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Le prix d’un monde entier

Thursday, March 21st, 2013

La société de hiérarchie et d’argent dans laquelle nous vivons produit chaque jour de la violence, et en même temps un système épais d’anesthésie morale qui fait supporter cette violence. La capacité de percevoir la violence, une condition nécessaire pour se révolter, est devenue un effort à faire. Les rapports quotidiens sont un grand jeu complexe de déguisements de cette brutalité.

La première règle est de fragmenter l’activité des individus, rendant impossible de considérer ceux-ci dans leur unité. Qu’est-ce que penserait l’ouvrier s’il avait soudainement sous les yeux la totalité de causes et d’effets des petits gestes répétitifs qui constituent son quotidien ? Les machines qu’il fait tourner produisent l’exploitation, la misère, la souffrance, la mort. Et il lui faut faire un effort pour mettre en lien l’enfant squelettique en Afrique qu’il a vu à la télé avec les matières premières qu’il utilise, avec les produits qu’il fabrique. Rester focalisé sur la minuscule télécommande est une anesthésie de la conscience. Le petit bureaucrate qui remplit huit heures par jour des formulaires, ne voit pas, quand il est à la maison, l’immigré qui sera déporté – l’immigré n’est pas . Il ne voit pas celui qui sera incarcéré parce qu’il ne correspond pas aux papiers tamponnés. Lui, il n’a jamais tourné la clé derrière quelqu’un.

La contemplation passive du travail qui nous dépasse complètement est la même que celle qui nous enchaîne aux écrans. Les spectateurs sortent directement des usines et des bureaux. On peut se lamenter à propos de son travail comme on se lamente du politicien qui passe à la télé. Mais si derrière le dos de ce politicien, on voyait les humains écrasés par la loi, morts à cause de l’amiante, bombardés, déchirés par des fils barbelés, torturés dans un quelconque commissariat, si, derrière la grimace du politicien, on voyait la souffrance, que se passerait-il ?

La violence que l’on perçoit, c’est uniquement la violence qui est représentée. La mafia tue pour l’argent. Le citoyen s’en indigne, et plus il s’en indigne, plus il se sent innocent quand il dépense de l’argent (la grande mafia). Les terroristes font exploser des bombes sur les trains. Le citoyen s’en indigne, et plus il s’en indigne, plus il se sent à l’aise quand il va voter (les grands terroristes). Tant de gens, qui encaissent de l’argent chaque jour, qui mettent de l’argent à la banque, qui font des courses aux supermarchés, n’ont jamais pris une arme dans la main, n’ont jamais menacé, ni blessé, ni tué. Ils travaillent pour les assurances, pour la poste, pour la douane ou qui sait pour quoi encore, ils sont pacifiques et détestent le sang et la violence brutale. Braves gens. Ils n’ont jamais voulu voir la violence, et, par conséquent, ils ne l’ont jamais vue.

Dans son abstraction, l’économie semble tourner par elle-même. Voilà pourquoi l’argent semble innocent. On ne perçoit pas de violence parmi un tas de billets de banques, et donc, de violence, il n’y en a pas. Mais essaye une fois d’allonger tes mains et de prendre la marchandise sans en donner la valeur d’échange correspondante, la valeur fixée socialement, son équivalent général, de l’argent, en d’autres mots. Jusque là fragmentée, la société s’unit soudainement, pour réagir au viol de la propriété privée. Le capitaliste, le juge, le policier, le maton, le journaliste, le prêtre et le psychologue se hâteront pour la défendre, pour t’expliquer que la valeur d’une chose n’est pas ta jouissance, ton activité ou ton besoin, mais une mystérieuse mesure sociale qui permet d’obtenir la marchandise à l’unique condition que l’on rejoigne le long cortège de ses courtisans, que l’on accepte aussi le capitaliste, le juge etc. Ils viendront t’expliquer la valeur du travail et prôner l’habitude de concevoir les choses comme le temps qu’il faut se laisser dérober pour acquérir la marchandise – c’est ça l’argent – et donc de la sacraliser, de la servir, de te valoriser en fonction de la marchandise et non l’inverse. Ils viendront te rappeler que le respect pour la propriété, c’est l’amour pour l’humain ; que si tu penses le contraire, tu souffres de problèmes mentaux ou familiaux, que tu recherches peut-être l’attention de ton père dans le vol, bref, que tu dois être aidé, suivi, éduqué, intégré. Ils te traîneront devant le tribunal et te jetteront en prison. Et si tu résistes, ils te tabasseront, ils tireront sur toi, ils t’abattront. Quand quelqu’un interrompt la circulation habituelle de l’argent, le vrai visage de la marchandise émerge : la violence. « Voler, braquer, comment est-ce possible ? » se demande le citoyen, focalisé sur sa télécommande, sur ses formulaires, sur l’écran. Pourquoi plutôt l’activité illégale que le travail ? Peut-être parce que quelqu’un qui allonge ses mains directement sur l’argent, soustrait du temps – de la vie – à l’organisation de l’économie. Il soustrait au temps mort du travail la possibilité de faire ce qu’il veut, de rêver, de discuter, d’aimer, de construire ses projets. Moins de temps pour le travail, plus de temps pour le détruire. L’argent, c’est du temps. En attaquant la propriété on n’échappe certes pas à l’exploitation du système marchand (croire une telle chose revient une fois de plus à se concentrer sur sa propre main allongée, donc à accepter une énième anesthésie morale). Ce qu’on obtient, quand on a la force d’attaquer la propriété, n’est rien d’autre que quelques possibilités de plus.

Les choses ne sont alors plus mesurées sur l’échelle de l’argent (donc de l’activité extorquée, du sacrifice), mais se prêtent surtout à l’expérimentation, au don, à l’usage, à la destruction. Le travail n’apparaît plus uniquement comme salaire (la première de ses chaînes), mais comme organisation sociale, comme ensemble de rapports. Quand on se soustrait au salaire – dans le sens strict du mot –, on dispose de quelques instruments en plus dans la lutte contre l’économie (au moins, si on ne se laisse pas soumettre par l’argent, par le rôle de voleur, par le spécialisme). Mais cette lutte est soit diffuse, soit elle n’est rien. C’est uniquement lorsque le pillage devient une pratique diffuse, quand la gratuité s’arme contre la valeur d’échange, quand les rapports ne sont plus médiés par la marchandise et quand les individus donnent leur propre mesure aux choses, uniquement à ce moment là que la destruction de la marchandise et de l’argent – destruction qui ne fait qu’une avec celle de l’Etat et de toute hiérarchie – devient une possibilité réelle.

Mais quand les autorités découvrent de telles intentions derrière un braquage, elles augmentent le prix à payer. Alors le montant de la peine est revu à la hausse ; alors les marchandises deviennent encore plus coûteuses, car ce qui est remis en question, c’est l’existence même des capitalistes, juges, flics, matons, journalistes, prêtres, psychologues, bureaucrates, travailleurs et braqueurs. Pour cela, aucun prix ne devrait sembler trop haut.

Archipel – Affinité, organisation informelle et projets insurrectionnels

Thursday, March 21st, 2013

Pourquoi revenir sur les questions d’affinité et d’organisation informelle? Ce n’est certes pas parce que manquent les tentatives d’explorer et d’approfondir ces aspects de l’anarchisme, parce que les discussions d’hier comme d’aujourd’hui ne s’en inspirent pas quelque peu, ou qu’il n’existe pas de textes – il est vrai, souvent dans d’autres langues – qui abordent ces questions peut-être de manière plus dynamique. Mais certains concepts exigent sans aucun doute un effort analytique et critique permanent, s’ils ne veulent pas perdre leurs significations à force d’utilisation fréquente et de répétition. Sinon, nos idées courent le risque de devenir des lieux-communs, des « évidences », terrain fertile pour le jeu idiot de la compétition des identités où la réflexion critique devient impossible. Il arrive que le choix de l’affinitaire soit bien vite liquidé par certains comme étant un rapport figé aux propres idées, un rapport qui ne permettrait pas de contact avec la réalité ni même avec les compagnons. D’autres agitent par ailleurs l’affinité comme un étendard, une espèce de mot d’ordre – et comme avec tous les mots d’ordre, c’est souvent la véritable signification, profonde et propulsive, qui en est la première victime.

 

Aucune activité humaine n’est possible sans organisation, du moins si on entend par « organisation » la coordination des efforts mentaux et physiques estimés nécessaires pour atteindre un but. Dans cette définition ressort un aspect important qu’on oublie souvent : l’organisation est fonctionnelle, elle est orientée vers la réalisation de quelque chose, vers l’action dans le sens le plus large du terme. Ceux qui appellent aujourd’hui tout le monde à s’organiser sans plus, par manque de buts clairs et dans l’attente que de ce premier moment organisatif découle automatiquement tout le reste, érigent le fait de s’organiser en fin en soi. Dans le meilleur des cas, ils espèrent peut-être qu’une perspective en surgira, une perspective qu’ils ne sont pas capables d’imaginer par eux-mêmes ou de penser dans les grandes lignes, mais qui ne deviendrait pensable ou palpable que dans quelque environnement collectif et organisé. Rien n’est moins vrai. Une organisation n’est fructueuse que quand elle est nourrie, non pas par une présence banalement quantitative, mais par des individus qui l’utilisent pour réaliser un but commun. Autrement dit, il est vain de croire qu’en s’organisant on résoudra les questions du comment, quoi, où et pourquoi lutter par la magie du collectif. Dans le meilleur des cas – ou le pire, ça dépend du point de vue –, on trouvera peut-être une charrette sur laquelle sauter, une charrette tirée par quelqu’un d’autre, et l’on pourra se vautrer dans le rôle plutôt désagréable de suiviste. Ce n’est alors qu’une question de temps avant que, dégoûté et insatisfait, on rompe avec cette organisation.

 

L’organisation est donc subalterne à ce que l’on veut faire. Pour des anarchistes, il faut encore ajouter à cela le lien direct qui doit y exister entre ce que l’on veut faire, l’idéal pour lequel on lutte et la manière de l’atteindre. Malgré tout le camouflage contemporain et les jeux sur les mots, dans les méandres plus ou moins marxistes, des partis sont considérés comme un moyen approprié pour combattre les partis politiques. On voit l’affirmation politique des forces productives avancée aujourd’hui encore (en des temps où l’ampleur du désastre industriel est visible aux yeux de tous), comme voie pour en finir avec les rapports capitalistes. Certains veulent prendre des mesures pour rendre superflues toutes les autres mesures. Les anarchistes n’ont rien à voir avec tous ces tours de passe-passe, pour eux fins et moyens doivent coïncider. L’autorité ne peut être combattue avec des formes organisationnelles autoritaires. Ceux qui passent leur temps à éplucher les finesses de la métaphysique et entendent dans cette affirmation un argument contre l’utilisation de la violence, un alibi ou une capitulation de la part des anarchistes, démontrent par là-même surtout leur désir profond d’ordre et d’harmonie. Tout rapport humain est conflictuel, ce qui ne veut pas dire qu’il soit forcément autoritaire. Parler de ces questions en termes absolus est certes difficile, mais il n’empêche que la tension vers la cohérence est bel et bien une exigence vitale.

 

Si nous pensons aujourd’hui que l’affinité et les groupes affinitaires sont les plus adéquats pour la lutte et l’intervention anarchiste dans la conflictualité sociale, c’est parce que cette considération est intimement liée à comment nous concevons cette lutte et cette intervention. Il existe en effet deux chemins pour aborder la question, des chemins qui ne sont pas diamétralement opposés, mais qui ne coïncident pas complètement non plus. D’une part, il y a l’exigence non-négociable de la cohérence. La question qui se pose alors est dans quelle mesure certaines formes organisationnelles anarchistes (pensons aux organisations de synthèse avec des programmes, des déclarations de principes et des congrès comme les fédérations anarchistes ou les syndicats anarchosyndicalistes) répondent à notre idée de l’anarchisme. D’autre part, il y a la question de l’adéquation de telle ou telle structure organisationnelle. Cette adéquation replace la question plus sur le champ des conditions historiques, des buts que l’on veut atteindre (et donc de la forme organisationnelle que l’on considère la plus adaptée pour cela), de l’analyse de la situation sociale et économique,… Nous aurions sans doute préféré, à d’autres époques aussi, des petits groupes agiles et autonomes à de grandes fédérations, mais sur le plan de l’adéquation à la situation on peut difficilement exclure a priori que, dans certaines conditions, le choix d’une organisation anarchiste de lutte spécifique et fédérative, d’une constellation de guérilla,… puisse (ou plutôt, ait pu) répondre à certains besoins.

 

Nous pensons que contribuer à des ruptures insurrectionnelles ou les développer est aujourd’hui l’intervention anarchiste la plus adéquate pour lutter contre la domination. Par ruptures insurrectionnelles, nous entendons une rupture voulue, ne serait-ce que temporaire, dans le temps et l’espace de la domination ; donc une rupture nécessairement violente. Bien que de telles ruptures aient aussi un aspect quantitatif (car ce sont des phénomènes sociaux qui ne peuvent être réduits à une quelconque action d’une poignée de révolutionnaires), elles sont orientées vers la qualité de l’affrontement. Elles visent les structures et rapports de pouvoir, rompent avec leurs temps et espace et permettent, par les expériences faites et les méthodes utilisées d’auto-organisation et d’action directe, de remettre en question et d’attaquer toujours plus d’aspects de la domination. Bref, les ruptures insurrectionnelles nous paraissent nécessaires sur le chemin vers la transformation révolutionnaire de l’existant.

 

De tout ceci découle logiquement la question de savoir comment les anarchistes peuvent s’organiser pour contribuer à une telle rupture. Sans renoncer à la diffusion toujours importante d’idées anarchistes, il ne s’agit pas, à notre avis, aujourd’hui de rassembler à tout prix un maximum de personnes autour de l’anarchisme. En d’autres termes, nous ne pensons pas qu’il faille de fortes organisations anarchistes avec un rayonnement qui attirerait les exploités et les exclus, prélude quantitatif à ces organisations qui donneraient ensuite (quand les temps seraient mûrs) le signal de l’insurrection. Nous pensons également que les ruptures insurrectionnelles ne sont pas pensables de nos jours en partant d’organisations défendant les intérêts d’un groupe social particulier, à partir par exemple de formes plus ou moins anarchosyndicalistes. L’intégration de telles organisations dans la gestion démocratique répond en effet parfaitement à l’économie capitaliste contemporaine ; c’est cette intégration qui a rendu impossible tout passage espéré d’une position défensive à l’offensive. Pour finir, il nous semble également impossible qu’aujourd’hui, une forte « conspiration » soit capable, par des interventions chirurgicales, de faire vaciller la domination et d’entraîner les exploités dans l’aventure insurrectionnelle ; au-delà même des objections que l’on peut avoir contre cette manière d’envisager les choses. Dans des contextes historiques où le pouvoir était très centralisé, comme dans la Russie tsariste, on pouvait encore quelque part imaginer l’hypothèse d’une attaque directe contre le cœur (dans ce cas, l’assassinat du tsar) comme prélude à la révolte généralisée. Dans un contexte de pouvoir décentralisé comme celui que nous connaissons, la question ne peut plus être de frapper un cœur, pas plus que ne sont imaginables des scénarios où un tir bien ciblé pourrait faire trembler la domination sur ses fondements (ce qui n’enlève évidemment rien à la validité d’un tir bien ciblé). Il faut donc explorer d’autres chemins.

 

 

Affinité et groupes affinitaires

 

De nombreuses personnes reculent devant l’affinité. Il est en effet beaucoup plus facile et moins exigeant d’adhérer à quelque chose, qu’il s’agisse d’une organisation, d’une assemblée permanente ou d’un milieu et d’en reprendre et d’en reproduire les caractéristiques formelles, plutôt que d’entamer la recherche longue et jamais accomplie de compagnons avec qui partager des idées, des analyses et d’éventuels projets. Car l’affinité, c’est précisément cela : la connaissance réciproque entre compagnons, des analyses partagées qui aboutissent à des perspectives d’action. L’affinité est donc orientée d’un côté vers l’approfondissement théorique et de l’autre vers l’intervention dans la conflictualité sociale.

 

L’affinité se situe radicalement sur le champ qualitatif. Elle aspire au partage d’idées et de méthodes et n’a pas pour but une croissance à l’infini. Or, même camouflée, la plus grande préoccupation de nombreux compagnons semblent rester le nombre. Combien sommes-nous ? Comment faire pour être plus nombreux ? De la polarisation sur cette question et du constat que si nous ne sommes pas nombreux aujourd’hui, cela a aussi à voir avec le fait que beaucoup ne partagent pas nos idées (et non, même pas inconsciemment), découle la conclusion qu’il faudrait, pour attirer du nombre, éviter de trop mettre l’accent sur certaines idées. De nos jours, rares sont ceux qui essayent encore de vendre des cartes de membres pour quelque organisation révolutionnaire, destinée à croître quantitativement et aspirant à représenter toujours plus d’exploités ; mais d’autant plus pensent que la meilleure manière de connaître d’autres personnes consiste à organiser des activités « consensuelles » comme par exemple des bars autogérés, des ateliers, des concerts etc. Bien sûr, de telles activités peuvent avoir leur place, mais on parle de bien autre chose, si l’on aborde le sujet d’approfondir l’affinité. L’affinité n’est pas la même chose que l’amitié. Certes, les deux ne s’excluent pas, mais ce n’est pas parce qu’on partage certaines analyses, qu’on couche aussi ensemble, et vice versa. Tout comme ce n’est pas parce qu’on écoute la même musique, qu’on entend lutter de la même manière contre la domination.

 

La recherche de l’affinité se déroule sur un plan interindividuel. Ce n’est donc pas un événement collectif, une affaire de groupe, où il sera toujours plus facile de suivre que de réfléchir par soi-même. L’approfondissement de l’affinité est évidemment une question de pensée et d’action, mais au fond, l’affinité ne résulte pas tellement du fait de mener une action ensemble, mais c’est plutôt le point de départ pour pouvoir passer à l’action. Oui c’est entendu, objecteront certains, mais cela signifie alors que je ne rencontrerai pas un nombre de personnes, qui pourraient être de bons compagnons, parce qu’en quelque sorte je m’enferme dans l’affinitaire. Il est vrai que la recherche et l’approfondissement d’affinité demande beaucoup de temps et d’énergie, et qu’on ne peut donc pas la généraliser à tous les compagnons. Le mouvement anarchiste dans un pays, dans une ville ou même dans un quartier ne peut pas devenir un grand groupe affinitaire. Il ne s’agit pas d’agrandir les différents groupes affinitaires avec toujours plus de compagnons, mais bien de rendre possible la multiplication de groupes affinitaires autonomes. La recherche, l’élaboration et l’approfondissement des affinités mène à de petits groupes de compagnons qui se connaissent, partagent des analyses et passent ensemble à l’action.

 

Le mot est lâché. L’aspect « groupe » du groupe affinitaire a été régulièrement critiqué, à tort et à raison. Souvent, des compagnons partagent la notion d’affinité, mais cela devient plus compliqué quand on commence à parler de « groupes », qui d’un côté dépassent le seul caractère interindividuel et de l’autre semblent limiter la « croissance ». Les objections consistent ensuite souvent à pointer les mécanismes pernicieux d’ « intérieur/extérieur », de « dedans/dehors » que ces groupes affinitaires peuvent générer (comme par exemple le fait de renoncer à son propre parcours pour suivre celui des autres, la sclérose et les mécanismes qui peuvent en découler comme certaines formes de compétition, de hiérarchie, de sentiments de supériorité ou d’infériorité, la peur,…). Mais ces problèmes se posent avec n’importe quel type d’organisation et ne sont pas exclusivement liés à l’affinité. Il s’agit donc plutôt de réfléchir à comment éviter que la recherche d’affinité mène à une stagnation et à une paralysie plutôt qu’à un épanouissement, une diffusion et une multiplication.

 

Un groupe affinitaire, ce n’est pas la même chose qu’une « cellule » de parti ou qu’une formation de guérilla urbaine. Comme sa recherche est permanente, l’affinité évolue en permanence. Elle peut « augmenter » jusqu’au point où un projet partagé devient possible, mais à l’inverse, elle peut aussi « diminuer » jusqu’à rendre impossible de faire quoi que ce soit ensemble. L’archipel des groupes affinitaires change donc constamment. Ce changement constant est d’ailleurs souvent pointé du doigt par des critiques : on ne peut rien construire à partir de cela, car ce n’est pas stable. Nous sommes convaincus du contraire : il n’y a rien à construire sur des formes organisationnelles qui tournent en soi, hors des individus qui en font partie. Car tôt ou tard, au premier contrecoup, excuses et subterfuges pleuvront. Le seul sol sur lequel nous pouvons construire, c’est la recherche partagée d’affinité.

 

Enfin, nous voulons souligner encore que cette façon de s’organiser a en plus l’avantage d’être particulièrement résistante aux mesures répressives de l’Etat, car elle n’a pas de bastions représentatifs, de structures ou de noms à défendre. Là où des formations figées et de grandes organisations peuvent être démantelées presque d’un seul coup du fait même qu’elles sont plutôt statiques, les groupes affinitaires restent agiles et dynamiques y compris lorsque frappe la répression. Comme les groupes affinitaires sont basés sur la connaissance réciproque et la confiance, les risques d’infiltration, de manipulation et de délation sont beaucoup plus limités que dans les grandes structures organisatives auxquelles les gens peuvent adhérer formellement ou dans les vagues milieux où il suffit de reproduire certains comportements pour faire partie du club. L’affinité est une base très difficile à corrompre, justement parce qu’elle part des idées et évolue aussi en fonction d’elles.

