Air de la ville

Monte dans le bus. Fais un trajet à travers leur ville. Des gratte-ciels de béton reluisant et de verre dur comme l’acier. Le centre-ville est un centre commercial en plein air. Des pavés et des pierres moyenâgeuses authentiques comme décoration. Une petite pelouse circonscrite et liserée comme alibi vert.

Des réseaux au-dessus de nos têtes, des réseaux souterrains. Ils dressent des frontières, divisent le territoire, contrôlent, excluent. Comme un réseau invisible avec cartes de crédit comme voie d’entrée. Comme les portiques vers un réseau où personne ne reste invisible. Transports en commun, transport de masse pour en permanence fournir du combustible à l’économie.

La ville comme environnement hostile.

Des gens se croisent mais ont la tête empêtrée dans des réseaux de communication.

Des gens se heurtent. Comportement agressif.

Des bornes enregistrent les déviances, stockent tout dans leurs bases de données. Des gilets rouges, des pardessus violets, les bras croisés, une voiture qui passe lentement – un trait bleu, engrais pour des chimères paranoïdes pouvant à tout moment devenir réalité.

Mixité sociale, c’est l’excuse pour un harcèlement des pauvres. Multiculturel, c’est ce que dit le prospectus de vente : le matin chez le boulanger marocain, le soir dans un resto libanais ou pourquoi pas, chinois. Les commerçants comprennent bien cet atout.

Le citoyen qui a promis loyauté à la démocratie a son mot à dire devant les caméras de la télé, ou, à défaut de celles-là, il appuie sur le bouton réaction afin de ventiler une nouvelle fois son opinion.

Regarde autour de toi, ne rate pas le picture opportunity, respire, mais pas trop profondément. L’oxygène dans tes poumons est une source constante de cancers. L’air de la ville est, comme la ville elle-même, une contradiction en soi. Une métaphore pour la vie et la mort, le chaos et l’ordre, en conflit permanent.

Promène-toi avec moi, jette un œil sur ma ville. J’ai retouché ici et là ses couleurs. Car après que les cityplanners aient usé de toute leur créativité perverse, attisée par le pouvoir et l’argent, c’est mon tour.

Pas de conneries artistiques, pas de contribution à ou d’embellissement de.

Pour des couleurs rassurantes, tu t’échappes derrière ton écran de télé. Sinon, éléments perturbateurs pour les esprits qui ne comprennent que l’ordre. L’idéologie de la propreté, c’est l’idéologie du contrôle, c’est l’idéologie de l’ordre publique, c’est l’idéologie de l’Etat. Donc, les battements de mon cœur s’accélèrent quand je l’aperçois, cet acte.

Quelqu’un qui a colorié hors les lignes.

La ville comme endroit où des individus nourrissent obstinément le désordre.

Pour le moment, c’est la ville de l’ordre qui l’emporte. Jusqu’à un moment de désordre organisé.

Jusqu’à une rencontre de ces actes et de ces individus.

 

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