Pensées d’un promeneur enthousiaste sur le chemin de la vie
Si nous laissons couler nos pensées tranquillement au travers d’un rêve éveillé, il nous apparait que nous ne connaissons pas de limites ; que nous ne nous heurtons qu’aux barrières que nous érigeons nous-mêmes. Le rêve, que nous chérissons, nous emmène à des endroits, dans des histoires, nous fait ressentir la passion et le plaisir comme lui seul semble capable de le faire. Pourtant, au lieu de nous encourager à poursuivre nos rêves les plus sauvages et à nous épanouir le plus possible, les écoles, universités, lieux de travail, etc. nous inculquent qu’il faut être réaliste ; qu’il faut s’adapter à la réalité économique et au marché de travail ; que notre épanouissement doit être mesuré sous forme de diplômes, de possessions, de rang dans la lutte concurrentielle avec les autres. Nos jeux ne peuvent avoir pour seule conséquence que de mettre sens dessus-dessous l’ordre sociétal. Voilà pourquoi je me profiterai de ces pages pour gribouiller quelques idées sur le développement du jeu dans nos rêves.
Le chemin pour se redécouvrir, en rapport avec notre lutte contre l’autorité, est une quête pleine d’obstacles et de pièges. Nous tomberons et nous nous relèverons, nous continuerons, car la pulsion de vie et la passion qui nous animent sont indomptables.
Dans une société où tout tourne autour de la productivité et où les antidépresseurs se vendent comme des petits pains, la paresse peut être élevée parmi les beaux arts : déserter quelques piliers de cette société, comme le travail pour la patrie et la sainte économie, ou ce besoin qu’ils ont de nous voir produire en permanence. Juste reprendre le temps de jouir. Prendre le temps afin de rassembler nos idées, ou afin de jouir d’errer sans but… Mais le danger existe de s’y retrouver coincé ; que cela commence à dominer notre vie. Rester de longues journées sans fin dans le fauteuil finit par ennuyer ; se saouler la gueule quatre jours de suite nous laisse avec une sale gueule de bois. Nous ressentons que nous pouvons désirer plus, tout en ayant l’impression de nous retrouver coincés. Coincés dans la sécurité, la certitude qui sont nées dans nos maisons, nos squats, nos rapports, et que nous ne voulons pas mettre en danger. Il semble que les moyens nous manquent pour faire ce que nous voulons faire, pour nous épanouir.
Peut-être arrivons-nous à assouvir par d’autres voies la pulsion qui nous pousse à passer à l’acte. Mais plus le temps s’écoule, plus il peut sembler que nous nous perdons toujours plus. Nous semblons empêtrés dans des mécanismes qui existaient déjà ou auxquels nous avons nous-mêmes ouverts les portes et il paraît toujours plus difficile de replacer nos activités dans leur contexte. Par là, je veux dire que nous nous retrouvons au sein d’organisations, de comités ou de mouvements qui s’organisent autour d’une certaine forme d’autorité, et qu’ils avancent souvent des buts et des moyens qui ne sont pas forcément ceux des individus qui y participent. Cela se met en place très subtilement, sous forme de traditions de lutte et de discussion auxquelles il ne faut pas toucher. Alors, on commence à assister à une sorte d’imposition, de devoir d’agir. Les méthodes qui sont utilisés, ne sont plus critiquées ou mises en perspective et menacent de bannir le plaisir et la joie de nos mouvements, de nos organisations, etc.
Si nous nous retrouvons piégés dans des mécanismes qui ne nous procurent plus de joie, ou qui nous donnent le sentiment que plus rien n’est possible, que plus rien n’a d’importance et qu’il vaudrait mieux laisser notre lutte pour la liberté au vestiaire ; si nous nous attachons trop longtemps à des habitudes qui n’ont plus grand-chose à voir avec nous, il y a forte chance que nous ressentirons le vide qui commencera à nous dominer. Même si nous sommes partis dans une quête vers l’épanouissement infini de nos vies et passions, nous aurons le sentiment de vivre creux. Et alors, le risque sera grand qu’afin de remplir ce vide, nous retombions sur des structures auxquelles nous voudrions nous en prendre.
Pour rompre avec nos habitudes figées, avec celles de cette société et/ou celles que nous nous avons fourguées, nous avons besoin de temps et d’espace ; pour pouvoir développer nos pensées et les pratiques qui en découlent ; pour gagner en expérience dans tous les aspects des jeux que nous jouons ; pour prendre le temps de discuter, de lire, d’étendre nos connaissances ; pour développer les moyens et l’agilité qui permettront de réaliser nos idées.