 

 

Organisation informelle et projectualité

 

Nous sommes d’avis que les anarchistes ont le plus de liberté de mouvement et d’autonomie pour intervenir dans la conflictualité en s’organisant en petits groupes basés sur l’affinité, plutôt que dans de grandes formations ou des formes organisationnelles quantitatives. Bien entendu, il est souhaitable et souvent nécessaire que ces petits groupes arrivent à s’accorder quelque peu. Non pas pour se transformer en moloch ou en phalange, mais pour réaliser des buts spécifiques et partagés. Ces buts déterminent alors l’intensité de la coopération, de l’organisation. Il n’est certes pas exclu qu’un groupe affinitaire organise seul une manifestation, mais dans de nombreux cas une coordination entre différents groupes affinitaires pourrait s’avérer souhaitable et nécessaire pour réaliser cet objectif spécifique, ancré dans le temps. La coopération peut aussi être plus intense dans le cas d’un projet de lutte conçu plus sur le moyen terme, comme par exemple une lutte spécifique contre une structure du pouvoir (la construction d’un centre fermé, d’une prison, d’une centrale nucléaire,…). Dans ce cas, on pourrait parler d’organisation informelle. Organisation, parce qu’il s’agit d’une coordination des volontés, des moyens et des capacités entre différents groupes affinitaires et individualités qui partagent un projet spécifique, limité dans le temps. Informelle, parce qu’il ne s’agit pas de promouvoir un nom quelconque, de renforcer quantitativement l’organisation, d’y adhérer formellement ou de souscrire à quelque programme ou déclaration de principe, mais d’une coordination agile et légère pour répondre aux besoins du projet de lutte.

 

Dans un sens, l’organisation informelle se trouve aussi sur le champ affinitaire, mais elle dépasse le caractère interindividuel. Elle n’existe qu’en présence d’une projectualité partagée. Une organisation informelle est donc directement orientée vers une lutte, elle ne peut exister détachée de celle-ci. Comme nous le disions auparavant, elle sert à répondre à certains besoins d’un projet de lutte qui ne peuvent pas, ou difficilement, être assumés par un groupe affinitaire singulier. Elle peut par exemple permettre de mettre à disposition les moyens qu’on juge nécessaires. L’organisation informelle n’a donc pas pour but de rassembler tous les compagnons derrière le même drapeau ou de réduire l’autonomie des groupes affinitaires et des individualités, mais de faire dialoguer cette autonomie. Elle n’est pas un biais pour faire tout ensemble, mais est un instrument pour donner corps et âme à un projet commun, à travers les interventions particulières des groupes affinitaires et des individualités.

 

Qu’est-ce que signifie avoir un projet ? Les anarchistes veulent la destruction de toute autorité, on peut donc supposer qu’ils sont en permanence à la recherche de manières pour le faire. En d’autres termes, on peut bien sûr être anarchiste et actif en tant que tel sans un projet spécifique de lutte. C’est d’ailleurs ce qui se passe généralement. Soit les anarchistes suivent plus ou moins les directives des organisations auxquelles ils appartiennent (chose qui semble plutôt appartenir au passé), soit ils attendent l’arrivée de conflits auxquels participer, ou tentent de faire rentrer autant d’aspects anarchistes que possible dans leur vie quotidienne. Aucune de ces attitudes ne présume la présence d’une véritable projectualité – ce qui, soyons clairs, n’en rend bien évidemment pas ces compagnons moins anarchistes. Un projet est par contre basé sur une analyse du contexte social, économique et politique dans lequel on se trouve, d’où on distille une perspective qui permet d’intervenir sur le court ou le moyen terme. Un projet englobe donc un ensemble d’analyses, d’idées et de méthodes, coordonnées pour atteindre un but. On peut par exemple publier un journal anarchiste parce ce qu’on est anarchiste et qu’on veut diffuser ses idées. Bien, mais une approche plus projectuelle exigerait une analyse des conditions dans lesquelles une publication, d’une certaine forme, est estimée adéquate pour intervenir dans la conflictualité. On peut décider de lutter contre les déportations, contre la dégradation des conditions de survie, contre la prison,… parce que toutes ces choses sont tout simplement incompatibles avec ses idées ; développer un projet nécessiterait une analyse pour comprendre où une intervention anarchiste serait la plus intéressante, quelles méthodes il faudrait utiliser, comment on pourrait envisager d’impulser ou d’intensifier une tension conflictuelle dans un certain laps de temps. Il va de soi que de tels projets sont souvent l’occasion d’une organisation informelle, d’une coordination entre différents groupes et individualités anarchistes.

 

L’organisation informelle ne peut donc pas être fondée, constituée ou abolie. Elle naît de façon tout à fait naturelle selon les besoins d’un projet de lutte et disparaît quand ce projet est réalisé ou quand on estime qu’il n’est plus possible ou adéquat de chercher à le réaliser. Elle ne coïncide pas avec l’ensemble de la lutte en cours : de nombreuses formes organisationnelles, lieux de rencontres, assemblées, etc. produites par une lutte existeront indépendamment de l’organisation informelle, ce qui ne veut pas dire que des anarchistes ne pourront pas aussi y être présents.

 

 

Les « autres »

 

Mais nous avons jusque-ici surtout parlé des formes organisationnelles entre anarchistes. Sans aucun doute, de nombreuses révoltes fournissent des suggestions précieuses qui montrent des parallèles avec ce que nous venons dire. Que l’on pense par exemple aux révoltes des dernières années dans les métropoles. Nombre de rebelles s’organisent en petits groupes agiles. Ou pensons aux soulèvements de l’autre côté de la Méditerranée. Il n’y a pas eu besoin d’une organisation forte ou de quelque représentation des exploités pour déchaîner ces soulèvements, leur colonne vertébrale était bien les formes multiples et informelles d’auto-organisation. Bien entendu, nous ne nous sommes pas exprimés là sur le « contenu » de ces révoltes, mais sans formes organisationnelles plutôt antiautoritaires, il serait juste totalement impensable qu’elles aillent dans une direction libératrice et libertaire.

 

Il est temps de faire ses adieux, une fois pour toute, aux réflexes politiques, encore plus en ces temps où les révoltes ne répondent pas (ou plus) aux prérogatives politiques. Les insurrections et les révoltes ne doivent être dirigées, ni par les autoritaires, ni par les anarchistes. Elles ne demandent pas à être organisées dans quelque grande formation. Il n’empêche que notre contribution à de tels événements, des phénomènes véritablement sociaux, ne peut rester simplement spontanée, si elle aspire à être une contribution qualitative – elle requiert donc une certaine organisation et projectualité. Mais les exploités et les exclus n’ont pas besoin des anarchistes pour se révolter ou s’insurger. Nous ne pouvons être qu’un élément supplémentaire, bienvenu ou pas, une présence qualitative. Mais qui n’en demeure pas moins importante, si nous voulons faire percer les ruptures insurrectionnelles dans un sens anarchiste.

 

Si les exploités et les exclus sont parfaitement capables de se révolter sans les anarchistes et sans leur concours, ce n’est pas pour autant que nous sommes prêts à renoncer à chercher des points et de terrain où on peut lutter ensemble avec eux. Ces points et terrains ne sont pas des conséquences « naturelles » ou « automatiques » des conditions historiques. La rencontre entre les groupes affinitaires, comme l’organisation informelle des anarchistes et des exploités qui sont prêts à lutter, se fait le mieux dans la lutte même, ou au moins, dans une proposition de lutte. La nécessité de diffuser et d’approfondir les idées anarchistes est indéniable et à aucun moment, il ne faudrait les cacher, les reléguer à l’arrière-plan ou les camoufler au nom d’une stratégie quelconque, mais dans un projet de lutte insurrectionnel il ne s’agit pas de convertir un maximum d’exploités et d’exclus à nos idées, mais plutôt de rendre possible des expériences de lutte avec la méthodologie anarchiste et insurrectionnelle (attaque, auto-organisation et conflictualité permanente). Selon les hypothèses et les projets, il faut effectivement réfléchir sur les formes organisationnelles que peut prendre cette rencontre entre anarchistes et ceux qui veulent lutter sur une base radicale. Ces formes organisationnelles ne peuvent certainement pas être des constellations exclusivement anarchistes, vu que d’autres rebelles y participent. Elles ne sont donc pas de supports pour « promouvoir » l’anarchisme, mais ont pour but de donner forme et substance à la lutte insurrectionnelle.

 

Dans certains textes, rédigés à partir d’une série d’expériences, on parle de « noyaux de base » formés dans le cadre d’un projet spécifique de lutte, de formes organisationnelles basées sur les trois caractéristiques fondamentales de la méthodologie insurrectionnelle. Les anarchistes y prennent part, mais avec d’autres. Dans un sens, ce sont surtout des points de référence (non pas de l’anarchisme, mais de la lutte en cours). Ils fonctionnent un peu comme des poumons de la lutte insurrectionnelle. Quand cette lutte est intense, ils comptent beaucoup de personnes et se réduisent quand la température redescend. La dénomination de telles formes organisationnelles n’a évidemment que peu, voire aucune importance. Il s’agit d’envisager, dans le cadre de certains projets de lutte, si de telles formes organisationnelles sont imaginables et nécessaires. Il faut encore souligner qu’il ne s’agit pas de collectifs, de comités, d’assemblées de quartiers etc., formés à l’avance, qui ont généralement comme but de perdurer et dont la composition est rarement antipolitique et autonome (vu la présence d’éléments institutionnels). Les « noyaux de base » se forment au sein du projet de lutte et n’ont qu’un but concret : attaquer et détruire un aspect de la domination. Ce ne sont donc pas des organisations para-syndicales qui défendent les intérêts d’un groupe social (des comités de chômeurs, des assemblées d’étudiants,…), mais des occasions organisationnelles orientées vers l’attaque. Les expériences d’auto-organisation et d’attaque ne garantissent bien évidemment en rien que dans une prochaine lutte, les exploités n’accueilleront ou ne tolèreront plus d’éléments institutionnels. Mais sans ces expériences, ce genre de réactions est presque impensable.

 

Pour résumer, il ne s’agit donc pas, à notre avis, de constituer des organisations pour « attirer les masses » ou les organiser, mais de développer et de mettre en pratique des propositions concrètes de lutte. A l’intérieur de ces propositions de lutte, à caractère insurrectionnel, il faut donc réfléchir aux formes organisationnelles estimées nécessaires et adéquates pour réaliser la proposition d’attaque. Soulignons encore que ces formes organisationnelles n’impliquent pas forcément des structures avec des réunions, des lieux de rencontre etc., mais qu’elles peuvent peut-être naître aussi directement dans la rue, dans les moments de lutte. A certains endroits, il peut par exemple être plus facile de créer des « points de référence » ou des « noyaux de base » avec d’autres exploités en interrompant la routine, en érigeant une barricade dans la rue,… plutôt que d’attendre que tout le monde vienne à un rendez-vous pour parler de la possibilité d’une barricade. Ces aspects ne peuvent pas être laissés totalement au hasard et à la spontanéité. Une projectualité permet d’y réfléchir et d’évaluer les différentes possibilités et leur pertinence.

 

 

Bref

 

Si la question n’est plus de comment organiser les gens pour la lutte, elle devient comment organiser la lutte. Nous pensons que des archipels de groupes affinitaires, indépendants les uns des autres, qui peuvent s’associer selon des perspectives partagées et des projets concrets de lutte, sont la meilleure manière pour passer directement à l’offensive. Cette conception offre la plus grande autonomie et le plus large champ d’action possibles.. Dans le cadre de projets insurrectionnels, il est nécessaire et possible de trouver des manières de s’organiser informellement qui permettront la rencontre entre des anarchistes et d’autres rebelles, des formes d’organisation qui ne sont pas destinées à se perpétuer, mais sont orientées vers un but spécifique et insurrectionnel.

 

 

 

 

« A l’Etat centralisateur, autoritaire, despotique et disciplinant, il faudrait opposer une force décentralisée, antiautoritaire et libre. Faut-il encore énumérer les avantages d’une telle conception ? En plus de disposer d’une force d’attaque et de résistance majeure, l’action se réalise plus facilement et plus rapidement. Chacun donne plus volontiers tout ce qu’il a, y compris sa vie, si cette œuvre émane de sa propre initiative. La trahison devient plus difficile et peut faire moins de dégâts. Les défaites sont très partielles. Toutes les attitudes et toutes les initiatives sont développées pleinement… Donc finis les centres, les bureaux de correspondance ou les commissions de statistiques, finis les plans généraux élaborés a priori ; que chacun essaie dans son propre environnement de former autour de soi un groupe et que cette poignée tente de s’adonner pleinement à l’action. Dix personnes, six personnes peuvent poser des actes dans une ville qui auront des échos partout dans le monde… Toute poignée deviendra un point de départ pour l’action, avec son propre plan ; et de ces initiatives multiples et variées découlera harmonieusement et uni le résultat d’une guerre entière : la destruction des oppresseurs et des exploiteurs. »

 

Carlo Cafiero, Il Grido del Popolo, Naples, 4 juillet 1881

Survivre

Thursday, March 21st, 2013

Le suicide est probablement le seul compromis que tu peux faire avec ce monde pour être vraiment débarrassé de tout compromis ultérieur. Vivre par contre, est une entreprise plus ou moins turbulente dans laquelle on se voit accablé de compromis. Ceux qui ne perdent pas le sommeil du fait de leur propre asservissement ou de celui des autres, ne les considèrent pas comme tels. Ils n’aperçoivent pas de compromis dans l’histoire du pouvoir, mais plutôt des opportunités, pas d’enfermement menaçant, mais plutôt un possible épanouissement. Le cadre figé à l’intérieur duquel ils se meuvent ne leur semble rien d’autre qu’une évidence, une loi naturelle. Perte de temps que de la remettre en question. Par contre, ceux qui font leur propre chemin dans la réalité, mais cherchent en même temps des moyens pour attaquer et transformer celle-ci font des compromis, quelles que soient leurs réticences. Mais tant qu’ils luttent, ils les font avec les yeux ouverts, consciemment. Le contraire signifierait leur mort. Leur hostilité barbare au compromis ne provient pas de la conviction que, dans le meilleur des mondes, ils ne feraient plus jamais de compromis, mais de la conscience que la plupart et le plus grave des compromis ne servent rien d’autre que le monde tel qu’on le connaît. Son oppression, ses systèmes, ses principes, valeurs et normes.

 

Le plus impératif des défis, et pour nombre de personnes sur cette planète le plus grand voir le seul, est l’art de survivre. Littéralement. Un toit, de la nourriture, des vêtements, la santé. Ce qui provoque la recherche continuelle d’argent. Les inépuisables promoteurs de cette société prétendent avec un grand enthousiasme que c’est là que commence l’aventure. Que là, « le fonctionnel » et « l’agréable » peuvent se rencontrer, dans une structure où tu peux réaliser aussi bien tes préférences et tesdésirs que ton épanouissement et ton développement. Si toute cette propagande suggère une abondance luxuriante, tout se réduit assez facilement à un même dénominateur : le travail. Et même si ceux qui veulent lutter ici et maintenant pour une vie totalement autre que celle qui leur est imposée embrassent une saine aversion pour le travail, ils se trouvent tout de même, comme tout le monde, confrontés à la question de la survie. Ils sont conscients que tout effort qu’exige de leur part la recherche d’argent, signifie un compromis. Mais ils réflechissent et cherchent à survivre sans qu’en disparaissent leurs véritables désirs et leur révolte. Avec un peu de chance, on réussit à s’en procurer les moyens, ce que, face aux fondements oppressifs de cette société, on ne saurait que soutenir : frauder et voler des riches. Mais souvent, on se trouve quand même embarqué sur la voie du travail salarié. Je ne me suis jamais posé comme but absolu de ne gaspiller aucune journée de ma vie au travail, tout comme il n’a jamais été mon but absolu de ne faire aucun compromis au cours de mon existence. Non tant que je pense que c’est impossible, mais parce que même la meilleure tentative dans cette direction deviendrait un boulot à plein temps qui, finalement, m’empêcherait de développer mes projets de lutte, d’agir contre un existant que je veux détruire, de donner de l’oxygène à ma révolte. Une révolte ne saurait jamais être absolue, infinie ou complète. Il s’agit plutôt d’un moment où l’on rompt avec les directives du vieux monde, un moment qu’on peut provoquer et vivre, que je veux partager avec d’autres et que je veux faire rentrer dans le plus de sphères possibles de la vie quotidienne. Je veux apporter ces expériences à d’autres révoltes, d’autres ruptures, pour qu’elles deviennent plus profondes et riches.

 

Mais la domination, qui, en fin de compte, veut voir tout le monde à la tâche, a préparé bien des embuscades aux récalcitrants du travail. Elles deviennent visibles quand, une fois de plus, quelqu’un confond lutte avec travail et en conclut que la force révolutionnaire réside dans l’autogestion du travail. L’embuscade devient tout à fait claire quand untel vient te faire remarquer que tout pris en compte, on préfère quand même survivre en faisant quelque chose qu’on aime faire, quelque chose à laquelle on peut contribuer avec nos idées, où on soit son propre patron. Effectivement, son propre patron. C’est exactement ce que veulent les vrais patrons : que tu deviennes ton propre patron, que l’acharnement avec lequel tu travailles, contribues à l’économie, fais la grandeur de l’économie, vienne de toi-même et te soit inculqué à travers une idée d’épanouissement de soi-même. Cela leur épargne, à tous égards, pas mal de peine.

Ne me comprends pas de travers. Je crois effectivement qu’on peut mettre pas mal de nos propres intentions au sein du travail. De tout temps, l’homme a exprimé sa créativité en la matière, et celle-ci peut encore se concrétiser aujourd’hui de bien des manières : travailler dans des magasins et découvrir la meilleure manière pour les braquer ; aller faire du bâtiment dans des villas et apprendre comment on peut les dévaliser au mieux ; travailler à la chaîne et expérimenter comment on peut saboter le processus de production ; s’approprier, lors d’un boulot justement, des capacités que tu peux utiliser pour armer ta lutte de libération. Les possibilités sont là. Peut-être que c’est quand-même vrai, qu’on peut faire dialoguer « le fonctionnel » et « l’agréable » dans le travail.

Nouveau centre fermé – Les contours d’une lutte

Thursday, March 21st, 2013

Ce panorama de la lutte contre la construction du nouveau centre fermé à Steenokkerzeel ne prétend pas être exhaustif, ni neutralement objectif. Son but est simplement d’offrir un cadre qui permettrait à chacun de construire et de formuler des critiques, des réflexions théoriques et des approfondissements méthodologiques à propos d’un projet de lutte spécifique. Un panorama sommaire implique forcément une schématisation qui ne coïncide pas exactement avec la réalité, et encore beaucoup moins avec l’intensité de ceux qui vivaient, pensaient, sentaient et agissaient dans cette réalité.

 

 

Le choix d’un projet autonome de lutte spécifique

 

En été 2009, des premières discussions entre compagnons commencent à avoir lieu autour de la possibilité d’une lutte spécifique contre la construction d’un nouveau centre fermé à Steenokkerzeel. Ce choix provenait d’une certaine analyse des conditions sociales et économiques et de l’évolution (ou plutôt, l’extinction) de la lutte pour une régularisation générale ; et de l’autre côté des expériences d’agitation dans la rue et de la solidarité offensive avec les nombreuses révoltes et mutineries dans les prisons et les centres fermés. Ce choix permit de développer un projet de lutte autonome, en d’autres mots, une lutte qui n’est pas à la remorque de facteurs externes, qui puise assez de force en soi-même pour ne pas devoir courir derrière les faits, qui se donne les moyens qu’on juge adéquats, qui sait déterminer sa propre temporalité. Le choix d’un parcours autonome de lutte devait permettre aussi de rencontrer d’autres gens qui veulent lutter sur une base radicale, qui se rebellent, sur un terrain non-contaminé par la politique, la représentation, l’attente ou la logique purement quantitative.

 

Une invitation à la lutte commença à circuler parmi différents groupes de compagnons et dans différentes villes. Cette invitation sera ensuite la base pour une sorte d’espace informel entre des individualités et des groupes affinitaires de différents coins du pays ; un espace de discussion où l’on pouvait approfondir les perspectives de la lutte, sans pour autant former un seul grand groupe qui déciderait ensemble de tout ou qui devrait être d’accord sur tout.

 

 

Briser le silence

 

A partir de septembre 2009, les premiers pas sont faits pour diffuser l’information de la construction du nouveau centre fermé et pour briser le silence (relatif) autour de ce projet d’Etat. Des dizaines d’initiatives de distribution de tracts ont lieu dans la rue, dans les métros, dans les gares, dans différents quartiers qualifiés de « sensibles » (surtout à Bruxelles, mais pas seulement). Des affiches sont faites non seulement pour briser le silence et pour faire connaître le thème, mais aussi pour expliquer nos raisons de lutter contre la construction de ce nouveau centre et de lier cette lutte à une critique plus générale de ce monde d’exploitation et d’oppression. Cette agitation s’adressait à tous ceux qui voulaient lutter et non pas spécifiquement à certaines catégories (par exemple, « les sans-papiers »). Dès le début, le choix a été affirmé de ne pas collaborer avec quelque force politique que ce soit, un choix qui ne sera jamais remis en doute au long de la lutte, mais de s’adresser directement à ceux qui veulent lutter et se révolter sur une base directe, auto-organisée et anti-institutionnelle.

