se résume à un chiffre dans des probabilités. A ne pas douter que les bénéfices se palpent aussi en billets.

Quand en 2008, à Fleurus, la fuite radioactive de l’IRE, l’un des six laboratoires au monde producteur de radio-isotope pour le secteur médical, provoque la colère des habitants, le sujet de préoccupation médiatique devient vite la pénurie de radio-isotopes pour les hôpitaux. Il  n’est jamais question de remmettre en question l’existence de l’IRE. Pourtant, n’y avait-il pas quelque chose de légitime dans la colère des habitants qui souffrent et meurent de maladies radio induites, dont des cancers, pour qu’on puisse diagnostiquer ces cancers ?

Tout cela n’a rien de nouveau pourtant l ‘espace pour contester la propagation d’un incendie allumé par les expériences grandeur nature de quelques scientifiques financés par des Etats et des intérêts industriels diminue de jour en jour et particulièrement au sein des milieux scientifiques. Mais nous avons la prétention qu’il soit encore possible de tout arrêter; que les bifurcations sont toujours possibles. Il n’y a pas d’inéluctabilité, ce monde peut être radicalement transformé dans une optique émancipatrice. Mais tout cela ne sera possible qu’en balayant ce qui permet à certains de prendre des décisions pour tous. Et cela à tous les niveaux. A commencer par ce service ici.

Aux chercheurs qui y travaillent, aux profs qui y enseignent, aux étudiants qui s’y forment: il est temps de se sortir le cerveau du bocal de chloroforme et de réaliser quelle part vous prenez dans la propagation de l’incendie. Vous avez toujours le choix d’accepter ou non d’ajouter du combustible. Vous avez toujours le choix de choisir la soumission ou l’émancipation pour vous comme pour tous. Nous avons tous ces choix.

Pour cela, la première étape serait d’arrêter d’alimenter le feu, alors pourquoi ne pas commencer la remise en question avec cet appel:

Arretons la recherche!

 

(Bruxelles, décembre 2011)

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