« La peur pénètre plus profondément que l’épée »
Comme nous le savons tous, nous pouvons jouer et faire s’enchevêtrer de nombreux jeux. Mais, souvent, nos pensées sont entravées par des peurs. Les chemins, dans nos rêves les plus intrépides, sont souvent obscurcis par la crainte et le doute. Nous ne sommes pas des super-individus qui se trouveraient hors d’ atteinte par la morale de ce monde. Le spectre de cette morale erre toujours dans nos têtes ; et brûler les ponts derrière nous n’est pas facile, celui qui le contestera est un idiot. Néanmoins, c’est un pas nécessaire si nous voulons prendre nos vies en main. Une arme importante pour y parvenir est de savoir ce que nous voulons, comment se développer, comment engager nos luttes. De cette façon, la crainte et le doute deviendront un aspect toujours plus négligeable dans notre vie, car la détermination dans le jeu s’accroîtra toujours plus.
Les chemins que nous empruntons ont une certaine direction. Si ce n’est pas le cas, autant rester sur place. Si nous le voulons ou pas, notre vie aura toujours une direction, peut-être pas vers des buts clairs comme l’eau de source, mais au moins dans un certain sens. Mais si nous ne décidons pas nous même de cette direction, du sens, alors on restera toujours avec ce sentiment que quelqu’un dirige nos vies ; les conditions jouerons alors un rôle beaucoup trop grand. Il ne s’agit pas de buts et de directions figés auquel il faut s’accrocher jusqu’à la misère. Non, comme ce sont nos buts et ceux de personne d’autre, nous devons les évaluer et les critiquer en permanence pour s’assurer que nous ne sommes pas en train de nous aliéner de nous-mêmes.
Nous sommes convaincus qu’afin d’épanouir nos vies et nos rapports, cette société doit être détruite. Car à l’ombre de l’oppression et du pouvoir, je ne prétendrai jamais être libre. Il me semble alors logique de continuer sur cette destruction de l’ordre sociétal.
Dans la lutte contre l’oppression, l’Etat et l’autorité en général, les formes de nos jeux sont extrêmement importantes. Evidemment, c’est un plaisir d’entreprendre des actions contre ce système ; et l’expérience que nous y puiserons n’est pas à sous-estimer. Mais après un certain temps, cela peut aussi nous donner le sentiment que plus rien n’a d’importance. A ce moment, nous avons besoin de plusn il nous faut des analyses et des perspectives en découlant (afin de les transformer à nouveau en action). Comme dans n’importe quel autre jeu, nous avons besoin de perspectives et de sens. Nos rapports à d’autres changeront une fois rassemblé le courage de déterminer nos propres chemins. Cela nous donne la possibilité d’approfondir nos rapports. Là où nous avons pu agréablement nous perdre ensemble, nous pouvons maintenant parcourir des chemins ensemble. Ensemble, avec d’autres, nous pouvons nous plonger dans des aventures et des défis, jusqu’à ce que nos chemins se séparent de nouveau ; pour se recroiser peut-être plus tard. Vu que je ne désire pas être le seul joueur dans mon jeu – car mes rencontres et expériences avec d’autres rendent possible de continuer à me développer – je dois reconnaitre ici la nécessité de nous accorder entre-nous par rapport aux luttes que nous entamons. Cela implique de s’accorder entre individus qui font partie des jeux, afin d’y donner forme ensemble. Non pas en une série d’accords figés, notés dans un quelconque livre, mais par des accords soumis en permanence à la discussion, des accords qui ne sont pas impératifs, mais uniquement valides s’ils nous appartiennent.
Si nous construisons nos projets, il faut réfléchir sur les moyens qui sont nécessaires pour les réaliser. Armés de nos analyses, critiques et perspectives, nous pouvons nous approprier sans peur les moyens que nous estimons adéquats.
Si nous passons consciemment à l’attaque contre l’autorité, nous devons pouvoir regarder notre ennemi droit dans les yeux. Nous devons voir clair ce contre quoi nous nous battons, et où s’attendre à des coups. Vu que l’ennemi s’impose comme notre partenaire de danse indésirable, nos idées doivent être claires. Nous devons entamer la lutte de manière réfléchie, car si nos idées ne sont qu’à moitié développées, l’ennemi nous terrassera rapidement et mettra précocement fin à la fête. Plus claires seront nos idées, plus pleines seront nos vies, plus difficile il sera de nous briser. Tant que nous chérirons dans nos pensées le désir de et la lutte pour la liberté, ni flic ni prison ne pourront nous briser. Nous ne voulons faire peur à personne, mais, soyons francs, est-ce qu’il existe quelque chose qui donne autant de joie que les mécanismes et institutions oppressants détruits sur le chemin vers notre épanouissement ? Nous combattons pour la vie, contre la société mortifère.
Nous choisissons l’aventure. Nous sommes conscients qu’il y a des risques, nier ce fait serait stupide. Mais nous ne sommes pas intéressés par des calculs d’apothicaires en ce qui concerne la vie. Nous savons trop bien que nos aventures pourraient abréger nos vies, ou limiter notre espace de mouvement pour un certain temps. Mais notre crainte de la mort s’émousse au contact de la réalité des morts-vivants. Nous devons pouvoir vivre nos rêves, nous voulons presser toute la joie de la vie. Comme je l’ai lu, je ne sais plus guère où : ” si tu peux te l’imaginer, tu peux “. Il s’agit là d’un bon conseil, puisque nos pensées sont nos seules limites.