 

De modestes actions de sabotage ont lieu pour trancher de manière plus insistante avec la routine quotidienne pour poser le problème de la construction du nouveau centre fermé, comme par exemple le sabotage de dizaines de machines de vente de la STIB à Bruxelles, des bureaux centraux de De Lijn à Louvain, des incendies contre des distributeurs de billets à Gand ou une petite incursion sur le chantier du centre fermé à Steenokkerzeel. De plus, en octobre 2009, quelques dizaines de personnes cagoulées pénètrent pendant les heures d’ouverture dans les bureaux de Besix, constructeur principal du centre fermé, et en dévastent l’intérieur. Cette attaque connaîtra de nombreux échos dans la presse, qui semble sursauter en constatant l’existence d’opposants radicaux à la construction du nouveau centre, habituée comme elle est à parler de manière compatissante des luttes, comme par exemple des sans-papiers qui occupent des bâtiments ou des mutineries dans les centres. Le ton était quelque peu donné…

 

 

L’identification de l’ennemi et l’attaque diffuse

 

Généralement, et dans la mesure où une telle appréciation est considérée comme intéressante, on peut dire que les compagnons ont rencontré dans la rue beaucoup de « sympathie » pour cette lutte, une lutte radicale. Les compagnons ne se heurtaient pas à un mur d’indifférence et de résignation, comme ça peut aussi se passer. Plus encore, la « spécificité » de l’aspect du pouvoir que l’on critiquait (le centre fermé et la machine à expulser) était vite dépassée et se trouvait liée à une critique générale de la prison et de l’enfermement, une critique rudimentaire de l’exploitation et de l’Etat, etc. Différents tracts et un numéro unique avançaient des analyses partant de cette lutte spécifique, qui reliaient cet aspect aux idées anarchistes et antiautoritaires, ainsi qu’aux autres aspects de la domination.

 

Mais il ne fallait pas uniquement des idées, des perspectives et des analyses, mais aussi des amorces concrètes pour attaquer l’ennemi, des suggestions claires et nettes pour l’action directe. Il fallait réfléchir à comment saboter concrètement la construction du nouveau centre fermé, comment attaquer la machine à expulser dans une perspective destructrice (et non pas de réforme, d’amélioration, d’adaptation, etc.). Une des propositions, qui a été portée tout au long de la lutte et qui lui a donné beaucoup de force, était celle de l’attaque diffuse. Des attaques modestes, faciles et diffuses contre le monstre. Mais il fallait identifier le monstre : ses tentacules, ses intestins, ses excréments, ses cerveaux… se trouvent à portée de main pour tous. La construction du centre a été disséquée : quelles entreprises de construction, quels architectes, quelles institutions, quels fournisseurs y collaborent ; la machine à expulser a été disséquée : quelles entreprises, organisations, services publics la font tourner ; les liens sous-jacents entre le monde des déportations et les autres aspects répressifs de la domination : les structures policières, les institutions répressives, les prisons, les écoles, les centres psychiatriques, le travail,… « La gestion de l’immigration » ne peut pas être attaquée, ce qui est attaquable, ce sont les incarnations concrètes, les structures et les hommes qui rendent possible la gestion de l’immigration.

 

Nombre de ces aspects, structures et hommes, ont été attaqués au cours de la lutte, avec des moyens divers, mais toujours dans une optique d’action directe, autonome, non-médiée. Si l’on en croit les rapports du sénat belge1, seulement dans la période de l’été 2009 à décembre 2009, plus de cent actions d’attaque ont eu lieu contre les institutions, les entreprises, les organisations et les structures impliquées dans le domaine carcéral ; actions allant du peinturlurage, au sabotage, au vandalisme ou à l’incendie. Certaines de ces attaques ont été communiquées ou revendiquées via des canaux du « mouvement », la grande majorité a eu lieu dans l’anonymat. Bien que la « connaissance publique » de certains faits d’attaque puisse certes se révéler importante pour pouvoir donner des idées, de l’enthousiasme et du courage à d’autres rebelles, il est incontestable que ce n’est que quand une action est anonyme,qu’elle peut effectivement appartenir à tous. Une lutte spécifique peut certes partir d’un noyau modeste de compagnons, mais l’intention, dans une perspective insurrectionnelle, ne peut jamais être de transformer ce noyau modeste en une sorte d’ « élite armée ». Il s’agit tout simplement de créer les conditions pour une hostilité diffuse et une intensification de la conflictualité ; et ceci n’a aucunement besoin de traductions politiques.

 

Celui qui croît que la conflictualité sociale peut être réduite à la somme des faits d’attaques (qui ne sont rapportés que très rarement ou sous forme mutilée dans les médias, les journaleux, laquais du pouvoir, n’ont pas pour but de nourrir les mauvaises intentions de qui que ce soit) a une vision quantitative et politique. Il n’existe pas d’échelles ou de statistiques pour mesurer les tensions et pratiques subversives. Ce qui n’enlève pas que l’on peut carrément dire que la lutte spécifique contre la construction du centre fermé ne s’est pas limitée à un groupe de compagnons ; plus encore, on peut affirmer que cette lutte a contribué à l’intensification des hostilités diffuses, à l’intérieur du champ de la lutte mais aussi sur d’autres fronts.

 

Au confluent des situations

En novembre 2009, une manifestation a lieu à Bruxelles contre la construction du nouveau centre fermé, manifestation annoncée bien à l’avance. La veille de la manifestation, des émeutes éclatent dans la commune bruxelloise d’Anderlecht : un groupe important incendie le commissariat de police après que des nouvelles soient sorties par rapport aux tortures que la police de cette même zone a fait subir à plusieurs prisonniers dans la prison de Forest lors d’une grève des gardiens (la police reprenant alors le contrôle de l’établissement). Ailleurs en Belgique, comme à Andenne, des mutineries éclatent dans les prisons. Le climat était tendu, les tensions dans certains quartiers bruxellois devenaient explosives et la lutte contre le nouveau centre fermé se trouvait « en vitesse de croisière ».

 

Une fois de plus, il était clair qu’il n’existe pas de raisons fondées pour « attendre ». Que quand on est mentalement et pratiquement préparé à de soudaines intensifications de la conflictualité sociale, par exemple parce que l’on est en train d’élaborer un projet, on peut rentrer en dialogue avec ce qui se passe autour de soi. Il est vrai que la conflictualité sociale connaît des moments plus intenses et des moments plus mous, mais au final, et sous d’innombrables formes, elle est toujours présente de manière latente. Il ne s’agit pas d’y coller une vision de la poule ou l’œuf, mais la lutte spécifique menée contre la construction du centre fermé à Steenokkerzeel dialoguait avec et avait sa place dans une conflictualité sociale plus large. Elle n’a pas seulement permis de proposer de manière concrète la révolte et des attaques directes contre l’autorité, mais aussi de diffuser des idées anarchistes et antiautoritaires au sein de cette conflictualité. Dès que l’on commence à lutter soi-même et que l’on élabore un projet de lutte, il n’est plus question de se trouver à « l’intérieur » ou à « l’extérieur » de la conflictutalité. On en fait partie, on en est une partie, avec ses propres pratiques et désirs, qui peut influencer, contaminer, provoquer ou non le reste de la conflictualité.

 

Dans les contrées bruxelloises naissait vers la fin 2009 une sorte de coordination antiautoritaire qui permettait d’aborder plus profondément certaines discussions par rapport à la lutte en cours. La présence dans les quartiers bruxellois, les tentatives de jeter des ponts entre la lutte contre la construction du centre fermé à Steenokkerzeel et d’autres révoltes et conflits, la « rencontre » entre un projet de lutte antiautoritaire et la conflictualité sociale dans son ensemble,… voilà les questions alors à l’ordre du jour.

 

 

Aller plus loin

 

Quelles propositions de lutte, quelle projectualité élaborer dans un climat aussi favorable ? Comment continuer à approfondir les idées et les analyses ? Questions auxquelles il n’était pas facile de répondre. Comme on disait, une proposition concrète était celle de l’attaque diffuse. Mais était-elle suffisante ?

 

En plus des formes plus « habituelles » de propagande comme des distributions de tracts, des collages d’affiches, des graffitis, des expositions dans la rue, on commençait à expérimenter d’autres formes. Ainsi se sont succédées des dizaines de « ballades », petites manifestations qui ne visaient pas le recensement quantitatif des participants, mais à secouer la routine quotidienne, la distribution de matériaux de propagande et d’idées, la désignation de possibilités d’attaque contre les structures concrètes de l’ennemi,… et qui devaient permettre également une éventuelle « participation spontanée ». D’autres actions anonymes se sont déroulées pour inciter d’avantage à la lutte. Quelques jours avant Noël, par exemple, le petit Jésus a été enlevé de sa crèche dans les environs de Steenokkerzeel pour exiger la fermeture de toutes les prisons. Ou encore à Bruxelles, où un groupe d’inconnus a perturbé le repas de midi à la cantine Sodexo de l’université bruxelloise en expropriant une partie de la nourriture et en rendant le reste aussi indigeste que la responsabilité de cette entreprise dans les camps de déportation.

 

Des discussions ont été entamées par rapport à d’éventuelles propositions organisationnelles vers d’autres personnes qui voulaient lutter, propositions pour fournir un peu de sol stable à travers l’attaque et l’auto-organisation, à la lutte contre le nouveau centre fermé. Des petites structures organisationnelles ou des lieux dans les quartiers bruxellois qui pouvaient servir de points de rencontre et de points de référence pour la lutte. Ces points de référence pouvaient être par exemple l’occupation combative d’un bâtiment vide ; une occupation qui n’entend pas se perpétuer, mais créer temporairement un point de rencontre radical. La création de comités de quartiers, auto-organisés et orientés vers l’attaque, a aussi été discutée. Mais, malheureusement, tout cela resta au stade de « réflexions »…

 

Ce qui a bel et bien été réalisé fut une assemblée de lutte permanente, un espace de discussion accessible à tous ceux qui veulent lutter. Cette assemblée a certes permis d’approfondir quelques questions ; elle a sans doute servi de point de rencontre hors des cercles antiautoritaires spécifiques (en tout cas, un point de rencontre qui était accessible à d’autres). Mais elle ne peut pas être considérée comme une réponse adéquate et réussie aux questions en suspens. Au lieu de décentraliser la lutte vers des petits groupes autonomes et des structures de lutte auto-organisées ancrées dans la conflictualité sociale, cette assemblée tendait plutôt à re-centraliser la lutte diffuse dans un moment de réunion, dans un espace. Au lieu que des initiatives autonomes et disparates donnent la mosaïque colorée d’une dynamique de lutte, une chose comme une assemblée tendait à imposer ses temps et ses rythmes à la lutte.

 

 

A la recherche d’un saut qualitatif

 

Vers la fin du printemps 2010, des questions difficiles étaient abordées. Comment continuer la lutte ? Comment faire quelque chose de tout ce travail fait, avec les hostilités diffuses, comment arriver à un moment de rupture (en ce sens, et avec un peu de bonne volonté, on pourrait l’appeler insurrectionnel) dans les rapports sociaux existants, à un moment social partagé d’hostilité et d’attaque ? De nombreux chemins étaient ouverts, de nombreuses possibilités sont restées inexplorées, d’autres possibilités se sont révélées quelque part trop « ambitieuses » (ou au moins, il n’y avait pas de sol suffisamment stable pour les mener à bien). Cette recherche d’un projet d’attaque plus ambitieux démontrait une fois de plus que la présence de groupes affinitaires autonomes et la coordination informelle entre eux dans le cadre d’un projet sont une condition indispensable. D’autres instruments, comme des assemblées, ont montré clairement leurs limites à ce propos. Enfin, il faut aussi prendre en compte les premiers signes d’épuisement et de fatigue, et peut-être aussi une certaine « peur » des éventuelles conséquences, qui commençaient à ronger la lutte. On pourrait peut-être imputer l’épuisement et la fatigue à une « temporalisation » négligente de la projectualité, peut-être aussi à d’autres facteurs, comme par exemple un certain manque de détermination et de hardiesse.

 

Quoi qu’il en soit, un de ces sauts qualitatifs à été imaginé sous forme d’une manifestation combative à Bruxelles, dans les quartiers où l’on avait développé la plupart de nos activités, qui aurait dû avoir lieu le 1er octobre 2010. Il ne s’agissait pas d’une manifestation comme tant d’autres, mais d’un moment où les différentes rébellions pourraient se rencontrer et dépasser le cadre restreint d’une manifestation. Pour donner la fameuse étincelle à la conflictualité. Beaucoup de travail préparatoire a été fait pour cette manifestation, aussi bien sur le plan organisationnel que sur le plan de la diffusion de propagande. Il ne serait pas exagéré d’affirmer que la date du 1er octobre figurait partout dans les rues bruxelloises (et dans une autre mesure, aussi dans d’autres villes, bien évidemment). Ce jour-là, Bruxelles a été militarisée. Une quantité énorme de policiers était prête au combat. Les prisons bruxelloises (à l’intérieur de la ville) étaient entourées de chevaux de frise, d’autopompes et d’importants escadrons de police anti-émeute par crainte d’attaques depuis l’extérieur ou de mutineries à l’intérieur. De nombreuses stations de métro étaient bouclées. A Anderlecht, des flics cagoulés patrouillaient mitraillettes en main. Les forces de l’ordre étaient préparées au pire. Mais l’échec de la manifestation n’est certes pas uniquement imputable à cette présence répressive (en fin de compte, une telle présence avait été pensée et prévue). Il était possible de commencer cette manifestation. Certes, cela aurait été un combat dur voire féroce, mais un combat qui aurait pu mettre le feu à la poudrière. Pour commencer cette manifestation, il fallait cette conscience-là. Finalement, la manifestation n’a jamais commencé, environ deux cents personnes ont été arrêtées dans les environs du rendez-vous, des dizaines de personnes ont subi des brutalités de toutes sortes dans les casernes, de façon systématique, de manière terroriste. Plus tard dans la soirée, quelques dizaines de personnes ont attaqué un commissariat bruxellois : vitres cassées, véhicules de police et véhicules privés de policiers endommagés, deux agents blessés. Quatre compagnons ont été arrêtés dans les environs du commissariat attaqué et ont passé un mois derrière les barreaux. Une semaine après l’attaque, le syndicat de la police a organisé une manifestation au centre-ville de Bruxelles pour dénoncer la violence.

 

La gueule de bois dans les semaines après le premier octobre était lourde, même si la lutte n’était pas encore prête à s’éteindre. De nombreuses actions d’attaques ont eu lieu comme par exemple une attaque incendiaire contre le Security-Expo à Liège, des incendies volontaires contre Besix et le bureau d’architecte Bontinck à Gand, des jets de cocktails molotov contre les bureaux de la Police Fédérale à Bruxelles. A noter aussi que, dans les jours suivant le premier octobre, des mutineries ont eu lieu dans plusieurs prisons et, début novembre, une manifestation « blitz » a encore parcouru les rues d’Anderlecht.

 

Comment se termine une lutte ? Qui peut dire si une lutte touche à sa fin ? On peut cependant dire que la lutte spécifique contre la construction du nouveau centre fermé ne récupérera pas vraiment du premier octobre et n’a pas su trouver ou explorer de nouveaux chemins pour continuer. Comme souvent lors de tels moments, la combativité et la détermination de chacun ont été mises à l’épreuve. Des polémiques n’ont pas manqué de surgir qui, après l’expérience d’un « échec », remettent soudainement en question l’ensemble du projet de lutte et pointent d’autres d’un doigt accusateur. Celui qui ne crée pas d’espace pour la critique et qui ne cherche pas, en permanence, à tâter le pouls de ses propres activités et perspectives, finit inéluctablement dans une impasse. Mais si on jette ses propres expériences à la poubelle, quelles qu’en soient les raisons ; si au fond, on n’a pas cessé d’aspirer à des résultats quantitatifs et mesurables ; si on recule devant les engagements qu’exige de toute façon n’importe quel projet de lutte, on risque de faire dégénérer la critique qui permet d’affiner, d’approfondir, d’ajuster, de mieux frapper l’ennemi et qui demande donc une certaine distance aux choses, en plaidoirie pour baisser les épaules et prendre distance tout court. Comme toujours, à chacun ses conclusions.

 

Finalement, le nouveau centre fermé n’a été ouvert que début 2012. Sa construction a subi plus d’un an et demi de retard, selon l’Office des Etrangers, entre autres imputable aux « actions civiles ». La manifestation prévue à Steenokkerzeel à l’occasion de l’ouverture prochaine du centre s’est heurtée à une zone militarisée. Quelques heures plus tard, des dizaines de personnes cagoulées ont attaqué, ce dimanche après-midi ensoleillé à Bruxelles, les bureaux de l’Office des Etrangers.

1 Suite à ces débats au Parlement et au Sénat, l’Etat (via les services de police et de renseignements) a augmenté sa vigilance. Par exemple, l’introduction du « Early Warning System » qui devait avertir les entreprises visées de possibles menaces et qui offrait aux entreprises une plate-forme pour notifier des « agissements suspects ». L’Organe pour l’Analyse de la Menace, dont les analyses régulières influent sur l’octroi de moyens aux services d’ordre, a commencé à qualifier « l’anarchisme » comme la menace principale pour la sécurité intérieure. La Sûreté d’Etat a cherché, via des fuites organisées vers quelques-uns des ses amis journalistiques, à attiser les choses en faisant publier des articles « retentissants » et « révélateurs » sur le mouvement anarchiste en Belgique. Enfin, une « surveillance permanente » a été instaurée autour de certaines structures comme les centres fermés et ouverts, leur personnel a été briefé, certaines personnalités officielles ont reçu une protection privée ; tout cela dans une tentative d’éviter d’éventuels raids et attaques.

 

Quelques documents de la lutte

Pourquoi lancer une lutte spécifique ?

 Et même s’il est probable que nous ne parvenions pas à empêcher la construction de ce nouveau centre ; la valeur de cette lutte ne dépend pas uniquement de cet éventuel résultat pratique. Il s’agit de prendre la lutte contre le nouveau centre fermé comme un point de départ, un angle d’attaque, en faire une possibilité de diffusion de nos idées et critiques antiautoritaires – et donc faire des expériences, nouer des complicités, apprendre de nos erreurs, faire l’expérience de formes plus intenses de coordination et d’organisation…

Cet angle d’attaque pourrait permettre d’ouvrir une brèche, d’attaquer la machine à déporter et, par là, la société qui en a besoin. Un rapide coup d’œil sur cette société nous donne aussi une idée de pourquoi cette lutte peut avoir son impact – et cela aussi à plus long terme. Dans le paysage social actuel, une grande partie de la ‘rage sociale’ est d’une part récupérée par des idéologies pourries telles que la religion, le nationalisme ou le citoyennisme et d’autre part marquée par la concurrence effrénée propre au système, avec comme résultat de plus en plus concret une guerre des pauvres entre eux. En ce sens, aucune tentative qui tente de replacer au centre la perspective de la guerre sociale n’est vaine. De telles tentatives, outre les éventuels résultats quantitatifs ou les victoires concrètes, ont le mérite d’offrir minimalement un point de référence pour ceux qui (même s’ils sont peu nombreux) ne laissent pas embrigader leur dégoût de ce monde par les idéologies réactionnaires ni par le cynisme de la guerre de tous contre tous.

Extrait de « Invitation à une lutte », été 2009

 

  * * *

Au-delà du point de départ

Entamer, aujourd’hui, une lutte contre la construction du nouveau centre fermé offre l’occasion de dépasser concrètement les figures du « sans-papiers » et du « Belge » en se liant directement avec des personnes à partir d’un contenu et non plus à partir de catégories. Et cela d’autant plus à un moment où les régularisations massives viennent remplir les attentes d’une partie des sans-papiers organisés. En effet, si d’un côté les occupations ont pu créer une dynamique de lutte qui parfois a pu déborder du revendicatif (en tout cas à Bruxelles), leur reflux suite à la nouvelle directive pourrait aussi permettre d’élaborer une lutte sur des bases propres qui ne soient ni dépendantes de l’urgence des situations personnelles ni d’une logique de soutien.

Reposer la question des camps de l’Etat dans le domaine public, empêcher si possible que celui-ci se munisse d’un nouvel outil de répression. Poser la question des centres ne se limite pas à leurs seuls territoires mais à toute la mécanique sociale qui les fait exister. Il y a dans cette mécanique des techniciens qui porte plus de responsabilité que d’autres : qui décide? L’Office des étrangers, les partis… Qui construit ? BESIX, Jacques Delens,… Qui rafle ? La police, la STIB, la SNCB, …

Mais la question de ce qui fait exister les rafles, les centres et les expulsions est plus large. Elle touche à cette une odeur malsaine qui émane du tréfonds des rapports sociaux. Une odeur de racisme, une odeur de commerce, une odeur de normes et d’évidences assassines, d’exploitation à tous les niveaux… que recouvre l’odeur insipide du démocratisme. Les centres, comme toute domination, existent parce que des personnes au sein des institutions et des structures marchandes en décident ainsi, mais aussi parce qu’il existe un assentiment diffus, une acceptation largement répandue au sein de la population. Ils existent aussi parce que, avec ou sans-papiers, il y a toujours des personnes pour tirer profit des autres en jouant sur des appartenances et sur des catégories. Développer une lutte autour de cette question, c’est donc développer une lutte contre tous ces mécanismes qui font exister le vieux monde : patriarcat, exploitation, morale (religieuse, nationaliste, militante,…)… Seulement alors, on sort des luttes partielles pour attaquer la totalité des rapports qui nous oppressent. Alors on peut faire exister le conflit avec l’existant au sein des luttes elles-mêmes. Se lier sur un contenu, pour nous, cela signifie pouvoir remettre en avant des bases révolutionnaires et anti-autoritaires. En pratique cela signifie des relations sans médiations, le refus des hiérarchies, l’attaque directe, … Cela signifie aussi de toujours tenter d’élargir une lutte spécifique à l’attaque de l’existant dans sa totalité. Cela signifie, enfin, se méfier des alliances douteuses. Ne pas oublier la force du citoyennisme, de l’attrait de l’idéologie dominante qui peut à tout moment séparer les « bons » des « méchants », les « innocents » des « coupables » ; tout en retenant aussi que les personnes changent, et que si certaines sont définitivement ancrées dans la défense de la société, ils sont beaucoup aussi à en quitter ses chemins trop droits. Et dans les chemins obscurs et tortueux des bois, il y a des rencontres à faire. Quelques brigands ont d’ailleurs déjà fait quelques sorties dans les clairières fliquées de la société pour attaquer la machine à expulser. Ci et là, on les retrouve empêchant un contrôle d’identité dans un bus ou dans la rue ; attaquant des compagnies qui se font du blé sur l’enfermement ; diffusant des appels à la révolte sur les murs ; ou encore boutant le feu à leur cellule…

Alors rejoignons, nous aussi, les bois obscurs, pour y préparer l’attaque de la domination.

Extrait de Tout doit partir, pour la liquidation de tout ce qui nous détruit, numéro 6, décembre 2009

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Comment lutter ?

La lutte contre la construction de ce nouveau centre fermé ne tombe donc pas du ciel. Mais alors, une autre question importante surgit, une question qui n’est pas séparée de nos propres désirs, rêves et idées, une question à laquelle les réponses ne peuvent être des suggestions et des indications : comment ? Que faire pour empêcher la construction de ce nouveau centre fermé et mettre des bâtons dans les roues de la machine à expulser ? Le comment, la méthode que nous estimons la plus adéquate, refuse toutes les formes de politique et de représentation. Elle est basée sur le choix individuel de chacun et de chacune de s’engager dans la lutte et pas sur l’adhésion à un groupe ou programme politique quelconque. En d’autres mots, notre proposition c’est l’auto-organisation de la lutte. Ne pas laissez dépendre la lutte de politiciens ou de leaders, de leurs manières à arriver à des négociations avec l’Etat (comme voter « différemment » aux élections, des pétitions pour supplier les puissants, d’entamer un dialogue avec les responsables de la construction du centre), mais de la prendre en mains nous-mêmes. Ceci est une manière pour arrêter et empêcher la construction du nouveau centre nous-mêmes et d’une manière directe. Seulement ainsi, nous pouvons lutter pour un empêchement effectif de la construction de ce nouveau centre et éviter de tomber le piège d’un dialogue avec l’Etat à propos d’une éventuelle adaptation plus humaine des plans de construction.

Cette auto-organisation ne signifie pas forcément qu’il faut former un quelconque comité ou collectif, mais plutôt de rendre possible des moments de rencontre, créer des discussions, échanger des idées. Comme par exemple lors de rassemblements, de petites manifestations, de soirées de soutien à la lutte,… Mais le but n’est pas juste de parler tous un peu plus de ce nouveau centre fermé, de le critiquer pour ensuite aller se coucher avec la conscience apaisée. Non, l’auto-organisation est orientée vers l’agir, vers l’action.

Pour rendre possible l’action, il faut considérer l’ennemi dans toute sa concrétisation. Qu’il ne s’agit pas d’une entreprise qui construit le nouveau centre fermé, mais bien les entreprises Besix, Valens, Michiels etc. Que le centre fermé n’est pas juste un tas de barreaux, mais qu’il fonctionne grâce aux matons qui ont des noms et des adresses, grâce aux entreprises de nettoyage et de restauration comme ISS Cleaning et Sodexo, grâce aux médecins qui anesthésient et taisent ce qui s’est passé quand des prisonniers ont été tabassés par des matons. Que les gérants, l’Office des Etrangers, tous les partis et institutions politiques, les organismes européens de gardes-frontières comme Frontex, ne sont pas des abstractions, mais qu’ils consistent en des personnes concrètes qui portent toutes une responsabilité dans l’organisation de cette machine à expulser. Ces informations doivent circulent largement, doivent être accessibles à tous et toutes. La diffusion de ce genre d’informations est et restera toujours un élément fondamental de toutes les luttes. Un élément fondamental, mais ce n’est pas tout…

Car des idées pareilles se traduisent en mouvements de nos mains et de nos pieds ; notre volonté d’engager la lutte cherche des points de repère dans le monde physique. Il y a beaucoup de possibilités intéressantes… Une d’entre elles, ce sont des attaques modestes, simples et reproductibles contre toutes les structures et les hommes responsables de la construction de ce nouveau centre fermé et contre les rouages de la machine à expulser. Cette méthode permet à chacun et chacune, de la manière qu’il ou elle estime la plus adéquate, de prendre part à la lutte en première personne. Et ces attaques ne parlent pas seulement de la lutte contre le centre fermé. Elles parlent d’une manière qui refuse tout dialogue avec l’ennemi et qui ne perçoit pas la lutte sociale comme un spectacle politique, comme une affaire de partis et de syndicats, mais justement comme un conflit direct avec ceux qui endiguent nos vies. Au fur et à mesure que ce genre d’actes (la résistance lors des contrôles d’identité, le rejet de la bureaucratie qui, à travers tout genre de document, met nos vies sur ses rails, la casse des fausses catégories d’autochtones et d’allochtones, de nationalités et d’ethnies, le sabotage du mécanisme d’exploitation de sans-papiers et de toute le monde) s’élargissent, se diffusent et incitent d’autres, les grains de sables commencent à ronger la machine à expulser. Faisons alors en sorte qu’il n’y ai plus de pièces de rechange disponible.

Le plus bel aspect de chaque lutte qui ne se laisse pas embrigader par la politique, est sans doute qu’elle bouleverse les rôles sociaux. Dans un monde qui nous compartimente tous, qui nous enferme la plupart de la journée au boulot, dans les embouteillages ou derrière le fourneau, seule la lutte fait éclater cette routine macabre. Le plus beau du combat, c’est que tu apprends à mieux te connaître, que tu peux croître en idées, en rêves et en pratiques, que tu peux forger des liens avec d’autres, des liens complètement différents de tout la nausée que cette société nous offre. Voilà pourquoi cette lutte n’est pas un combat d’arrière-garde, mais une expression enragée de joie. Voilà pourquoi cette lutte vaut la peine d’être pratiquée.

 

Extrait de Hors Service, journal anarchiste, « Qu’est-ce qu’on attend ? », numéro 5, 15 mai 2010

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Le 18 février 2010, des centaines d’exemplaires de ce texte ont été distribués dans les boîtes aux lettres de Sint-Denijs-Westrem. C’est là qu’habite (dans une grande villa bien sûr) un des architectes (Dirk Bontinck) qui a dessiné les plans du nouveau centre fermé de Steenokkerzeel.

Salut, votre voisin dessine des cages pour sans-papiers.

Ce courrier purement informatif concerne le sieur Dirk Bontinck (résidant Pleispark 3, à Sint-Denijs-Westrem) et son frère John Bontinck. Mine de rien, ces deux architectes ont choisi de dessiner les plans de construction du nouveau centre fermé pour sans-papiers de Steenokkerzeel. Et vu que ce centre fermé nous pose problème, comme d’ailleurs toutes les autres prisons, ce choix qui leur procure en plus un beau paquet de fric nous pose également problème.

Nommez “calomnie” ce qui suit si vous le voulez, mais en sachant au moins pourquoi ! Car ce sont bel et bien des salauds…

Avec cette maudite arrogance quand ils décident de vies humaines du haut de leur bureau. Avec ce calme glacial quand ils étudient, engoncés dans leurs fauteuils de cuir de leur bureau bien chauffé, comment la prison devra se montrer la plus efficace possible. Comment, d’un point de vue technique, des gens pourront être isolés de la meilleure manière, comment ils pourront être piégés, comment ils pourront être brisés.

Tout près de l’aéroport de Zaventem poussent actuellement les structures en béton de ce qui devrait bientôt devenir un nouveau centre fermé. Une fois que la dernière pierre sera posée, le bâtiment se distinguera difficilement d’une prison. Des cellules individuelles, des barreaux et des barbelés pour enfermer et isoler des sans-papiers, ceux qui sont en instance de déportation et osent résister avec obstination. Ou plus simplement pour briser ceux qui résistent au quotidien en se révoltant, posant ainsi problème au bon fonctionnement de l’enfermement et des déportations.

Comme pour les autres centres ouverts et fermés, le gouvernement aurait besoin de ce nouveau lieu pour continuer sa politique d’immigration ? Mais vous savez quoi ? Ce n’est pas cette politique d’immigration qui constitue le problème. Ou du moins, pas en soi. Car il est logique qu’une société qui poursuit sans cesse le rêve capitaliste jette dehors les indésirables. Comme il est logique que dans une société où notre avenir n’est pensable qu’à l’intérieur des grillages forcés du travail, de la carrière, de la famille et de tout le bazar, les prisons poussent comme des champignons. Contre tous ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas avancer au rythme de cette normalité, même en traînant les pieds.

Le problème, c’est donc cette société. Et nous, nous posons problème à cette société.

Situation périlleuse.

Oui, nos rêves vont dans une toute autre direction. Oui, nous voulons volontiers abandonner une grande partie du vieux monde derrière nous pour être enfin capables de parler de liberté. Et nous ne sommes pas en train de parler de cette “liberté” que vous promettent les publicités pour pousser à la vente de canettes de soda ou de portables. Non, nous parlons d’un saut dans l’inconnu, un saut où le contrôle sur nos vies ne dépendra que de nous-mêmes. Un saut qui, sur le fond, vise à éliminer toute forme d’oppression.

Alors oui, vous pouvez nous traiter de rêveurs idéalistes, de bons à rien naïfs ou de flatteurs flous. La vérité, c’est que nos rêves nous font directement entrer en conflit avec une société où on pense que c’est bien que des gens soient exploités et enfermés ; en conflit aussi avec tous ceux qui choisissent d’apporter leur pierre à l’édifice.

Et nous sommes prêts pour ce conflit.

Cela nous ramène finalement au prétexte initial de ce tract. Cela nous ramène au nouveau centre fermé. Car devinez qui a dessiné les plans de cette prison ? Oui oui ! C’est votre voisin Dirk et son frère John Bontinck.

Mais qu’est-ce que nous voulons dire en précisant cela ? Que nous devrions tous les exécuter publiquement, sous les huées et le plus vite possible, en place publique ? En vrai, faites surtout ce dont vous avez envie ! Car là n’est pas l’objet de ce tract. La question, c’est que rien de ce que observons autour de nous ne tombe du ciel. Que des gens font des choix. Comme par exemple celui de construire des prisons, celui de mener des gens à la baguette, au boulot comme à la maison, ou encore celui de ne pas faire de choix du tout, et de se cacher derrière ce refus pour ne pas avoir à penser, pour ne pas agir à contre-courant. Les frères Bontinck ont fait le choix d’aider à ce que ces nouvelles geôles existent là-bas, à Zaventem. Voilà pourquoi ce sont des salauds. Car ça, c’est un choix qui en dit long : il confirme qu’ils se foutent de la misère des gens et que oui, c’est possible bordel !, ils veulent en plus se faire du fric avec cette misère. De notre côté, nous faisons par exemple le choix de leur en vouloir tout particulièrement.

Nous souhaitons qu’à l’avenir, les frères Bontinck dorment aussi tranquillement que les gens qui sont enfermés dans leurs bâtiments…

Dirk Bontinck: chef d’entreprise

Pleispark 3, 9051 Sint-Denijs-Westrem

Tel: 09/222 01 03

dirk.bontinck@cytec.com

John Bontinck: chef d’entreprise

john@bontinck.biz

Bontinck cbva

Chaussée de Courtrai 1092

B-9051 Sint-Denijs-Westrem

Tel: 09/225 01 74

Fax: 09/225 64 14

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Se révolter c’est comme respirer.

Respirer dans le courage que tu rassembles au rythme des battements de ton cœur, de ton cœur, où la douleur que ce monde t’a donnée forme un cocktail mélangé à l’amour pour tous les yeux qui t’ont vraiment regardé, un cocktail explosif, prêt à exploser.

Se révolter est comme respirer. Respirer dans le courage, je compte un-deux-trois, inspire longuement, redresse mes épaules –c’est le moment- et puis…expire les flammes de tout ce que tu es, tout ce que tu voudrais être et n’est pas permis par ce monde. Ta respiration, comme un marteau brisant une vitre, comme une scie à métaux défiant les barreaux d’une prison, un poing rendant les coups à la face de ce monde.

Tu respires, tu inspires et expires longuement. Tu te révoltes. Tu te fais battre et tu tombes. Mais tu n’arrêtes pas de respirer et plus tard tu seras de nouveau sur pied. La respiration des autres t’aide à te lever, comme la respiration d’un ami aimant, d’un enfant, d’un camarade proche de toi réchauffe ton cœur avec de la force. Comme la respiration des prisonniers qui ont brûlé une aile entière du centre fermé de Steeenokerzeel pendant l’été 2008. Comme la respiration des prisonniers qui se sont révolté à Merksplas en essayant d’empêcher la déportation d’un ami, comme celle des prisonniers qui ont conquis leur liberté. Comme celle de ceux qui ont envahi le mois dernier le bureau de Besix (l’entreprise qui construit le nouveau camp de déportation) et qui l’ont détruit, comme celle de quelques anarchistes qui ont mis le feu aux containers sur le chantier de construction d’un nouveau centre fermé à Rotterdam. Comme la respiration des gens qui ont bloqué le centre de déportation de Brugge et celle des prisonniers à l’intérieur qui se sont révolté en même temps et ont commencé à exploser leur prison. Comme chaque respiration qui a détruit un morceau de l’infrastructure de la prison ces dernières années, comme chaque respiration qui a combattu les contrôleurs et les flics, qui s’est joué des juges et de leurs avocats, qui a mis les patrons hors jeu, donné du courage à des femmes de quitter leur mari violent, qui a donné la force à des enfants de refuser la volonté que leur parents essayent de leur imposer, les parents qui leur demandaient de se sacrifier. Respirer comme tous les petits actes de résistance qui se nichent dans les pores de notre corps. Résistance contre ce monde qui prend place non-stop, à chaque moment de la journée, toujours.

Nous pouvons arrêter de sentir, s’enfuir dans les temples de la consommation, de la télévision, du sport, de la drogue. Fuir, essayer d’oublier, oublier que tu souffres, que tu vis. On peut se taire, regarder de l’autre côté, laisser ceux qui nous utilisent continuer et un jour on finira sur la pile de déchets des corps compressés. Ou on peut respirer. Calmement, rapidement. Doucement, intensément, chaudement, battant de plaisir.

Respirer comme discuter avec d’autres, discuter de ce qu’on peut faire, de ce qu’on veut faire et pourquoi. Finissons-en une bonne fois pour toutes avec le désespoir, soyons nos propres maîtres sans dieux. Détruisons le vieux monde avec le désir d’un nouveau. Pour respirer librement ! Adieu à ce monde où on se réprime les uns les autres ! Adieu à ce monde où nous allons nous coucher avec des angoisses, où nous nous réveillons avec des angoisses. C’est le refus de se résigner à la vie que cette société essaye de nous imposer, le refus d’abandonner nos rêves et de descendre dans le puit d’une existence malheureuse.

Pleurnicher, se plaindre, pleurer et jurer peut nous soulager le cœur pour un moment. Mais rien ne change.

C’est respirer qui fait battre notre cœur et circuler notre sang.

Si tu ne respires pas, tu meurs.

[Ce tract a été lancé en haut des murs de quatre centres fermés et distribué dans plusieurs villes belges, fin octobre 2009]

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Notre lutte contre les camps de déportation est une lutte révolutionnaire, une lutte qui ne vise pas seulement la destruction de ces camps, mais le bouleversement de la société dans son ensemble. C’est une lutte qui ne demandera jamais quoi que ce soit aux politiciens ou à d’autres représentants du pouvoir, simplement parce qu’ils sont les responsables de nos soucis quotidiens et de nos problèmes. C’est une lutte contre ces puissants et leurs structures, contre toutes les prisons, contre la terreur de l’esclavage salarial, contre les propriétaires, les huissiers, les juges et les flics. C’est une lutte contre une société qui est fondée sur la hiérarchie et le pouvoir.

C’est aussi une lutte pour quelque chose d’autre. Une lutte pour un bouleversement social total, pour la révolution sociale, pour l’épanouissement vigoureux et passionné de chacun. Une lutte pour la solidarité, pour la joie de la vie, pour la liberté. C’est une lutte que tout le monde peut engager, qui commence quand quelqu’un décide que ça suffi t et qu’il va dépasser ses propres limites pour rendre possible ce qui semblait impossible. C’est une lutte qui rêve d’un monde libéré des positions et des rôles, et qui réalise déjà ce rêve au sein de la lutte. Une lutte où nous pouvons se redécouvrir avec le coeur brûlant et l’amour des compagnons, une lutte pour l’anarchie. Et tout ce que nous portons au fond de notre coeur ne peut croître que par la lutte, pour ne jamais dépérir…

Extrait de L’ouragan, Parution à numéro unique contre les centres fermés, contre toutes les prisons, avec ou sans murs,printemps 2010.

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Après le premier octobre 2010…

Disons-le clairement : l’Etat n’a pas peur d’une poignée d’anarchistes, mais craint une possible contagion sociale à laquelle les révolutionnaires œuvrent de jour en jour. Depuis longtemps, Bruxelles semble être une poudrière sociale où on cherche à mater les tensions sociales à coups de plus de police et plus de blessés ou de morts du côté de ceux qui, d’une manière ou d’une autre, engagent la confrontation. Néanmoins, les tensions sociales continuent à s’exprimer de manière radicale : des émeutes récurrentes dans les quartiers aux mutineries dans les centres fermés et les prisons, des attaques ciblées contre les structures de l’Etat et du Capital jusqu’à une hostilité qui continue à se répandre contre tout ce qui porte l’uniforme de la répression. Probablement, la manifestation annoncée du 1 octobre était une des possibilités de rencontre entre les différentes rébellions et les idées antiautoritaires – et cette rencontre a été écrasée.

Malgré la pacification militarisée des derniers jours, nous continuons à diriger notre attention ardente vers cette poudrière sociale, en sachant que chaque occasion peut être la bonne pour mettre le feu à la mèche. Et là où la proposition d’une manifestation s’est heurtée à des obstacles difficilement franchissables, d’autres pratiques et activités sauront se frayer un chemin.

Malgré les murs policiers qui cherchent à nous tenir séparés, nous continuons à penser que la rencontre entre les différentes rébellions reste possible, souhaitable et nécessaire. Aucun racket répressif de la part de l’Etat ne nous fera renier cet enthousiasme.

Malgré le fait que l’initiative a été arrachée de nos mains ces derniers jours, nous sommes déterminés, avec le cœur et la tête, à reprendre l’initiative dans nos propres mains. Malgré tout, nous continuons. Rien n’est finie… les possibilités sont toujours là, prêtes à être saisies.

Extrait de Malgré tout, aux rebelles d’ici et d’ailleurs, 5 octobre 2010.

 

 

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Quelques réflexions suite à la lutte contre la construction d’un nouveau centre fermé

Thursday, March 21st, 2013

Lors des discussions suite à l’extinction de la lutte contre la construction du nouveau centre fermé à Steenokkerzeel (près de Bruxelles), quelqu’un posait ce constat remarquable : « Tout ce que nous essayerons, engendrera des problèmes. Et ce n’est pas un problème. »

Une lutte sans problèmes, une lutte facile est pour toujours inexistante, A+B n’égalera jamais révolution. Ruminer sur « la chose parfaite » à faire est souvent paralysant, après chaque réflexion on peut toujours mettre de nouveaux points d’interrogation. Jusqu’à se perdre dans le labyrinthe. Que ça soit clair : il n’existe pas d’action « parfaite » qui porte tout en soi, qui connaîtra des répercussions indomptables, qui nous catapultera subito dans l’insurrection ; ni de lutte « parfaite » qui nous amènera de l’égarement postmoderne en ligne droite vers la révolution sociale. Mais ceci pris en compte, rien ne nous empêchera de continuer à réfléchir. Arrêter de réfléchir, arrêter de discuter, tout comme arrêter d’agir, ne peut qu’engendrer la perte de ce que l’on venait de conquérir. Et, donc, on réfléchit sur les luttes du passé, sur un projet pour l’avenir, sur de nouveaux défis qui relient nos différentes activités dans une lutte. Pour dépasser le sporadique, le voltigement sur terre sablonneuse et tenter d’élaborer un projet insurrectionnel. Rien ne nous offrira quoi que ce soit comme garantie de réussir, d’arriver à des résultats concrets. Mais c’est un défi, et ça vaut la peine de le tenter, de le vivre. Et donc, nous allongeons nos mains.

Pourquoi une lutte spécifique ? Pourquoi cette lutte est-elle spécifique ?

Le choix d’entamer une lutte spécifique contre la construction d’un nouveau centre fermé (camp de déportation) à Steenokkerzeel était basé sur une analyse du contexte social, tout comme il est une continuation des expériences faites depuis des années autour du thème des papiers, des camps et des frontières (de solidarité et soutien en interventions sporadiques jusqu’à faire la cartographie de l’ensemble des éléments qui constituent la machine à expulser). Après quelques années d’occupations d’églises et de manifestations de (collectifs de) sans-papiers pour obtenir une régularisation générale1, l’Etat décidait de construire un nouveau camp de déportation (le premier nouveau centre depuis des années) tandis que le mouvement des sans-papiers se freinait suite à une bonne dose de répression (déportation des lutteurs les plus fervents, expulsions d’occupations, le cardinal qui appelait ses prêtres à ne plus laisser accéder de sans-papiers aux églises et centres paroissiaux, gestion plus dure des manifestations,…) et une promesse de régularisation.

Vu qu’autour de ces thématiques il y avait toujours eu des frictions (pensons par exemple aux turbulences autour du Collectif contre les Expulsions et le meurtre de Sémira Adamu) et que la lutte pour la régularisation touchait à sa fin, on croyait la situation opportune pour avancer nos contenus sur un terrain qui se vidait, pour entamer une lutte à partir de nos bases, pour lancer une proposition de lutte qui nous est propre. S’y ajoute encore que l’Etat belge était tracassé depuis plusieurs années par une vague de mutineries et d’évasions, aussi bien dans les prisons que dans les centres fermés pour clandestins. Tout un parcours de lutte avait été développé autour de cette agitation. Dans le nouveau camp de Steenokkerzeel, les prisonniers seraient soumis à un régime plus isolé, un instrument de plus pour l’Etat pour briser la révolte dans les centres existants. Et une raison de plus pour nous de lutter contre.

Le choix spécifique d’une lutte spécifique contre ce camp spécifique était au fond très logique. D’un côté, il y avait le désir de développer une lutte en partant de nos bases (contre tous les papiers et Etats, tout comme la proposition de l’action directe et de l’attaque contre tous les engrenages de la machine à expulser), une lutte qui allait au-delà de la ponctualité des interventions et des réactions à des facteurs externes (comme par exemple des rafles), d’élaborer un parcours conscient, bref, une lutte spécifique. De l’autre côté, le choix spécifique de ce thème ne tombait en rien du ciel : des années de conflictualité sociale autour de ces thématiques, tout comme des années d’expériences, de discussions, de connaissances. Et enfin, ce nouveau camp spécifique deviendra une arme dans les mains de l’Etat pour mater la révolte à l’intérieur des camps. C’est de là qu’est venue la lutte dont on parle.

Une problématique qui a surgi à plusieurs reprises lors de cette expérience de lutte, et aussi après, est typique de cette époque : le choix d’une thématique spécifique. Pourquoi celle-là, et non pas d’autre(s). Tout d’abord, il faut souligner qu’il n’existe pas d’échelle de mesure anarchiste qui indique contre quelle oppression il est plus « important » ou plus « urgent » de lutter que contre une autre. Tout simplement parce que nous nous battons contre l’oppression tout court, peu importe la forme extérieure qu’elle peut prendre. En d’autres mots : vu que toutes les oppressions ont autant besoin de lutte, comment s’orienter ?

Sur quoi baser une lutte ? En tant qu’anarchistes insurrectionnels, nous voulons éliminer toute oppression qui pourrit nos vies et celles de tant d’autres. Ceci nous semble uniquement possible à travers un bouleversement social, avec d’autres donc. C’est la raison pour laquelle nous prenons la loupe pour examiner la carte de la situation sociale que nous vivons et cherchons des espaces où il existe de la friction, de la conflictualité. Nous étudions les questions sociales du présent, et nous demandons où est-ce que nous, en tant qu’anarchistes, pourrions intervenir. Et s’il existe déjà une brèche causée par la révolte, si quelque part les choses vacillent, cela nous rend plus simple d’y rentrer en dialectique avec d’autres et d’utiliser de temps en temps le pied-de-biche.

Il existe aussi des formes de révolte que l’on perçoit moins rapidement, souvent parce qu’elles se déroulent sur un plan plus individuel, et les révoltes n’ont pas toutes quelque chose à nous offrir. Un projet insurrectionnel ne signifie ni l’exaltation de n’importe quelle émeute, comme par exemple celles inspirées par la religion ou des élections, ni la sous-estimation de la rébellion individuelle comme par exemple celle d’une femme qui scie ses chaînes et s’évade de la prison qu’est sa relation. Faisons un exemple. Si nous apprenons que certaines émeutes dans la prison ont le coran comme base, cela nous rend plutôt tristes (les mensonges de la religion empoisonnent l’esprit), tandis que la nouvelle d’une évasion (un acte individuel de révolte) fera toujours apparaître un sourire sur nos visages. Par contre, la nouvelle d’une révolte en solidarité avec d’autres prisonniers (comme en 2009 quand aussi bien des jeunes à Anderlecht que des prisonniers à Andenne se sont insurgés en solidarité avec les prisonniers de Forest torturés par la police quand elle avait repris le contrôle de cette prison à cause d’une énième grève des gardiens), ou une évasion lors de laquelle les portes sont ouvertes à tous les prisonniers (comme c’était le cas il y a quelques années à Termonde), contiennent ce petit plus merveilleusement beau, cette éthique capable de non seulement se prendre soi-même en considération, mais aussi les autres, qui tend la main à l’autre, comme une invitation à la révolte.

Revenons quelques pas en arrière. Il est possible d’entamer une lutte dans n’importe quel domaine, et il est vrai qu’aucune lutte n’existera s’il n’y a personne pour la commencer. Mais nous le voyons d’une autre façon. Si nous nous retrouvons dans un même espace et discutons sur quel domaine de lutte entamer ou approfondir, nous réfléchissons sur des perspectives. Ce ne sont pas tellement les goûts et les envies qui déterminent les conclusions de la recherche d’une perspective de lutte dans l’espace social. C’est plutôt l’hypothèse que dans ce domaine, on réussira à communiquer avec d’autres, l’hypothèse que battre des brèches dans ce domaine fera vaciller plus que dans un autre domaine (et ceci sans prétendre que d’autres domaines de lutte seraient « sans pertinence »). C’est une perspective sociale et (ça c’est important) insurrectionnelle, ce qui veut dire que ce n’est pas la misère qui nous intéresse dans ce monde, mais le rêve d’en finir avec cette misère ; et ceci non seulement dans ma vie, mais dans la vie de chacun. En positif : penser à ce qui pourrait être possible en conquérant la liberté est excitant. Dans cette partie du monde, nous nous retrouvons bien loin de ce rêve. A part le fait que chacun ne fait que regarder son nombril, il manque aussi du courage. Mais à travers l’histoire, il y a toujours eu des gens pour maintenir vivant le rêve de la conquête de la liberté et qui ont réfléchi sur les manières de le palper. L’insurrection en est un. En tant qu’anarchistes insurrectionnels, nous nous demandons comment l’insurrection pourrait être, arriver, éclater aujourd’hui.

Plus concrètement : prenons l’exemple de la prison. Je trouve la thématique de la prison tout sauf excitante et je ne lutte pas contre la prison à cause d’expériences personnelles avec cette institution. Penser à la prison ne me fâche pas plus que penser au patriarcat ou à la psychiatrie et la détresse émotionnelle. Mais dans notre contexte, le thème spécifique de la prison me semble important, non pas tellement parce qu’il s’y trouve tant de souffrance (la souffrance se trouve partout), mais parce que ce thème a une histoire d’expériences sur ce terrain, tout comme c’est un thème particulièrement mouvementé. La prison est une question sociale dans le contexte belge ; l’annonce du plus grand projet de construction de prisons de l’histoire belge suit des années particulièrement agitées d’émeutes, de mutineries, de grèves des gardiens, de surpopulation, d’évasions,… Tout comme le rapport entre la prison et les quartiers de certaines villes est un rapport réel, non seulement à cause de la souffrance qu’engendre la prison dans tant de vies dans ces quartiers, mais aussi parce que les deux espaces se ressemblent : on se retrouve comme des sardines dans une boîte contrôlée. La thématique de la prison est donc partout palpable. Mais en plus de la ressemblance de ces espaces, c’est aussi leur caractère rebelle qui les relie. Les deux espaces semblent contaminés du virus de la révolte qui est comme un bouton de fièvre : quoi qu’il ne s’exprime pas toujours, il reste présent de manière latente et quand les conditions sont réunies, il éclate avec toute sa violence. Toutes ces données sont pour nous des éléments avec lesquels on peut entrer en dialectique et entamer un parcours qui encourage la révolte dans tous les aspects de la vie, qui donne de l’oxygène, qui ouvre des imaginaires. Evidemment sans oublier que les vautours religieux et politiques sont toujours aux aguets pour utiliser le mécontentement à leurs fins d’oppresseurs.

Attention : avec toutes ces réflexions en tête (nourries par des années de discussions), mes raisons de lutter ne m’empêchent en aucun cas de faire un bout du parcours avec d’autres, anarchistes ou pas. Si la principale raison de quelqu’un d’être contre la prison est que son partenaire y est enfermé, et si cette personne veut rompre avec cet état désespéré, elle est la bienvenue. Tout comme quelqu’un qui ne rêve pas forcément d’insurrection, mais trouve que la prison est monstrueuse. Je n’attendrai donc pas que tout le monde soit anarchiste avant d’entamer ensemble la lutte d’une façon radicale.

De la diffusion des hostilités à l’insurrection

La proposition de lutte contre la construction du nouveau camp à Steenokkerzeel consistait à en faire un problème social. Un problème signifie de rendre difficile pour ceux qui le construisent et tous ceux qui y collaborent d’en continuer la construction ; un problème social signifie que le problème est crée dans l’espace social et non pas à l’intérieur des limites d’un milieu ou d’un mouvement. Si on revient sur cette époque, on voit différentes façons et interprétations dans cette lutte : on voit une grande agitation autour du thème, des tentatives de se mettre ensemble avec différentes personnes, des perturbations de la normalité, une série d’attaques contre les responsables, des discussions sur la thématique dans différentes villes et pays… Un ample panorama d’initiatives, une époque mouvementée qui a connu de nombreuses attaques diffuses. L’implication d’un grand nombre de personnes, on ne saura jamais combien.

Si on se pose alors la question de ce que cette lutte a en fait « réalisé », c’est plus l’espace que cette lutte a ouvert que le retard d’un an et demi que le chantier a accumulé et les millions d’euros de dégâts causés aux entreprises collaboratrices. Un certain espace social (fut-il minimal) où l’on lutte de façon offensive, non-médiée et non-centralisée contre un monde rempli de camps. Pas de lobbying, mais l’attaque ; pas de langage politicard enjolivé, mais le dialecte écorché et poétique de la révolte ; pas de négociations ou d’exercice de « pressions politiques », mais la solidarité et la communication entre des rebelles et des révolutions à travers l’action directe. Toutefois, tout espace ouvert au pied-de-biche peut ensuite être de nouveau rempli d’idées à moitié cuites, jusqu’à ce que tout s’estompe à nouveau et que l’espace soit rempli de visions plus réformistes de la lutte. La nécessité d’ouvertures plus profondes s’impose, des fissures plus difficilement remédiables, qui contiennent la possibilité pour plus, beaucoup plus. Après l’hostilité, il y a besoin d’insurrection.

Mais comment y arriver ? Agitation, rassemblements, perturbations de la normalité, attaques contre les responsables et les structures sont toujours absolument nécessaires, car, à partir d’une situation paralysée, il est impossible d’arriver à l’insurrection. Et tout ça a aussi une valeur en soi. Mais cela ne suffit pas. Il est donc nécessaire de discuter quelles brèches on arrive à imaginer plus profondes et plus longues. La manifestation ratée de 1er octobre 2010 aurait pu être une telle brèche. Certes pas une insurrection, mais le signal de départ d’émeutes qui s’étendent. Des centaines de personnes qui se rassemblent suite à un appel contre toutes les frontières, contre tous les camps et les prisons, contre tout Etat, et cela dans une ville où les esprits sont toujours tendus, où des dizaines de milliers de tracts d’appel à la manifestation avaient été distribués, tout comme des milliers d’affiches avaient été collées et mises aux fenêtres (de bars, de magasins,…). C’était dans l’air, mais on n’y était pas prêts, et la présence massive de la police et leur approche répressive des initiatives plus tôt dans la semaine n’y a rien fait de bien. La gueule de bois de voir filer entre ses doigts ce pour quoi on a tellement travaillé est énorme.  Néanmoins, cela nous permet a posteriori d’imaginer quelque chose qui aurait pu frapper plus profondément que ce que l’on connaissait déjà. Ça donne par exemple une amorce pour imaginer ce qui est possible sur le terrain d’une ville, et ce qui n’est pas possible. Peut-être qu’une concentration de gens qui doivent ensuite s’affronter frontalement à d’importantes forces de police se trouve (pour l’instant) hors de nos possibilités, et peut-être la perspective d’une hostilité diffuse nous offre plus. Cela colle peut-être mieux à la façon dont s’exprime aujourd’hui la conflictualité sociale dans notre environnement, tout comme ça colle mieux à notre choix de décentralisation, informalité et affinité.

Ici surgissent des questions : pourquoi faire des sauts si les conséquences sociales de ce que l’on fait et de ce que l’on dit sont à peine percevables ? Pourquoi jouer le tout pour le tout si le monde autour de nous ne fait que très peu de pas vers une lutte révolutionnaire ?

Le débat là-dessus est souvent rendu quelque peu idiot par deux positions qui se cristallisent : ceux qui croient à l’absolu de la « volonté », d’un « tout est toujours possible » et ceux qui placent trop leurs espoirs dans « les autres », un « tout le monde doit suivre ». Ou encore : ceux qui perçoivent de la révolte partout, et ceux qui sont déçus et perçoivent surtout de la soumission.

Soyons clairs : si le monde n’était pas à un tel point émaillé de soumission, on ne parlerait pas en permanence de révolte. Parler de révolte, c’est inciter à la révolte, c’est donner un écho aux actes de révolte. La révolte est une nécessité, sans la révolte, on n’arrive nulle part. Mais elle n’est aussi qu’un début. En tant que rebelles révoltés, qui de plus sont anarchistes, nous voulons plus qu’une vie en révolte. De là le projet de lutte, ou autrement dit, la projectualité. Il y a une logique là-dedans : à moins de se retirer complètement de ce monde (mais où est-ce qu’on irait ?), on se heurtera toujours à ce monde, on continuera à s’y blesser. L’oppression ne disparaît pas à cause de la seule révolte, elle pénètre toujours à nouveau dans la vie, dans ta vie, dans celle des gens proches, dans celle des gens lointains. De là le besoin de plus. On peut certes dire qu’on n’en a rien à foutre si les gens veulent vivre comme des moutons et des loups, et là vient l’idéal : la lutte pour un idéal, celui de la liberté. Car c’est ça qu’on désire et c’est ça qu’il faut. Et que la liberté n’est pas quelque chose qui peut exister en soi, mais est toujours quelque chose à découvrir et à conquérir, à apprendre et à expérimenter. Pour cela, il faut des complices.

Ce n’est pas parce que nous sommes peu d’anarchistes que cela devrait nous empêcher d’entamer la lutte. Nous ne croyons pas qu’il faut d’abord être avec de nombreuses personnes comme nous avant de pouvoir commencer. Nous préférons plutôt mettre l’accent sur la communication entre rebelles, à travers des mots et des actes. Nous ne sommes pas les sauveurs du monde. Nous sommes des anarchistes, nous donnons des coups à la soumission, nous embrassons les actes de révoltes et nous nous réjouissons des mots solidaires. Notre maison, c’est là où un homme se débarrasse de ses chaînes ; notre idéal, c’est là où un homme incite l’autre à la révolte. C’est ça notre rapport aux autres, c’est un rapport de solidarité dans la révolte, et c’est ça que nous recherchons, la direction qui montre le battement de notre cœur.

Et donc, nous ne pensons pas qu’il faut d’abord être nombreux avant d’oser un certain saut. Nous n’avons jamais demandé à l’ensemble du monde de se rallier derrière notre drapeau, mais simplement de décider où ils en sont et d’agir en conséquence. Ce que nous voulons, c’est que les sauts que l’on fait dans la communication avec les actes d’autres révoltés (qui ne sont pas comme nous) ouvrent toujours un peu plus d’espace dans une perspective de généralisation de la révolte, ou de l’insurrection. Même si cela demande beaucoup de courage et même si nous ne trouvons pas toujours les mots adéquats au moment propice, nous ne cherchons pas à tromper les autres en prétendant avoir des idées socialement acceptables, car ce n’est pas le cas : nos idées sont pour l’instant totalement inacceptables socialement. Vu l’état actuel des choses, nous ne croyons pas non plus qu’il y ait partout des gens amoureux de la liberté, mais nous ne nous retirons pas avec amertume quand nous constatons que « les gens » ne sont pas des anarchistes. Tout comme nous ne devenons pas cyniques face à la catastrophe actuelle et nous ne voyons pas que la merde, ou, au final, on se contente de quelques signes de gentillesse. Notre langage, c’est celui de la solidarité dans la révolte, celui de la liberté, celui de l’attaque. C’est par ces mots-là que nous essayons de parler, dans nos locaux comme dans la rue. Et nous pensons qu’il est possible de partager une lutte avec d’autres, mais peut-être pas de la seule façon que tout le monde imagine : tous ensemble derrière le même drapeau.

La conflictualité sociale n’est peut-être pas toujours aussi visible, mais ses expressions sont présentes en permanence et se nourrissent. Tout comme les émeutes dans les quartiers pendant la lutte contre le nouveau camp furent des impulsions pour continuer encore plus audacieusement, la mutinerie dans une prison donne du courage à d’autres prisonniers, les soulèvements à l’autre côté de la Méditerranée connaissent des échos à travers le monde entier. Si nous considérons notre propre parcours comme un parcours en dialogue avec ceux d’autres rebelles, nous devons apprendre aussi une autre manière d’évaluer nos efforts. Il n’est pas possible de se retirer, déçu, dès qu’il n’y a pas une masse de gens qui descendent dans la rue avec nous, ou quand nous ne voyons pas les signes typiques d’un certain modèle de conflictualité. Le monde dans lequel nous vivons est plein de conflits, et nous en faisons partie. La question n’est pas de savoir comment attirer tout le monde vers nous, mais comment continuer notre parcours autonome et approfondir le dialogue avec les autres.

Parcours autonome et discussion permanente

L’insurrection et, en tant qu’anarchistes, rechercher des moyens de la rendre possible, n’est pas la même chose que dessiner un masterplan sensé mener vers l’insurrection et rechercher du bétail pour le réaliser. Il ne peut pas non plus s’agir d’une meute qui adhère à une initiative en cours et se dispense de la responsabilité de réfléchir, de discuter, de créer un parcours autonome. Ceci est évidemment une caricature, mais elle permet d’esquisser certains mécanismes intrinsèques à toute tentative de réunir des gens sans en même temps œuvrer à la proposition de cercles affinitaires et de la discussion permanente comme conditions pour arriver à une organisation informelle.

L’enthousiasme du moment où cela commence enfin, suite à des périodes de tâtonnements de l’affinité, à bouger et quand on entame un projet partagé, est contagieux et attire d’autres batailleurs. L’enthousiasme est une des forces propulsives derrière tout combat, mais est loin de constituer une base solide pour construire une lutte. Car que ce passe-t-il alors quand tout devient un peu moins badin et exige un peu plus de sérieux ? Ou quand arrivent les difficultés et les contrecoups ? Ceci n’est pas une plaidoirie pour le mariage avec une certaine lutte ou la signature d’un contrat à l’entrée, mais on veut souligner la nécessité absolue de développer un parcours autonome. Sans autonomie, sans être capable de se révolter et de lutter par soi-même et sans projet offert, il ne peut arriver d’autre chose que le fait d’être englouti par des projets que l’on n’est pas capable de s’approprier.

Mais, vu d’un autre côté, qu’est-ce que l’on fait quand on rencontre, en plein milieu d’une lutte, d’autres individus enthousiastes qui parfois débordent d’impatience de s’y jeter ? Lors de la lutte contre le nouveau camp, quelques compagnons à Bruxelles ont pris l’initiative de former une assemblée, un espace où chacun (hormis des politiciens et autres leaders) qui voulait lutter sans syndicats etc. pouvait venir. Un espace de débat et de coordination dans la lutte.

Toutefois, la discussion et la réflexion sur ce que l’on veut faire doivent être présentes en permanence et surtout se dérouler hors des moments collectifs. Sinon, ces moments ne deviennent rien d’autre que des moments où, soit on se fait de la concurrence (en vendant des propositions et en cherchant des adhérents ou en torpillant d’autres propositions), soit on se laisse entraîner comme des béni-oui-ouis par le meilleur orateur. Une assemblée court le risque de renforcer d’un côté une attitude d’attente (on attend de discuter et de proposer jusqu’à ce qu’on se retrouve tous ensemble au lieu de rechercher de façon autonome des compagnons et d’engager la discussion individuellement ou dans des constellations plus petites), et de l’autre côté l’illusion du nombre. Qu’est-ce que l’on veut dire par cette dernière chose ? Si l’on considère la lutte comme une lutte qui définit des « participants », on commence automatiquement à réfléchir sur ce que l’on peut partager avec ces gens. On commence à faire des propositions au « groupe » et, s’il suit, on fait de nouvelles propositions et ceci continue jusqu’à ce que l’on se heurte à ses limites inévitables.

Quelles sont ces limites ? Tout d’abord il y a l’effet paralysant de la collectivité, une sorte de diktat qui impose à tout le monde d’y être avant de pouvoir lancer quelque chose, et donc par conséquent que tout le monde doit d’abord être convaincu de la validité d’une proposition. Ceci engendre des discussions particulièrement ravageuses qui font plus de mal que de bien si les visions plus profondes sur comment, par exemple, analyser la réalité sociale ou comment considérer la lutte, ne coïncident pas.

Deuxièmement, cette sorte d’espaces impose un rythme collectif à la lutte, ce qui au fur et à mesure fait que tout le monde s’y sent étranger. C’est le rythme de l’action après l’action sans approfondissement, car l’approfondissement n’est pas possible quand la discussion se limite à des moments collectifs. Et, à la fin, on ne sait plus très bien ce que l’on est en train de faire, à part multiplier la même chose. Quand, dans de tels endroits, des propositions qui dévient de ce qui a été jusque là le plus courant sont lancées, ces propositions sont chargées d’un poids exagéré, car personne ne veut encore être entraîné dans une initiative qui semble le dépasser complètement. Ce qui est connu est épuisé jusqu’à devenir routine et ce qui est inconnu provoque un rejet. Ceci, répétons-le une fois de plus, est la conséquence d’un manque d’autonomie, de discussion permanente et de réflexions sur ce que l’on veut hors des moments collectifs.

Troisièmement, ceux qui sont habitués à faire des propositions se sentiront épuisés après un certain temps, car réfléchir à chaque fois de nouveau sur des propositions et prendre la peine de les élaborer demande tout simplement plus d’énergie que de juste participer à une action. Le manque de réciprocité finit par devenir dans chaque relation et rapport un poids que l’on traîne jusqu’à ce que l’on décide de rompre. De l’autre côté, ceux à qui s’adressent les propositions se sentiront passifs, toujours incertains sur ce qu’ils veulent au fond d’eux-mêmes, en contraste avec ceux qui semblent toujours tellement bien savoir ce qu’ils veulent. Et ce rôle commence à nous ronger jusqu’à ce que l’on en ait marre et que l’on prenne nos distances de tout le bazar. Un modèle organisationnel trop déséquilibré peut continuer à fonctionner pendant un moment sur l’enthousiasme, mais quand celui-ci disparaît, tout le monde reste là avec des sentiments très amers.

Et donc ? Toute lutte a besoin d’espaces qui peuvent l’aider à prendre forme. Des espaces où discuter ou se coordonner pour des objectifs spécifiques (par exemple l’organisation d’une manifestation). S’il n’y par contre qu’un seul espace et que celui-ci devient le point de référence, il deviendra inévitablement un poids pour la lutte et asphyxiera le parcours autonome nécessaire des individus plutôt que de lui donner de l’oxygène.

Local et international

Tout comme un milieu ou un espace de rencontre centralisé impose des limites à l’initiative des batailleurs et finira par éteindre la combativité, une vision localiste de la lutte peut faire de même. Le choix d’entamer une lutte contre la construction du nouveau camp à Steenokkerzeel a été fait sur la base d’une situation locale  : d’un côté comme continuation plus consistante d’un parcours de lutte local autour du thème, d’un autre côté comme défi d’ouvrir au pied-de-biche un terrain de lutte qui ne concerne pas que les anarchistes.

Mais une lutte pour la liberté ne peut exister si elle ne dépasse pas les frontières, les frontières des villes, des pays, des thématiques. Un point de vue internationaliste est nécessaire à toute lutte qui ne veut pas finir dans une vision avec des œillères qui considère son propre contexte comme le plus urgent, qui trouve sa thématique la plus pressante, qui ne veut pas s’enfermer dans son propre quartier. Ce n’est que quand la révolte et l’insurrection se diffusent qu’elles deviennent de véritables problèmes ; et ce n’est que quand elles dépassent les frontières qu’elles connaissent une énergie authentique. Si l’existant nous isole les uns des autres, la révolte contre l’existant nous relie.

Une des intentions en entamant cette lutte était le renforcement des liens entres les compagnons des différentes villes. Des rencontres exceptionnelles ont eu lieu, personne ne peut le remettre en doute. Toutefois, trop de poids a parfois été mis sur les contrées bruxelloises, car il semblait que c’était l’endroit où il y avait le plus d’activités, ce qui a provoqué une espèce de force d’aspiration. Idéalement, les compagnons de différentes villes communiquent à travers la lutte ; et pendant cette lutte, cette communication s’est par moments intensifiée pour donner les plus belles étincelles. A d’autres moments, on s’est heurté à plus de vide, mais la meilleure situation reste certes la pollinisation croisée au-delà des frontières des villes.

Et au-delà des frontières des pays. On a connu le bonheur d’une solidarité internationale qui par moments devenait très palpable, avec des compagnons d’autres pays qui venaient participer aux manifestations, qui approfondissaient les discussions, qui s’impliquaient dans ce qui se passait et qui donnaient leurs contributions. On assistait à un internationalisme naissant qui dépassait de loin l’autopromotion sur internet. Un internationalisme naissant qui a besoin de plus d’approfondissement et d’orientation.

Au-delà des frustrations qui ont suivi, de discussions et de conflits qui dans certains cas ne se résoudront jamais, les compagnons et leur épanouissement à travers la lutte et la révolte restent le plus bel aspect de la lutte. On en a des images qui ne disparaîtront jamais et qu’on voit en fermant les yeux : le sourire des compagnons qui partagent une lutte, qui se préparent à prendre des risques ensemble, qui discutent et cherchent à aller plus loin dans les discussions, qui commencent à se connaître aussi bien au niveau des idées que dans la pratique, les moments où ils étaient particulièrement proches les uns des autres et se renforçaient. La solidarité, la camaraderie, voilà la perle rare que seule la lutte peut offrir. C’est chacun qui offre ce qu’il a à offrir et l’alchimie folle à engendrer une lutte.

Pfff…

C’est par la lutte et la confrontation entre les idées et l’agir que tout compagnon peut avancer. Ce n’est pas en réfléchissant sans agir, ou en agissant sans réfléchir, mais à travers la confrontation entre ces deux aspects que nous pouvons affiner nos idées sur comment lutter. Les livres et les discussions peuvent toujours nous aider à apprendre à réfléchir de manière plus approfondie, mais ce sont les expériences qui nous apprennent véritablement avec quel métal on veut forger nos armes. C’est la raison de ces quelques réflexions à propos d’une expérience de lutte, qui au final n’a pas duré beaucoup plus qu’un an, mais qui s’inscrit dans le parcours que quelques compagnons exploraient déjà depuis quelques années.

Cela a peu de sens de s’asseoir après une expérience riche à coté des quelques morceaux éclatés qui en restent, et de songer avec un grand soupir que tout cela est fini. Cela n’a pas non plus de sens de limiter les questions que l’on veut se poser au nettoyage, à la recherche d’une abîme dans laquelle jeter ces morceaux qui pèsent sur nos cœurs et nos esprits. Il s’agit plutôt de faire l’effort de remettre les différents morceaux ensemble, de les examiner, de les confronter avec un nouveau contexte et de se demander quels morceaux on voudrait encore utiliser pour construire quelque chose de nouveau. Pas simplement comme une pièce, comme une porte ou une fenêtre d’une nouvelle maison, mais plutôt comme un des fondements solides sur lesquels baser une nouvelle expérience de lutte. Plus intense, vaste et mûre est l’expérience, plus d’efforts cela demande pour y réfléchir après coup. Mais la peine que cela exige est proportionnelle à l’effort qu’elle vaut et à la nécessité qui s’impose lorsque l’on est déterminé à ne pas baisser les épaules ni à jeter le bébé avec l’eau du bain.

1Au début, ce mouvement exigeait aussi la fermeture de tous les centres fermés et l’arrêt immédiat de toutes les expulsions, mais cette perspective diminuait toujours plus, parfois jusqu’à arriver à la revendication d’une régularisation pour les familles bien intégrées. A Anvers, on disait même  : «  des papiers pour ceux qui parlent le néerlandais.  »

Pourquoi travaillez-vous? Manifeste contre le travail

Thursday, March 21st, 2013

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Détruisons le travail

Thursday, March 21st, 2013

Le travail est un sujet qui revient de façon de plus en plus pressante dans les journaux, dans les cours et les conférences universitaires, dans les homélies papales, dans les débats politiques électoraux et même dans les articles et les pamphlets écrits par les copains.

Les grandes questions qui se posent sont les suivantes : comment faire face au chômage croissant ? Comment redonner un sens au caractère professionnel du travail pénalisé par le développement néo-industriel ? Comment trouver des voies alternatives au travail traditionnel ? Comment, et c’est surtout cette question qui intéresse la plupart des copains, abolir le travail ou le réduire au minimum indispensable ?

Disons tout de suite que ces questions ne sont pas les nôtres. Nous ne sommes pas intéressés par les préoccupations politiques de ceux qui considèrent le chômage comme un danger pour l’ordre et la démocratie. Nous ne sommes pas non plus concernés par la nostalgie du manque de professionnalisme. Nous sommes encore moins enthousiasmés par les réformateurs du travail à la chaîne ou du travail intellectuel régi par la planification industrielle avancée. De même, nous ne sommes pas concernés par l’abolition du travail ou sa réduction à un minimum tolérable dans une vie ainsi imaginée pleine et heureuse. Derrière tout cela il y a toujours les griffes de ceux qui veulent organiser notre existence, penser pour nous ou nous suggérer poliment de penser comme eux.

Nous sommes pour la destruction du travail. Procédons dans l’ordre : notre position est totalement différente et c’est ce que nous tenterons d’expliquer.

La société post-industrielle, dont on parlera ensuite, a résolu le problème du chômage, du moins dans une certaine mesure, en déplaçant les forces de travail vers des secteurs flexibles, faciles à manipuler et à contrôler. Dans les faits, la menace sociale du chômage croissant est plus théorique que pratique. Elle est utilisée comme mesure de dissuasion politique, pour décourager de larges couches d’opinion dans leur tentative d’organisation. Les choix de programme du néolibéralisme, notamment au niveau international, échappent ainsi à une remise en question. Le travailleur qualifié est plus facilement contrôlable dans son rôle, lié à son poste de travail et à la carrière dans son unité de production (contrôlable partout et même par les autorités ecclésiastiques). Pour garder ce contrôle, on insiste sur la nécessité de donner du travail. Le chômage en soi ne met pas en danger la production, c’est au contraire l’expérience de la flexibilité, désormais indispensable aux organisations professionnelles, qui pourrait être une source de danger. En dépouillant le travailleur de son identité sociale, il découle sans doute une désagrégation sociale qui rend plus difficile un contrôle à moyen terme. Cette perte de contrôle est la source des jérémiades institutionnelles sur le chômage.

Pour la même raison, les intérêts du système de production dans son ensemble ne permettent plus une préparation professionnelle de haut niveau, du moins pour la majorité des travailleurs. L’ancienne demande de professionnalisme a été remplacée par l’actuelle demande de flexibilité, c’est-à-dire une adaptation à des fonctions de travail en mutation permanente, à des changements d’entreprise, bref, à une vie qui se modifie en fonction des besoins des employeurs. A l’école déjà, on programme ce genre d’adaptations, en évitant de fournir des éléments culturels à caractère institutionnel qui constituaient, autrefois, le bagage minimum technique pour atteindre le vrai professionnalisme. De hauts niveaux de professionnalisme ne sont nécessaires que pour quelques milliers d’individus formés par des post-grades universitaires, parfois aux frais des grandes entreprises qui cherchent ainsi à s’accaparer les sujets les plus disposés à subir un endoctrinement et, par conséquent, un conditionnement.

Dans un récent passé, le monde du travail suivait une voie univoque caractérisée par une discipline de fer, de la rentabilité des chaînes de montage aux contrôles assidus préventifs et subséquents des cols blancs jusqu’à l’archivage de fiches et aux licenciements dus à des comportements hors norme. Pour garder un poste de travail il fallait s’assujettir, acquérir une mentalité de type militaire, apprendre des pratiques parfois complexes, parfois simples, appliquer ces pratiques, s’identifier à elles, penser que sa personne, son mode de vie, ses idées et ses relations, bref tout ce qu’il y a de plus important au monde se résumerait à ces pratiques. Le travailleur vivait dans l’entreprise, avait des rapports amicaux avec ses collègues de travail, parlait de problèmes de travail pendant son temps libre, fréquentait le dopolavoro et partait en vacances en familles avec les collègues de travail. Pour compléter le tableau, surtout dans les grandes entreprises, des excursions périodiques, entre autres, étaient organisées pour lier les diverses familles ; les enfants fréquentaient des écoles qui étaient quelquefois financées par l’entreprise et lorsque leurs parents prenaient leur retraite, l’un d’eux prenait leur place. Ainsi, la sphère du travail englobait, sans bavures, toute la personnalité du travailleur et de sa famille, en lui dictant de cette manière une identification totale à l’entreprise. Témoins, les dizaines de milliers d’ouvriers de chez Fiat qui étaient supporters de la Juventus, l’équipe de football turinoise présidée par Agnelli. Cette époque, caractérisée par son homogénéité et par ses projets d’uniformité, est dépassée, bien que quelques résidus continuent à exister. Elle est remplacée par une période où le travail est provisoire et incertain, où l’indétermination du futur devient fondamentale, où le professionnalisme est absent. Le travailleur perd toute référence à cause de l’absence de nouveaux projets et d’intérêts concrets autres que gagner sa vie ou rembourser sa maison.

Auparavant, la fuite du travail se traduisait par la recherche d’une façon alternative de travailler et par la réappropriation de la créativité productive que le mécanisme capitaliste avait extorquée.

Le modèle suivi était celui du refus de la discipline, le sabotage sur la ligne de production – considéré comme le ralentissement d’une cadence oppressante -, la recherche de pauses à l’aliénation. Ainsi, le temps libre non institutionnalisé, mais dérobé au contrôle attentif de l’entreprise, était chargé d’une valeur alternative. Pour respirer il fallait sortir des rythmes carcéraux de l’usine ou du bureau. Cette condition ne correspond plus à l’organisation productive actuelle et encore moins à ses projets de développement.

Cette condition ne se distinguait pas spécialement des structures des premières usines. En Grande-Bretagne, l’accumulation du Grand Capital pendant plus de deux siècles de piraterie avait permis la mise en place des fabriques de textiles où la main d’œuvre fuyant la campagne anglaise et écossaise était pour la première fois enfermée en masse. Ces conditions empoisonnaient le goût du temps retrouvé. En d’autres mots, on ne récupérait le temps qu’en termes d’économie de fatigue physique, et non pas parce qu’on savait où on voulait faire autre chose en dehors de son propre travail. Et cela aussi, parce qu’on tenait à son travail ce qu’on y était lié jusqu’à la mort. Même les hypothèses révolutionnaires de l’anarcho-syndicalisme ne remettaient pas en question le temps retrouvé, au contraire elles étaient chargées de significations libératrices, de sorte que le syndicat avait la tâche de construire la société libre de demain à partir des mêmes catégories professionnelles qu’hier.

Il y a encore quelques années, l’abolition du travail signifiait l’élimination du labeur, la création d’un travail alternatif facile et agréable et dans les thèses les plus avancées, selon une vision plus utopique et singulière, sa substitution par le jeu. Mais un jeu engagé, avec des règles et capable de donner à l’individu une identité en tant que joueur. L’analyse de la catégorie logique du jeu a même été menée bien au-delà du jeu réglementé, comme par exemple les échecs, et a été élargie jusqu’au concept de jeu en tant que comportement ludique de l’individu, un jeu en tant qu’expression des sens, en tant qu’érotisme et sexualité, en tant que libre expression de soi-même dans le domaine du gestuel, du manuel, de l’art de penser et de toutes ces choses ensemble.

On s’est certainement inspiré des géniales intuitions de Fourier, qui ne s’éloignait pas de l’hypothèse benthamienne : en poursuivant l’intérêt personnel on obtient indirectement et sans le vouloir un plus grand intérêt collectif. Il est vrai que Fourier, le bon commis voyageur, a mis à profit ses expériences individuelles afin de créer un incroyable réseau de relations sociales fondé sur les affinités, cependant, bien qu’il s’agisse d’un fait très intéressant, il n’échappe pas aux règles essentielles du travail comme organisation globale de contrôle, voire de production dans un sens capitaliste.

Cela montre que le travail libéré n’amène pas à l’abolition du travail ; il faut entamer un processus de destruction. Voyons pourquoi.

C’est le capital même qui a démantelé à temps la formation de production désormais inadaptée, dérobant au travailleur son identité. Il a ainsi rendu ce dernier « hors course » sans qu’il puisse s’en apercevoir. Et maintenant le capital cherche à injecter en lui toutes les caractéristiques extérieures de la liberté formelle. La liberté de parole et d’habillement, la diversification des tâches, le modeste engagement intellectuel requis, la sécurité des procédures et leur standardisation assistée par des manuels faciles à suivre, le ralentissement du temps de travail, le remplacement des procédures répétitives par la robotique, la séparation progressive entre l’unité de travail et le producteur, tout cela crée un modèle différent qui ne correspond pas à celui du travailleur des générations passées.

En récupérant le temps qui nous est pris, on prend possession d’unités temporelles supplémentaires qui s’inséreraient de plein droit dans le nombre de plus en plus croissant d’autres unités discrétionnaires de suspension de travail que l’employé refuse de comprendre. Il n’en découlerait qu’une augmentation de la panique, plutôt que la possibilité de s’occuper d’un projet qui remplacerait le travail de production pour des tiers. Les théoriciens révolutionnaires ont toujours montré le besoin d’une quantité de travail beaucoup moins importante que celle qui est obligatoire aujourd’hui pour percevoir un salaire, en revanche, de nos jours, c’est le capitalisme post-industriel qui s’est approprié ce sujet dans des congrès et des réunions visant à restructurer la production.

Abolir le travail signifie le substituer par des quotas de travail réduits au minimum et destinés à des productions utiles. Nous ne pouvons pas accepter cette hypothèse dans la mesure où elle ne se différencie pas du capital. En effet, la différence n’est que dans ses temps de réalisation alors que les méthodes de réalisation restent les mêmes. Lutter pour une réduction, bien que considérable, par exemple la semaine de vingt heures, n’a pas un sens révolutionnaire car il ouvre une voie à la solution de certains problèmes du capital et non pas à une libération possible pour tous. Le chômage en tant que facteur de pression, même minime, en trouvant comme nous l’avons vu, assez de soupapes dans l’organisation différente de travaux marginaux, semble être pour l’instant le seul moteur de la formation productive capitaliste qui pousse à la recherche de solutions opérationnelles pour la réduction de l’horaire de travail ; mais, dans un avenir pas très lointain, d’autres motifs pourraient naître de la nécessité de produire moins, surtout dans une situation internationale d’équilibres militaires qui n’oppose plus deux grandes puissances.

La soupape du bénévolat dont on ne discute pas assez mais qui est, pourtant, un sujet qui mériterait toute notre attention, pourrait fournir une des solutions opérationnelles pour la réduction de l’horaire de travail sans que les masses, rendues orphelines du contrôle d’un tiers de leur journée, doivent organiser leur temps retrouvé. Dans cette optique, le problème du chômage n’est plus la crise la plus grave du système productif actuel, mais une forme pertinente quant à la structure de celui-ci, une forme qui peut être institutionnalisée et récupérée dans le temps libre pour un projet réalisé toujours dans le cadre de la production et à travers des structures créées à cet effet. Dans cette logique, le mouvement de la crise est intégré dans le capitalisme post-industriel comme système homogène. Cette crise n’existe pas car elle s’est transformée en un des moments du processus productif.

Les modèles alternatifs fondés sur le système D s’estompent : les petits travaux artisanaux, les petites entreprises fondues sur l’auto production, les ventes ambulantes de bijoux faits main. Dans l’ombre des petites boutiques sans air ni lumière, des tragédies humaines infinies ont eu lieu ces 20 dernières années. Tant de forces réellement révolutionnaires ont été piégées par des illusions qui demandaient non pas un travail individuel normal mais une surexploitation, d’autant plus lourde qu’elle était liée à la volonté de l’individu de mener la barque, de démontrer qu’il existait des voies différentes au travail d’usine. Maintenant, avec les restructurations du capital, nous avons vu que ce modèle « alternatif » est justement celui qui est suggéré au niveau institutionnel pour sortir de la crise. Et toujours prêtes à ignorer de quel côté le vent tourne, d’autres forces potentiellement révolutionnaires se renferment dans des laboratoires électroniques et dans leurs boutiques sans air ni lumière pour se surcharger de travail et démontrer que le capital, une fois de plus, a eu raison d’eux.

Pour résumer le problème en une formule, nous pourrions dire que, autrefois, le travail donnait une identité sociale au travailleur et cette identité associée à celle du citoyen constituait le sujet parfait. Ainsi, la fuite du travail était une tentative totalement révolutionnaire visant à se libérer d’une situation étouffante. Aujourd’hui, la seule réponse en opposition au travail est sa destruction, en créant des projets, un avenir et une identité sociale tout à fait nouveaux et opposés aux tentatives d’anéantissement mis sur pied par le capitalisme post-industriel qui ne fournit plus l’identité sociale au travailleur, mais qui cherche à l’utiliser de manière généralisée et indifférenciée, sans aucune perspective d’avenir.

Le travailleur conscient, pour réduire la souffrance du travail, faisait autrefois recours à diverses dissimulations afin de faire face à l’exploitation brutale et immédiate (on pourrait écrire des centaines de pages sur ce sujet) ; ces méthodes sont devenues aujourd’hui une pratique courante du capital qui propose, voire impose, des fragmentations des unités de travail, des temps réduits et flexibles, des propositions venant des travailleurs sur les conditions de travail, la participation aux décisions d’entreprise, des assemblées décisionnelles sur des aspects particuliers de la production, la création d’îlots autonomes qui se considèrent clients mutuellement, la compétitivité qualitative, etc. Les outils de la substitution du travail classique, uniforme et monolithique ont atteint, désormais, des niveaux qui ne sont plus contrôlables par la conscience individuelle. Le travailleur risque en permanence de tomber dans un piège difficilement repérable qui le contraint à négocier quelques arrangements au détriment de sa combativité devenue seulement potentielle. De tels arrangements, qui autrefois étaient définis par les travailleurs, faisant donc partie du grand mouvement de lutte contre le travail, sont aujourd’hui des aspects du travail caractérisé par la récupération et le contrôle. Si nous devons jouer avec notre vie et dans notre vie, nous devons apprendre à le faire et fixer nous-mêmes les règles du jeu, ou alors définir ces règles de sorte qu’elles soient claires pour nous et qu’elles soient des labyrinthes incompréhensibles pour les autres. Nous ne pouvons affirmer de façon générale que le jeu réglementé est encore un travail (ce qui est vrai d’ailleurs, comme nous l’avons dit), si l’on croit que lorsque ces règles disparaissent, il s’agirait d’un jeu libre, donc, libérateur. L’absence de règles n’est pas un synonyme de liberté. La présence de règles imposées dont l’exécution est soumise au contrôle et aux sanctions est synonyme d’esclavage.

Le travail a toujours été cela et il ne pourra jamais être autre chose, pour toutes les raisons présentées auparavant et pour celles que nous avons oublié de mentionner. Mais l’absence de règles peut être une tyrannie différente et probablement pire. Si le libre accord est une règle, je veux la respecter et j’attends aussi que mes copains la suivent : surtout s’il s’agit du jeu de ma vie et lorsque ma vie est en jeu. L’absence de règles m’exposerait à la tyrannie de l’incertitude. Si aujourd’hui celle-ci me donne ma dose d’adrénaline quotidienne, demain elle ne me satisfera certainement pas.

De plus, les règles librement choisies construisent mon identité, mon existence parmi les autres, mais aussi mon individualité consciente et disposée à s’ouvrir aux autres, à vivre dans un monde peuplé d’êtres libres et vitaux, capables de décider seuls leurs propres choix. Cela est encore plus valable dans un monde qui tend vers la liberté apparente d’une absence de règles rigides, du moins dans le domaine de la production. Il est nécessaire de réaliser son propre projet de destruction du travail, pour ne pas se faire envoûter une fois de plus par des horaires de travail réduits, flexibles, programmables à souhait, par les congés payés, exotiques, personnalisés, pour ne pas se laisser tromper par des augmentations de salaire, par les retraites anticipées, par les financements gratuits des initiatives individuelles. Il ne faut pas se limiter à réduire les dégâts, car le capital même a intérêt à le faire, pour garder en vie non pas une main-d’œuvre moins stressée, mais un répondant à l’offre de marché, c’est-à-dire une demande passablement soutenue.

Certaines réflexions qui semblaient dépassées redeviennent actuelles.

Détruire une mentalité n’est pas possible. Les actions entreprises par les partis, les syndicats et les regroupements anarcho-syndicalistes ne pouvaient pas détruire la mentalité professionnelle vu qu’elles agissaient de 1’extérieur. Le sabotage ne pouvait pas y arriver non plus. Lorsqu’on y faisait recours, il ne servait que comme moyen d’intimidation contre les patrons, un signe de lutte plus avancée que la grève, pour faire savoir qu’on était plus décidé que les autres mais qu’on était toujours prêts à suspendre l’attaque dès que les revendications seraient acceptées.

Le sabotage reste destructeur, il ne touche pas indirectement le profit, comme la grève, mais il attaque directement le processus de production, à la source ou à l’embouchure, dans ses moyens de production ou dans les produits finis, cela n’a pas d’importance, il frappe la réalisation en cours ou déjà terminée. Cela signifie que, indépendamment de l’existence du rapport de travail, ce moyen ne frappe pas seulement pour obtenir quelque chose, mais aussi et principalement, pour détruire. L’objet détruit, – des moyens de production aux produits finis – tout en restant la propriété du capital, si l’on réfléchit bien, représente le travail ; il s’agit, en effet, de ce qui a été obtenu et produit par le travail, aussi bien les moyens de production que les produits finis. Voilà que, aujourd’hui seulement, nous comprenons mieux l’horreur qu’éprouvaient beaucoup de travailleurs face aux actes de sabotage. Je me réfère à ces travailleurs qui avaient acquis une identité sociale difficile à effacer après une vie de dépendance totale. J’ai vu personnellement des travailleurs qui pleuraient en voyant leur usine partiellement détruite, car dans ce lieu de mort se détruisait une partie considérable de leur vie, qui, tout en étant misérable et méprisable, était la seule qu’ils connaissaient, la seule dont ils avaient fait l’expérience.

Bien sûr, pour attaquer la mentalité professionnelle il faut avoir un projet, donc une identité définie, une conscience de nos actes considérés et vécus comme un jeu. Et le sabotage est un jeu fascinant, mais il ne peut pas être le seul. Il faut disposer d’une panoplie de jeux, variés et souvent contrastés, afin d’éviter que la monotonie de l’un d’eux ou de leurs règles se transforme en un travail ennuyeux et répétitif. Faire l’amour est aussi un jeu, mais on ne peut pas le faire du matin au soir, le banaliser, nous envelopper dans un assoupissement qui, si d’un côté provoque un agréable bien-être, de l’autre avilit.

Même le fait d’aller prendre l’argent là où il se trouve est un jeu qui a ses propres règles et qui peut dégénérer dans le professionnalisme et devenir, donc, un travail à plein temps avec toutes ses conséquences. Mais c’est un jeu intéressant et utile s’il est considéré dans l’optique d’une conscience mature, qui n’accepte pas les équivoques d’une consommation toujours prête à avaler ce qu’on a réussi à soustraire au processus économique global. Dans ce cas aussi, il faut dépasser la barrière morale qui a été élevée en nous, il faut provoquer une fracture capable de se poser au-delà du problème. Saisir la propriété des autres, même pour un révolutionnaire, est un acte risqué au niveau légal et moral. Ce dernier aspect mérite une explication, car il s’agit de dépasser l’obstacle qui faisait pleurer le vieil ouvrier devant l’usine endommagée.

La sacralité de la propriété nous a été inculquée dès l’enfance et nous ne pouvons nous en libérer facilement. Nous préférons nous prostituer pour toute la vie à l’employeur, pour avoir la conscience tranquille, pour savoir que l’on a accompli notre devoir, qu’on a contribué, toutes proportions gardées, à la production du PNB pour laisser finalement les politiciens sans scrupules, qui pensent au destin de la nation, s’emparer de ce que nous avons accumulé péniblement.

Notre projet doit être la destruction du travail dont l’aspect essentiel est la créativité poussée au maximum. Qu’est-ce que nous ferons avec l’argent de toutes les banques que nous pourrons dévaliser si ensuite la seule chose que nous sachions faire est de nous acheter une grosse voiture, avoir une belle maison, aller en boîte de nuit, nous remplir de besoins inutiles et nous ennuyer à mort jusqu’au prochain hold-up. Ce sont des choses que font de façon systématique beaucoup de bandits que j’ai connus en prison. Si tous les copains qui n’ont jamais eu d’argent dans leur vie pensent que c’est là la voie pour satisfaire leurs caprices, qu’ils le fassent ; ils trouveront les mêmes désillusions que dans n’importe quel autre travail, peut-être moins rentable à court terme, mais certainement moins dangereux à long terme.

Considérer le refus du travail comme l’acceptation apathique de la non-activité est une conséquence de l’idée erronée que tous les esclaves du travail se font de ceux qui n’ont jamais travaillé dans leur vie. Ces derniers, c’est-à-dire les soi-disant privilégiés de naissance, les héritiers des grands patrimoines, sont presque toujours des travailleurs acharnés qui engagent leurs forces et leur talent pour exploiter les autres et accumuler encore plus de richesses et plus de prestige. Même si l’on se limitait aux nombreux exemples de dissipateurs de patrimoines dont la presse de boulevard ne fait pas défaut, nous devrions quand même admettre que cette méprisable engeance entretient des relations sociales ennuyeuses et alimente sa peur d’être victime d’agressions et d’enlèvements. Là aussi il s’agit d’un vrai travail réalisé selon des règles imposées, où l’exploiteur de ces exploiteurs est chaque fois sa propre libido et sa propre peur.

Mais je ne crois pas qu’il y en ait beaucoup qui considèrent le refus du travail comme l’acceptation de l’ennui mortel, de la non-activité, qui sont en permanence sur la défensive pour éviter les pièges de ceux qui pourraient les solliciter à faire quelque chose même si ce n’est pas par nécessité, mais au nom de l’idéal, de l’amour, de l’amitié ou de toute autre diablerie capable de nuire à cet état de satisfaction totale. Une situation de ce genre n’a aucun sens.

Au contraire, je pense que le refus du travail peut être identifié avant tout au désir de faire ce que l’on aime le plus, transformer de façon qualitative l’activité imposée en activité libre, en action. Mais la condition d’activité libre n’est pas réalisée une fois pour toutes. Elle ne peut jamais être liée à une situation externe, comme l’annonce d’un grand héritage ou les bénéfices d’un hold-up. Ces faits peuvent être l’occasion, l’accident plus ou moins recherché, plus ou moins voulu, qui peuvent aider ou perfectionner un projet en cours, et non pas la condition déterminante pour son achèvement.

Au cas où ce projet créatif serait incomplet, non satisfaisant en tant que choix de vie, aucune somme d’argent ne pourra jamais nous libérer de la nécessité de travailler, c’est-à-dire d’être forcés d’agir, poussés par un nouveau besoin qui n’est pas celui de la misère mais celui de l’ennui ou de la condition sociale acquise ou du désir d’avoir des parts de richesse de plus en plus grandes ou toute la série de symboles de la condition sociale adaptée à la nouvelle richesse acquise.

Nous pouvons sortir de ce dilemme par l’approfondissaient de notre propre projet créatif ou, en d’autres termes, par la réflexion sur ce que nous voulons faire de notre vie et des moyens qu’on acquiert en ne travaillant pas. Si l’on veut détruire le travail, il faut construire des parcours d’expérimentation collectifs et individuels qui ne tiennent compte du travail que pour l’exclure de l’ensemble des possibilités réelles.

Version originale en italien d’Alfredo M. Bonanno, “Distruggiamo il lavoro“, insert du n.73, mai 1994, de “Anarchismo

Asymétrie

Thursday, March 21st, 2013

Que peut un seul insoumis contre une industrie d’usines d’armement, de vigiles, de technologies de pointe, de soutien logistique, qui sait déplacer des milliards de livres, dollars, euros ?

Que peut une seule pierre contre un bataillon d’agents emballés et blindés, munis d’un arsenal d’armes plus ou moins létales ?

Que signifie un seul tract dans le fleuve d’informations, d’opinions, de propagande qui semble uniquement vouloir confirmer l’inéluctabilité de ce monde ?

C’est une guerre perdue d’avance…

C’est un conflit où l’on se trouve les mains vides face à un ennemi armé jusqu’aux dents.

Ce n’est pas désespéré, c’est suicidaire.

//

Sauf si le conflit ne se trouve pas là où l’on croît le percevoir.

Si l’on refuse de marcher au pas dans cette société.

Si l’on ramasse une pierre pour s’y opposer.

Si l’on pose des mots sur papier pour entamer le dialogue avec d’autres rebelles (potentiels).

Ce sont des actes par lesquels nous donnons nous-mêmes du contenu à la vie, tous des pas sur un chemin, avec la liberté comme boussole.

Aucune force militaire ne peut l’empêcher. Il n’y a pas de victoires à remporter ni de pertes à encaisser puisque nous n’avons pas de territoire à conquérir ni de pouvoir à prendre.

Voilà pourquoi il s’agit d’un conflit asymétrique. Pas parce que dans la somme des moyens, l’autorité triomphera toujours et que toute résistance apparaît vaine.

Mais parce que ce que nous voulons se trouve sur un tout autre champ que celui où se meut l’autorité.

Par cette force asymétrique, les ennemis de l’autorité pourront toujours faire usage de leur créativité pour se mettre en travers de sa route. Les forces de l’ordre entraînées des Etats doivent régulièrement encaisser des coups d’ex-sujets non-entraînés et peu armés.

Ces « succès tactiques » sont les effets secondaires bienvenus du choix de l’insurrection qui se répand comme un virus à travers les actes et les mots de ses protagonistes et qui continuera toujours à contaminer d’autres individus.

C’est un conflit asymétrique parce que ce que je veux est étranger au monde de l’autorité. Parce qu’elle ne pourra jamais me donner ce que je veux, ni me l’enlever.

Sur le banc des accusés

Thursday, March 21st, 2013

« Cependant les boutiquiers de Paris,

en faisant leur étalage, l’autre matin,

se sont dits avec leur robuste bon sens:

Il n’y a pas la moindre erreur, on veut saper

les assises de nos monuments séculaires,

nous sommes en face d’un nouveau complot.

Allons, allons, braves boutiquiers !

vous errez aux plaines de l’absurde.

Songez un peu que la conspiration dont

vous parlez n’est pas nouvelle ;

s’il s’agit de jeter bas les édifices vermoulus

de la société que nous haïssons,

il y a longtemps que cela se prépare.

C’est notre complot de toujours. »

Zo D’Axa, 1892

 

 

 

Comment ça, la répression ?

 

Nous vivons dans un monde où toute structure de la société, tout mécanisme, tout rapport social a aussi une fonction répressive. On n’aurait guère de problèmes à démontrer que les forces strictement répressives (la police, l’armée, la Justice et ses prisons) ne sont en effet qu’une petite colline face à la montagne de l’ensemble de la société oppressante. Si l’on définit la répression comme le mouvement qui nous empêche, nous décourage et nous punit de faire des choses qui risquent d’ébranler l’ordre économique, social et moral, il est facile de percevoir comment toutes les institutions démocratiques empêchent l’auto-organisation sociale, comment l’idéal d’un amour en camisole décourage des liens affectifs sans brides et comment l’économie punit toute tentative de bannir l’argent hors de sa vie. Ainsi, la répression ne saurait être réduite au seul bras armé de la domination, même au moment où celui-ci frappe à la porte des subversifs.

 

Lorsque ce « bras armé » toque à la porte de compagnons avec son arsenal judiciaire, carcéral et policier, l’Etat ne tente pas uniquement de freiner la diffusion d’idées et de pratiques subversives ou d’essayer de mettre « hors circulation » quelques éléments encombrants. Il cherche aussi à nous amener sur le terrain stérile de l’affrontement entre les forces répressives strictes et le courant subversif, un affrontement certes inévitable, mais qui risque souvent de nous bloquer sur un seul obstacle (la répression des compagnons), nous empêchant ainsi de continuer à courir « dans toutes les directions ». Affronter la répression spécifique contre des compagnons sur le terrain qu’elle-même pose, revient alors à creuser sa propre tombe.

 

D’ailleurs, en quoi la répression qui nous touche serait-elle détachée de la répression qui touche la société en général ? On pourrait dire que tout un chacun ne trouve certes pas des caméras cachées chez lui, mais cela ne saurait nous faire oublier que la vidéosurveillance est désormais partout. On pourrait dire que tout un chacun n’a certes pas à se défendre contre des accusations d’association terroriste ou autre, mais n’en est-il pas moins vrai que de larges couches sociales se font condamner à la chaîne, soit devant un juge, soit par les instances de l’ordre social, moral et économique, parce que le fait de chercher à vivre, voire d’exister, donne déjà lieu à une répression permanente ? Il n’est pas difficile de prévoir que dans le monde actuel, toujours plus instable et où les tensions sociales sont toujours moins gérables qu’elles n’ont pu l’être dans le passé récent, la répression ira croissant. La construction de toutes sortes de nouvelles prisons n’est qu’un signe manifeste de toute une tendance qui a le vent en poupe.

 

 

La dangerosité sociale

 

Mais hasardons-nous maintenant sur le terrain de la répression spécifique contre des luttes autonomes et des individus qui se battent pour la liberté. Parfois, les arrestations de compagnons, la répression d’une lutte, la diffusion de menaces à peine dissimulées contre ceux qui ne sont pas prêts à enterrer la hache de guerre, amènerait à croire que nous serions dangereux. Dangereux pour l’ordre établi, comme est classé l’anarchisme depuis quelques années en Belgique, considéré comme « la menace la plus importante et la plus diffuse pour la sûreté du pays », sur la bonne voie car objet d’une répression ? De telles croyances proviennent tout simplement d’un manque de conviction dans ses propres idées, d’une carence de perspectives, car elles s’amusent à reprendre à leur propre compte les paroles de la domination. A l’inverse, il n’est malheureusement pas rare de constater que, dans le courant subversif même, des bruits courent sur certains lieux, certains compagnons, certains terrains de lutte qui seraient dangereux, qu’il faudrait mieux éviter, parce qu’ils attirent la répression et autres conneries de la sorte. Dans les deux cas, la même « échelle de mesure » est utilisée : celle de la morale dominante et des lois en vigueur. Ou pire encore, une échelle « militaire », qui voit la subversion comme la somme d’attaques attribuables à tel courant ou à telle tendance ; échelle malheureusement trop fréquente, chez les légalistes et réformistes, comme chez les « subversifs » autoritaires. Que disait déjà cette citation ? : « On voit les lucioles parce qu’elles volent la nuit. Les anarchistes font de la lumière aux yeux de la répression, parce que la société est grise comme la pacification. Le problème, ce n’est pas la luciole, mais bien la nuit. »

 

Le danger et la dangerosité sont bien ailleurs. C’est la menace souterraine qui traverse les siècles et tous les visages que la domination a pu prendre : la menace d’une explosion sociale, de la subversion de l’existant. Inutile, et aussi pernicieux pour sa propre dignité, de cacher que les activités et les idées des subversifs antiautoritaires ciblent à encourager, faire éclater, défendre, répandre la subversion et donc la nécessaire insurrection, forcément violente et négatrice des lois et des morales. Et l’Etat cherche à réprimer, persécuter, étoufferce qui le met en danger. La menace n’est donc pas une centaine d’anarchistes, mais la diffusion toujours possible et imprévisible d’idées et de pratiques subversives que nous portons. La menace, la dangerosité, c’est la contagion qui se met à l’œuvre ou qui, du moins, reste toujours possible. D’où l’évidence que la meilleure solidarité, consiste à continuer à diffuser des idées et des pratiques subversives, au-delà de toute échéance judiciaire ou étatique. Et aussi que la meilleure défense contre la répression n’est pas de constituer une quelconque puissance imaginaire qui y ferait face (dans la logique de l’affrontement symétrique, imprégnée d’une vision militariste et hiérarchique de la subversion), qu’il ne s’agit pas simplement (ou mieux, pas tant) de s’approprier des techniques et des savoir-faire pour la contourner, mais bien de perspectives de lutte, d’idées approfondies, de la recherche sociale de complicité dans le refus et dans l’attaque de ce monde. En fait, on pourrait extrapoler cette question afin de mieux la saisir : une insurrection (dans le sens anarchiste, c’est-à-dire, comme phénomène social) peut-elle être vaincue de manière militaire par les forces répressives ? La « réussite » d’une insurrection dépend-elle du nombre d’armes et de « troupes » à notre disposition ? Ou les raisons des « défaites » des insurrections ne sont-elles pas plutôt à chercher dans le manque de perspectives antiautoritaires, de « fermeté » dans le refus de toute sorte de chef ou encore, dans la peur de l’inconnu de la liberté ? La répression des insurrections, tout comme leur explosion; la répression des insurgés, tout comme la contamination du tissu social par leurs idées et pratiques, n’est jamais qu’un fait militaire, mais avant tout social. Et de nombreuses conséquences découlent d’une vision antiautoritaire de cette question, qui est au fond essentiellement celle de la transformation révolutionnaire de l’existant.

 

 

Sur le banc des accusés…

 

De nombreuses personnes conçoivent la Justice (les lois, les tribunaux, les procès) exclusivement comme une institution, c’est-à-dire, un bastion du pouvoir dans le marécage social. Néanmoins, toutes les institutions se fondent à part égale, voire prépondérante, sur le consentement social. Elles sont des expressions des rapports sociaux existants, mieux, ce sont des rapports sociaux. C’est-à-dire que l’Etat, d’un point de vue subversif, n’est pas quelque chose d’extérieur au tissu social, il en fait partie comme il le structure à son tour. Prendre possession de l’Etat signifie alors vouloir perpétuer les rapports sociaux qui le fondent et en découlent ; le détruire, c’est chercher une autre base, un autre fondement (la liberté) pour les rapports sociaux. L’argent, comme institution, ne peut exister que parce que la société entière lui octroie de la valeur ; et réciproquement, l’argent conditionne les rapports entre les gens. Une redistribution plus équitable de l’argent ne changerait au fond rien aux rapports que son existence génère, le brûler signifie entamer la construction d’un monde où l’économie ne détermine plus les rapports entre les gens, mieux, où la logique économique (commerce, travail, accumulation, productivisme) est repoussée. La pénétration de la marchandise dans toutes les sphères de la vie donne d’ailleurs un autre bon exemple de la coïncidence entre les structures répressives et les rapports sociaux tels qu’ils existent aujourd’hui.

 

Cette prémisse posée, asseyons-nous un instant sur le banc des accusés. Comment pourrait-on soutenir que dans le tribunal rien n’a d’importance (en ce qui concerne notre attitude), sans en même temps ouvrir les portes pour affirmer que rien n’a d’importance dans n’importe quelle structure de la société ? Si le tribunal, comme l’usine, la maison communale ou le foyer familial, sont des structures répressives dans le tissu social, il devient intenable de prétendre que notre attitude, notre activité et nos idées n’y ont aucune importance. Dire devant un juge qu’on regrette de lutter pour la liberté ne diffère fondamentalement pas de dire à un homme qui nous maltraite qu’on l’aime – à moins que l’on croît que la subversion est une question de posture, de camouflage, de postiche, de sournoiserie. Renoncer à ses idées au nom de la tactique et de la stratégie (au-delà du fait de ne pas toujours crier sur tous les toits qui on est et ce qu’on pense pour des raisons de « discrétion » que peuvent requérir certaines activités, comme par exemple la réalisation d’un sabotage, une vie dans la clandestinité), dans un tribunal comme dans la rue, équivaut à leur ôter toute potentialité subversive, à les désamorcer – exactement ce que la répression cherche à obtenir. Ceci dit, il n’existe pas de recettes ni d’axiomes à appliquer ou à respecter dans la confrontation avec le tribunal, il n’y a que la cohérence entre ce qu’on pense et comment on se comporte, ce qu’on désire et comment on lutte. Cette cohérence ne peut être totale que dans le sens où notre individualité est une exigence totale, autrement dit, c’est une tension permanente qui palpite au rythme de notre vie même. Tout le reste, n’est que le rebut de la politique.1

 

Affirmer que nous ne reconnaissons ni « culpabilité » ni « innocence », que nous refusons tout juge, tout tribunal, car nous sommes ennemis de toute loi et donc pour toute transgression qu’inspire notre désir de liberté, n’est donc en rien un jeu tactique, mais justement une expression de cette tension vers la cohérence. La solidarité cesse ainsi d’être un simple réflexe antirépressif pour devenir la possibilité d’une complicité, dans le sens où nous sommes tous et toutes « coupables » de nos idées et des pratiques qui en découlent.

 

 

L’ami de mon ennemi ne peut jamais être mon ami

 

A force de considérer la Justice non pas comme un rapport social comme tous les autres rapports sociaux, on finit par assister aux plus sales jeux tactiques. Inutile de souligner que dans la plupart des procès, rares sont ceux qui cherchent à ne pas rentrer dans la logique de la Justice, qui refusent d’enterrer leur dignité devant le juge, qui ne balanceront d’aucune manière (dans de nombreux cas, cela revient aussi à refuser de dire si on a oui ou non commis un tel méfait). Malheureusement, il n’est pas rare qu’il en aille de même pour les ennemis déclarés de l’ordre établi quand ils se trouvent devant un tribunal. Là, il n’est pas rare que l’opportunisme et la politique font leur rentrée sur scène. On voit alors que la cohérence de refuser de s’allier et de passer des accords avec des forces politiques philo-institutionnelles ou autoritaires, est « provisoirement » mise au rebut au nom de la pression sur le juge, du besoin d’une solidarité large et diverse, du chantage moral de vouloir faire sortir les compagnons à tout prix (mais, en étant un peu méchant, on pourrait dire, sans pour autant risquer soi-même sa liberté). Tout d’un coup, les ardentes critiques des « droits » et des « devoirs » s’échangent contre des alliances indigestes avec quelque ligue des droits de l’homme ; la négation de l’économie et de l’argent est mise de côté pour profiter du soutien d’un syndicat, gestionnaire de la conflictualité sociale et des forces de travail ; le refus du spectacle et de la représentation se transforme en accueil d’un journaliste « qui fera pression » ou en acceptant les rôles existants (chacun à sa place et tous ensemble dénoncer démocratiquement les abus) par exemple en publiant une « lettre ouverte » dans un quotidien de la presse officielle. Que dire ? L’autorité ne saurait être combattue avec des moyens autoritaires, voilà une affirmation simple qui reste d’actualité.

 

Par une telle recherche d’alliances, on ne violente pas seulement ses propres idées et les parcours de lutte qui se sont dessinés et qui se dessineront encore, on n’hypothèque pas seulement les possibilités de rencontre et de complicité au niveau social (les exploités sont bel et bien aussi habitués à l’hypocrisie, mais celle-ci ne constitue pas un sol fertile pour la rencontre et pour une lutte commune entre individus rebelles). On se place en outre irrévocablement sur ce terrain qui est à la liberté et à la vie ce que le pétrole est à la mer : la politique. S’engager dans la politique avec ses alliances nauséabondes, ses délégations, son agir « en se bouchant le nez », sa modération vers le « moins pire », son opportunisme écœurant, est aux antipodes des terrains où la subversion devrait être portée : dans la rue, parmi les exclus, les exploités et les rebelles, afin de répandre des idées émancipatrices, d’encourager la révolte, d’envisager des attaques toujours plus acérées contre l’ordre social. Combien il est inintéressant de perdre son temps et son énergie dans des discussions avec des requins politiques, des imposteurs autoritaires, des moutons suiveurs d’idéologies, des légalistes avec leurs bouches pleines de cadavres ; à quel point est préférable l’aventure de porter la subversion au cœur des situations sociales explosives, loin de toute médiation et représentation. La première perspective se termine inévitablement par des rassemblements, confus au niveau du contenu et en général démoralisateurs, devant le tribunal ; la deuxième part à la recherche de transformer un épisode de répression spécifique de compagnons et de luttes en énième mèche pour allumer la poudrière sociale.

 

 

Tôt ou tard

 

Inutile de faire l’autruche : tôt ou tard, tout individu révolté et toute lutte autonome se heurtera à la répression, que ce soit en encaissant des coups ou en reculant devant la menace de ceux-ci. Dès lors, il est certes important à garder la répression (dans le sens le plus large possible) présente à l’esprit, en discutant et en approfondissant idées et perspectives, voire de s’y préparer techniquement, mais toujours en la reliant avec l’ensemble des rapports sociaux et des tensions et conflits en leur sein. Aucun doute non plus sur la nécessité d’organiser le soutien matériel aux compagnons arrêtés ou incarcérés, sans que pour autant celle-ci dépasse le cadre de simple question technique.

 

Comprendre et continuer à considérer la répression simplement comme un obstacle, et non comme un mur infranchissable (et encore moins le plus important), n’est certes pas tâche facile. Et nous ne parlons pas uniquement des possibles années de taule, mais aussi tout ce qui a trait à la répression « préventive », la surveillance et les poursuites au sens large du terme. Aujourd’hui déjà et probablement demain encore plus, nous devrons faire appel à notre créativité et notre imagination pour briser l’étau répressif, mais ceci n’est, comme nous le disions auparavant, que dans une moindre mesure une question technique et de capacités : c’est surtout une question de perspectives, d’idées et de projectualités mises à l’épreuve, forgées dans la bataille au quotidien.

 

Pour finir, n’oublions jamais qu’en fin de compte, nos idées, nos méthodes et nos désirs demeurent à jamais incompréhensibles pour les chiens de garde de l’Etat, car ils ne saisiront jamais que des individus puissent s’organiser et s’associer librement et de manière antiautoritaire ; ils ne comprennent pas que tout être humain a la capacité et le choix, à tout moment, de se révolter, et que c’est d’ailleurs à cette capacité et à cette possibilité de choisir que les révolutionnaires devraient faire appel. Le marécage de la conflictualité sociale n’est donc pas une affaire militaire, technique et tactique, mais profondément et intrinsèquement sociale. Etendre ce marécage, ce qui revient à l’auto-organisation sociale du refus et de l’attaque de l’ordre social et de l’autorité, faire en sorte qu’elle puisse s’armer avec conscience et idées, est la meilleure façon de contrecarrer, voire de dépasser, la répression.

 

Et de toute façon… il n’y a rien à lâcher, c’est ma vie même que j’ai choisi de mettre en jeu ; mon jeu.

1Il ne s’agit ici pas des éventuels aspects « techniques » d’un procès, mais de l’attitude la plus fondamentale ou de l’éthique (le contenu) qui est à la base de tout un éventail d’expressions plus « concrètes » (les formes). Le contenu pointe le refus de se distancier de nos idées et pratiques subversives, ce qui peut se traduire devant un tribunal dans de nombreuses formes, allant du refus total (en refusant de se présenter devant le tribunal), en passant par se soustraire à la justice (en passant dans la clandestinité), par refuser de répondre à aucune question ou requête, jusqu’à « revendiquer » ses idées devant un juge (et aussi, de fait, dans la rue, dans le rapport social qui est à la base de la Justice, ce qui ne revient pas à se déclarer coupable de telle ou telle accusation). Enfin, il y a encore tout l’aspect strictement technique de la défense juridique (nécessairement selon la logique de la Justice même) qu’on peut laisser à un avocat, ou pas. Mais là non plus, nous ne pensons pas que « tout se vaut ». Pour commencer, il faut prendre en compte le refus selon nous fondamental, de prouver sa propre innocence en pointant d’autres (connus ou inconnus) comme les coupables. On peut aussi noter la différence fine, mais également fondamentale entre un avocat qui demande l’acquittement et un avocat qui répond à la question de la culpabilité (ou de l’innocence). Citer, comme c’est couramment le cas lors des procès, du « statut social » afin d’obtenir de la part du juge une certaine clémence, est clairement néfaste pour sa propre intégrité. Finalement, la tension éthique et subversive n’est pas la seule chose qui joue, il y a évidemment aussi les circonstances particulières, la nature des accusations et, ce qui pas la moindre des choses, les inclinaisons et préférences individuelles.

Rêver les yeux grands ouverts

Thursday, March 21st, 2013

uto·pie subst. fém. Idéal irréalisable [Ce qui appartient au domaine du rêve, de l’irréalisable]

rêve subst. masc. 1 Suite d’images, de pensées [représentations] qui traversent l’esprit pendant le sommeil 2 Images d’avenir fantastiques [Projet d’avenir plus ou moins difficile à réaliser]: voire quelque chose en rêve, sortir d’un rêve

rêver rêvait, a rêvé 1 faire un rêve 2 s’imaginer [Laisser aller sa pensée au gré des associations d’idées, des sentiments, des souvenirs ] 3 espérer [Désirer ardemment, aspirer à] 4 rêvasser [Laisser emporter son imagination dans un univers mythique, dégagé des contingences du réel]

L’utopie et le rêve, deux mots que l’on voit revenir dans plusieurs textes du premier numéro de Salto. Je comprends l’utilisation de ces mots comme une tentative de donner de l’élan aux révoltes en cours (individuelles et sociales), comme une tentative de les faire dépasser leurs limites et de leur donner du vent dans le dos, un vent épris de liberté. L’utopie doit alors ajouter une nouvelle dimension, notamment la dimension révolutionnaire. Une démarche qui me semble fort intéressante. Pourtant, ces deux mots éveillent aussi une résistance au plus profond de moi. Probablement parce que dans mon propre développement des idées et des pratiques anarchistes, l’usage m’en est étranger.

Tout d’abord je tiens à clarifier que mes rêves nocturnes m’ont toujours peu intéressé, pour le moins s’il s’agit d’en tirer des analyses et des conclusions. La disposition chaotique des pensées et images à base d’arbitraire et de rapport au réel m’apparaît : désordonnée, fortuite, logique et ancrée dans le réel. Elle est tout aussi bien interprétable qu’in-interprétable. Bref, il n’y a rien à en tirer. Seuls les psychologues freudiens et analystes du rêve sont capables d’en façonner une histoire (et souvent de manière stéréotypée). Par contre, je prétends pouvoir dire quelque chose de sensé à propos des rêves que j’ai quand je ne dors pas. Si je jette un regard sur mes « rêves endormis » * je peux grosso modo en distinguer trois catégories §. Il y a les fantasmes où je laisse libre cours à mes pulsions destructives (éventuellement mélangées à des sentiments de vengeance). Il y a les moments où je me laisse emporter dans l’imagination de ce que je peux faire et créer de mes propres mains. Cela porte sur les projets que je veux mettre sur pied dans l’environnement dans lequel je vis et les attentes que je développe par rapport à ça, tout comme sur des choses matérielles que je peux littéralement fabriquer moi-même. Puis, il y a encore les fantasmes qui font immédiatement apparaître un sourire sur mon visage, ceux qui portent sur le temps que je partage avec d’autres et où l’imagination même de la présence de l’autre m’enchante déjà. Ou qui, en revanche, me rend triste car je sais que ce moment réel est encore loin devant moi. Et cela est une caractéristique essentielle de mes rêves éveillés. Mes rêveries sont en corrélation permanente avec ma réalité. Mon imagination, elle-même, prend déjà en compte une partie des limites de la réalité. Mais j’essaye de les contourner ou de les chambouler. Et si ma réalité impose des exigences à mes rêves, mes rêves imposent de nouvelles exigences à ma réalité. C’est la force créative du jeu entre mes rêves éveillés et ma réalité. Jamais un rêve ne se pose en contradiction directe à la réalité. C’est ma réalité qui permet d’imaginer certaines choses et ce sont mes rêves éveillés qui me permettent de réaliser certaines choses. Cela ne me passerait jamais par la tête de rêver d’une société qui suivrait une révolution anarchiste. Les représentations dont j’ai besoin pour m’imaginer une telle chose ne sont que des clichés, des illustrations venant des livres de conte. Elles peuvent être belles, peut être même émouvantes, mais elles ne me touchent pas. Elles ne me permettent pas d’agir ici et maintenant, pratiquement. Un tel rêve est trop loin de ma réalité. Mais ce sont justement ces rêves qui se retrouvent autour d’un dénominateur commun : l’utopie. C’est la particularité de l’utopie que d’être déliée d’une réalité spécifique, d’une vie individuelle. Un rêve utopique n’a pas besoin d’une réalité spécifique et c’est pour cela qu’il peut devenir un rêve collectif. Mais il en résulte que l’utopie devient en même temps un rêve irréalisable. Ce qui nous permet d’enlever les rêves de leur environnement individuel et de leur donner un écho plus large en tant qu’utopie, enlève au rêve en même temps sa force créative ; l’interaction directe, non-médiée entre le rêve et la réalité. L’utopie est un rêve stérile.

Je ne prétends pas que mes réserves à l’encontre de l’utopie soient uniques. Au contraire, je pense qu’elles sont partagées. C’est pourquoi, dans les textes de Salto, on ne parle pas d’utopie, mais de « tension utopique ». Mais pour moi, la tension se trouve entre le rêve et la réalité et c’est l’utopie qui vient la figer.

Pour moi, ça n’a jamais été l’utopie qui m’a ammené vers les idées anarchistes. C’est plutôt la découverte des limites tant dans mes rêves que dans ma réalité et, surtout, la frustration due au manque d’interaction entre ces deux notions qui m’ont séduit et amener à aiguiser mes attentes et mes actes. Qui ont élargi ma critique (aussi pratique) de tout ce qui tente de se mettre en travers de ma route, jusqu’à ce qu’elle atteigne tous les piliers autoritaires (ou tout du moins tente de le faire).

 

Retour à la case départ. Comment lier ces moments de révolte à ce plus qualitatif, pour qu’ils ne se dirigent plus seulement contre une situation spécifique dans un moment spécifique ? Ce qui n’a de cesse de m’intriguer, c’est la capacité des gens à diviser leur vie en différentes cases. Le comportement et les relations qu’ils n’accepteraient jamais de la part de leurs amis, sont avalés quand ils émanent de supérieurs sur les lieux de travail. Pour l’illusion d’un futur meilleur, les gens sont prêts à mettre de côté leur vie aujourd’hui. Même lors de la dite crise économique, les gens sacrifient leurs journées pour un peu d’aisance matérielle. Et chérissent l’espoir de temps meilleurs « si seulement on persévère un peu plus». C’est ici que se situe la première démarche, celle d’en finir avec toutes les illusions et tous les sacrifices. Une démarche négative qui étend l’exercice critique vers tous les aspects de la vie. Cela a toujours été le propre des anarchistes de pouvoir exprimer une critique totale de la société et des relations entre les individus qui la font. Bien que ces dernières années aient montré un certain effort à diffuser des idées et des pratiques anarchistes sans se perdre dans les lignes de démarcation des sujets ou luttes partielles, cette critique totale a du mal à suivre son chemin ¥. Sans doute, ces temps « post-modernes » connaissent aussi bon nombre de cyniques. Ceux qui ont déjà critiqué tout pour finalement se laisser flotter sur les vagues de la société (ou même en jouer l’avant-garde). Ceux qui attendent de nouvelles illusions pour les critiquer de manière hautaine et conclure qu’il n’y a pas de sens à la vie. Ceux qui n’ont pas compris que le sens de la vie est dans la vie même (en tant qu’agir) et qui sont donc uniquement capable d’un cynisme passif. Une telle critique passive refuse de se remettre en question : si ce n’est pas ça, qu’est ce que je veux alors ? C’est la deuxième démarche, la prise de responsabilité pour sa propre vie. Se poser cette question de manière permanente, sans que n’arrive de réponse définitive, et qui, pour cette raison, donne consistance à la vie. Je ne parle pas de « deuxième démarche » parce que je penserais que la première doit d’abord trouver son accomplissement pour que puisse s’entamer la deuxième, au contraire. Le développement de la question ‘destructive’ tout comme celui de la ‘constructive’ sont en dialogue l’un avec l’autre. Mais je pense bien que la deuxième ne peut jamais se produire sans la première, c’est à dire sans qu’on ait entamé une question critique, destructive.

 

Je suis persuadé que seule la première démarche, la critique pratique de l’autorité, est un terrain où je peux réellement formuler des propositions qui valent aussi en dehors de mon environnement de vie direct. La critique pratique est une chose que je peux réaliser et partager à un niveau social. Dans ma lutte pour la liberté ?je peux unir ma force destructive avec d’autres qui désirent aussi la liberté. Ou je peux faire dialoguer la critique de ma révolte avec la révolte des autres, pour arriver à une critique plus profonde. La deuxième démarche demande une recherche individuelle pour y donner du sens, et je peux sans doute construire des affinités avec d’autres individus, mais sur une échelle restreinte. Cependant, de ses expériences, je peux distiller une manière d’agir, une « méthode  de vie ». Ces principes, parfois aussi appelé une éthique anarchiste, peuvent peut être servir de proposition ou d’inspiration sans toutefois devenir un modèle. Et cela est une source intarissable pour encore plus de rêveries.

*Mes rêves éveillés, mes propres fantasmes qui ont en partie pris forme spontanément (à la fois images d’un avenir fantastiques et imaginaire).

§Appliquer des catégories à tes rêves ne me semble pas être possible sans appliquer une certaine forme de stéréotype.

¥La mutilation de la communication par les médias journalistiques et ‘sociaux’ (la communication par internet) qui exigent une distance, une superficialité et une volatilité et éliminent une implication et agissement directes, font paraitre une telle critique comme une chose qui est souvent abstraite. Ce sont aussi la complexité apparente et l’atomisation de la vie qui compliquent le dialogue entre individus qui n’ont pas partagé des années de vie ensemble.

?Je considère la liberté comme un concept négatif, comme ‘libre de…’ (dans sa forme la plus extrême: libre de toute autorité, contrainte…).